Et si le moment de la cession était le bon moment pour constituer son fonds de dotation ?
Le chef d’entreprise, dans le cadre de la préparation de sa cession, peut en profiter pour constituer son fonds de dotation. En le créant avec une dotation non consomptible, il se dote d’un outil puissant pour continuer une activité bénévole au long de sa retraite dans un secteur qui lui tient à cœur. Au-delà, le fonds de dotation sera également un outil pour lier les générations entre elles en partageant des préoccupations communes, et ainsi renforcer l’histoire de la famille cédante : on songera notamment à désigner les enfants comme administrateurs dès leur majorité.
La constitution d’un fonds de dotation pré-cession est économiquement très efficace, du fait d’un régime fiscal favorable. Le coût résiduel pour le fondateur peut être particulièrement limité, à condition de respecter les précautions d’usage en s’assurant notamment de l’ordre des opérations : la dotation du fonds doit intervenir juridiquement en amont de la cession, et non en aval. Sur le sujet parallèle de la donation avant cession, le comité des abus de droit relève chaque année des donations tellement tardives qu’elles interviennent en réalité après la vente des titres. Les délais nécessaires à la constitution d’un fonds de dotation devraient toutefois permettre d’éviter cet écueil dans la majorité des cas.
Pour être sécurisée, la démarche requiert un travail de collaboration entre spécialistes des secteurs concernés.
- Exposé du mécanisme fiscal de la cession
En cas de cession d’entreprise, le cédant va le plus souvent opter pour la Flat Tax, soit une imposition de la plus-value de cession à hauteur de 30%, à laquelle il faudra assez souvent ajouter la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR). Cet impôt sur le revenu supplémentaire se déclenche à partir d’un revenu de 250 000 € pour une personne célibataire ou de 500 000 € pour un couple marié. Le dépassement est soumis à une contribution de 3 à 4%.
Une cession d’entreprise d’un montant de 3 millions d’euros, constituée d’autant de plus-value taxable serait donc de :
Flat tax sur plus-value : 3.000.000 * 30% = 900 000 €.
CEHR = 3% * 500 000 + 4% * 2 000 000 € = 15.000 + 80 000 € = 95.000 €.
En cas de cession sans organisation, le patrimoine restant au cédant sera donc de 2.005.000 €.
- Exposé d’une cession avec constitution d’un fonds de dotation en amont
La donation a pour effet de purger la plus-value latente. Le donataire reçoit le bien pour la valeur actualisée. Sa cession aura lieu sans impôt. Lorsque la donation est faite à un OSBL d’intérêt général (CGI, art. 200 Et 238 bis), le don est également exonéré de droits de mutation à titre gratuit (DMTG).
La constitution d’un fonds de dotation va donc soustraire définitivement à tout impôt une assiette fiscale. Cependant, les textes prévoient également pour le donateur une réduction fiscale à hauteur de 66% du montant du don réalisé, dans la limite de 20% de son revenu imposable. Si l’entièreté de la réduction ne pouvait avoir lieu, le surplus est reportable sur les cinq ans suivants.
- Exemple
Soit la création d’un fonds de dotation avec apport de titres pour une valeur de 300.000 €.
Au moment de la cession, le dirigeant et le fonds de dotation cèderont leurs participations concomitamment, ce qu’il faudra prévoir par des clauses particulières dans un pacte d’associés, ou dans la modification elle-même des statuts de l’entreprise, pour éviter toute déconvenue.
A titre personnel, le cédant opère donc une cession pour 2.700.000 €.
Flat tax sur plus-value : 2.700.000 € * 30% = 810.000 €
CEHR = 3% * 500.000 € + 4% * 1.700.000 € = 15.000 + 68.000 = 83.000 €
En cas de cession, il restera donc au cédant 1.807.000 €.
Cependant, ce montant doit être augmenté du bénéfice fiscal qu’il reçoit, du fait de la constitution du fonds de dotation, soit 66% de 300.000 € = 198.000 €. Cette économie d’impôt à venir doit être prise en compte comme si elle constituait un actif patrimonial, puisque l’impôt est une charge certaine du cédant qu’il n’aura pas à acquitter.
Une fois les opérations réalisées, le cédant bénéficie donc des sommes suivantes :
1.807.000 € + (198.000 €) = 2.005.000 €.
Au terme de l’opération de cession, la valeur de son patrimoine sera donc identique dans le second cas, à la différence près qu’il pourra diriger des années durant un outil efficace pour soutenir et animer une cause qui lui est chère.
- Précisions quant aux limites de la stratégie
Le résultat du calcul serait le même si le donateur/cédant affectait non pas 300 000 €, mais 400, 500, ou même 1.000.000 €. Si les chiffres peuvent surprendre, la logique est imparable. La donation de titres diminue mécaniquement l’assiette taxable d’autant, permettant donc une économie de 30% (flat tax) et de 4% (CEHR), soit 34% au global. De l’autre, le même acte de constitution offre au contribuable une réduction fiscale de 66% du montant du don.
L’économie d’imposition de 34% d’un côté et la réduction d’impôt de 66% de l’autre forment donc ensemble 100 % du montant apporté.
On constatera toutefois un certain nombre de limites à ce premier constat.
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- Fraction du prix de vente constitutive de plus-value
Premièrement, il faut noter que notre exemple fonctionne parfaitement car le prix de cession est égal à la plus-value. Dans les faits, ce n’est jamais tout à fait exact. Les créateurs d’entreprises peuvent se trouver dans un cas assez proche, en ayant apporté un capital faible voire symbolique au départ, mais toutes les cessions ne portent pas sur des sociétés constituées pour une poignée d’euro. Deux facteurs devront être pris en compte pour estimer le reste à charge du cédant-donateur, qui seront de nature à augmenter la charge, ou la limitation du patrimoine :
- Le montant apporté au fonds de dotation : plus le montant sera élevé, plus le frottement le sera ;
- La fraction de plus-value : moins l’assiette de plus-value sera élevée, plus le frottement le sera.
Ces deux effets peuvent être illustrés de la manière suivante en reprenant notre exemple, mais en considérant que la plus-value porte sur 2.900.000 € et non 3.000.000 €. Dans ce cas, le coût de création, ou la déperdition de valeur pour le cédant serait de 3.400 €, ce qui reste raisonnable. Une dotation dans les mêmes conditions portée à 500.000 € aurait un coût résiduel pour le fondateur de 5.666 €.
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- Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR)
La CEHR connaît deux taux d’imposition, à 3 et 4%.
Si jamais la cession limitait l’imposition à 3%, le montant cumulé des avantages fiscaux ne serait que de 99% au lieu de 100 %, augmentant le frottement ciblé ci-dessous. Ce serait le cas si le gain exceptionnel passait en-dessous d’un million d’euros pour un couple, ou était compris entre 250 et 500.000 € pour un célibataire. Si jamais aucune CEHR n’était due, le mécanisme perdrait bien entendu en intérêt.
Cependant, comme nous le verrons plus bas, cette technique n’est pas à conseiller dans le cadre de cessions trop faibles.
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- L’imputation du crédit d’impôt
C’est sans doute la limite la plus importante à calculer. En effet, la réduction d’impôt sur le revenu d’un montant de 66% est plafonnée dans son imputation, à 20% du montant du revenu imposable. Or seuls les revenus soumis au barème de l’impôt sur le revenu entrent dans cette définition. Pour que le crédit d’impôt soit efficace, il faut donc que le contribuable soit suffisamment assujetti à l’impôt sur le revenu. En conséquence, la plus-value réalisée dans le cadre de la cession ne pourra servir de base à la réduction fiscale.
Pour illustrer ces propos et reprendre notre exemple, pour imputer pleinement la réduction de 198.000 € (300.000 * 66%), il faudrait que le contribuable déclare un revenu équivalent à cette somme pendant 5 ans d’affilé, et un impôt (hors CSG) d’au moins 39.600 € (198.000*20%). Bien entendu, rien n’empêche que la réduction ait lieu plus rapidement si le revenu imposable est supérieur.
Là encore, il y aura lieu d’effectuer des projections, en fonction des stratégies de placement du prix de cession. Généralement, les sommes reçues sont en effet placées, de manière à amortir la baisse de revenu post-cession. Les stratégies mises en place, choix des produits et de leurs modes de détention, sont fonction des besoins exprimés des clients et de leur propre contexte fiscal. Savoir qu’un crédit d’impôt existe peut potentiellement influencer les choix qui seront faits, et inversement.
Si les revenus n’étaient pas suffisants à absorber la totalité de la réduction, il resterait alors un coût net pour le fondateur, qui viendrait s’ajouter au frottement relevé ci-dessus. Dans tous les cas, il y a donc lieu de procéder à des calculs pour affiner cette stratégie, et évoquer avec le cédant l’importance maximale de sa générosité.
- La pérennité du fonds de dotation
Cette stratégie de mécénat ne nous semble avoir de sens que dans l’hypothèse d’un fonds de dotation pérenne. Il ne saurait en effet s’agir de verser deux ou trois ans une forte somme à telle ou telle cause, puis s’arrêter ensuite. On précisera en conséquence la non-consomptibilité de la dotation initiale.
Un fonds de dotation non consomptible placera le produit de la cession, pour n’utiliser que ses revenus à la réalisation de son objet. Dès lors, seuls les fonds de dotation suffisamment capitalisés pourront survivre. Le coût de fonctionnement annuel du fonds peut être estimé entre 3000 et 10.000 €, selon les services juridiques et comptables demandés par le fondateur (expertise comptable, commissaire aux comptes sous condition de ressources, abonnement juridique et administratif).
Si le fonds n’est pas suffisamment doté en capital, il ne pourra donc pas réaliser son objet, et une requalification pourrait avoir lieu. Compte tenu de ces éléments, il nous semble que la dotation minimale pour agir est de l’ordre de 300.000 €. En partant d’une telle somme, un placement sous forme de SCPI par exemple, peut générer une rente annuelle supérieure à 15.000 €, qui sera suffisante à la fois pour acquitter les frais de fonctionnement, soutenir durablement et de manière récurrente les projets portés par le cédant, et même peut-être réinvestir une petite partie des loyers perçus afin d’en augmenter progressivement la puissance bienfaitrice.
- Placer la dotation avec éthique
Enfin, une réflexion particulière sera apportée au choix des placement et à la cohérence du tout. Le fonds de dotation étant voué à apporter son soutien à une cause d’intérêt général (culturelle, environnementale, sociale…) il y aura lieu de sélectionner avec attention le placement du capital apporté, mais plus encore, d’analyser l’ensemble de la chaîne de valeur financière. Trop souvent, le client s’arrête au placement lui-même, alors que la durabilité et l’engagement doivent être également observés chez le producteur du produit financier, ainsi que chez son distributeur. Produits, producteurs et distributeurs doivent être le plus possible alignés avec les objectifs de responsabilité et régénération portés par l’économie solidaire et sociale (ESS) et les OSBL dans leur ensemble.
Guillaume HUBLOT, Docteur en droit – Gestionnaire de patrimoine associé chez KMH Gestion Privé membre de la première Convention des Entreprises pour le Climat