Afin de diversifier leurs sources de financement, les musées recourent de plus en plus au mécénat. Mais pour une diversification encore plus poussée et éviter le recours à un oligopole voire même un monopole de mécènes qui pourrait mettre en danger la structure porteuse s’ils décidaient de ne plus la suivre, le lancement d’une campagne d’appel public à la générosité constitue un bon moyen pour sécuriser leurs ressources.

Les musées notamment Musées de France doivent veiller à conserver, restaurer, étudier, enrichir leurs collections et favoriser l’accès du public en permanence.

Une levée de fonds par un « appel public à la générosité » apparaît alors comme une solution à mettre en place afin de solidifier les sources de financements et palier la baisse des subventions publiques.

Ainsi, de nombreux petits montants provenant d’un grand nombre de personnes seront récoltés.

Cette mobilisation du public permet à toutes les personnes attachées à la valorisation du patrimoine d’apporter une contribution financière à un projet spécifique, tout en bénéficiant d’une réduction d’impôt au titre du mécénat.

Au-delà de la dimension purement financière, l’appel public à la générosité permet également d’inclure le public au sein de projets qu’ils pourront faire émerger par leur participation.

A ce titre, une campagne réussie réside dans sa capacité à fédérer et mobiliser une communauté. En effet, ce système engendre de l’effervescence et de l’intérêt avant même que le projet soit réalisé, particulièrement lorsque la campagne de recherche de dons se fait par le biais de site internet dédié de financement participatif (ou crowdfunding).

I. L’appel public à la générosité : rappel de la réglementation applicable

Dans sa version originale, la loi n°91-772 du 7 août 1991 modifiée par la loi n°2015-904 du 23 juillet 2015, article 3, dispose que : « Les organismes qui, afin de soutenir une cause scientifique, sociale, familiale, humanitaire, philanthropique, éducative, sportive, culturelle ou concourant à la défense de l’environnement, souhaitent faire appel à la générosité publique dans le cadre d’une campagne menée à l’échelon national soit sur la voie publique, soit par l’utilisation de moyens de communication, doivent en faire la déclaration préalable auprès du représentant de l’État dans le département lorsque le montant des dons collectés par cette voie au cours de l’un des deux exercices précédents ou de l’exercice en cours excède un seuil fixé par décret. Cette déclaration précise les objectifs poursuivis par l’appel public à la générosité. Les organismes effectuant plusieurs appels au cours de la même année civile peuvent procéder à une déclaration annuelle ».

  1. Conditions à remplir :

Un tel mode de recherche de dons peut être réalisé par une personne morale à but non lucratif dotée de la personnalité juridique et agissant pour le soutien d’une cause listée par la loi : scientifique, sociale, familiale, humanitaire, philanthropique, éducative, sportive, culturelle ou concourant à la défense de l’environnement.

– Tout type d’organisme ayant la capacité de recevoir des dons : peu importe la forme de l’organisme support qui sera bénéficiaire : associations, fondations, fonds de dotation, établissements publics culturels, etc … Quant aux fondations d’entreprises : elles peuvent faire appel à la générosité du public depuis la loi ESS mais ne peuvent percevoir que les dons fait par les salariés, mandataires sociaux, sociétaires, adhérents ou actionnaires de l’entreprise fondatrice ou des entreprises du groupe. A ce titre, elles ne sont pas soumises aux obligations attachées à l’appel à la générosité.  Or, de nombreux musées sont portés par ce type de forme juridique.

– L’appel doit être public : c’est-à-dire qu’il faut une utilisation de moyens de communication et une absence de lien préétabli entre l’organisme qui sollicite et les personnes sollicitées pour verser le don. En effet, un appel réservé à un cercle restreint des personnes sollicitées conduit à écarter la qualification d’appel public à la générosité. Par ailleurs, depuis 2015, la notion d’appel « national » a été écartée, ainsi aucun critère géographique ne rentre dans la définition à retenir.

– Moyens de communication : par voie publique (avec déclaration préalable auprès du Préfet) ou par l’utilisation de moyens de communication. Concernant la sollicitation à travers un site internet, la Cour des comptes[1] considère depuis 2008 que les structures ayant une page dédiée au don sur leur site internet, qu’il soit réalisable en ligne ou non, doivent se plier aux obligations posées par la loi de 1991[2] et ainsi faire l’objet d’une déclaration préalable lorsque les conditions fixées par décret (non publié) seront atteintes.

A ce titre, une distinction doit s’opérer : les structures ayant un site internet avec une page permettant de faire un don simplement sans que celui-ci soit particulièrement promu par la structure n’entre a priori pas dans le champ d’application de la loi de 1991. A l’inverse, lorsque la structure possède un site internet avec une page spéciale dédiée aux dons et entreprend une démarche active de promotion de ce mode de collecte, notamment pour le financement d’un projet en particulier (mailing renvoyant vers le site ou sur la page de dons, mise en place de bandeaux publicitaires) est soumise à la loi de 1991. Ainsi le crowdfunding doit être considéré comme démarche active car s’adressant à un large panel d’internautes qui n’a pas nécessairement de liens avec le porteur du projet et procède à une démarche active de promotion à travers les réseaux sociaux par exemple.

Par ailleurs, l’organisme doit énoncer ses choix et doit les faire connaitre au donateur.

  1. Formalisme

Au titre de ce formalisme, il faut recourir à une déclaration préalable, mettre en place un Compte d’Emploi des Ressources (CER), et établir une liste des prestataires assurant la mise en œuvre des campagnes d’appel public à la générosité (agences de communication, sociétés assurant la gestion du site internet qui recueille les dons).

2.1 Obligation déclarative

Cette obligation de déclaration préalable n’existe que pour les organismes qui ont organisé une collecte de dons lors d’un des deux exercices précédents ou lors de l’exercice en cours supérieure à 153 000 euros. Ce seuil a été introduit par l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 et vise à simplifier l’accès à l’appel public à la générosité, cependant un décret d’application devrait prochainement intervenir sur le sujet

L’obligation d’une déclaration préalable d’appel à la générosité du public se fait auprès du Préfet du département où l’organisme a son siège social ou auprès du Préfet de Paris s’agissant des organismes dont le siège est situé dans un État étranger[3] lorsque l’association sera la structure support du musée (si plusieurs appels sont réalisés au cours d’une même année, il faut faire une déclaration « annuelle » sauf si certaines informations diffèrent selon les appels). Attention, lorsque la structure support est un fonds de dotation il sera obligatoire de solliciter et obtenir une autorisation préalable du Préfet pour s’engager dans une démarche de collecte de dons par appel public à la générosité.

Contenu de la déclaration

Cette déclaration ainsi que le compte d’emploi des ressources seront transmis par la préfecture à la Cour des comptes, au Ministère de l’Intérieur et aux ministères de tutelle des organismes.

Un modèle type est proposé par ministère de l’Intérieur. Cette déclaration doit préciser :

– La dénomination de l’organisme, sa forme juridique, son siège, les noms, prénoms et domicile de ses représentants légaux ainsi que le numéro d’identification au répertoire national des associations ou, à défaut, celui du répertoire des entreprises ;

– Les objectifs de la campagne ;

– Les moyens de communication utilisés (prestataires, organes de presse ou sites internet utilisés).

Rappelons que pour les organismes effectuant plusieurs appels au cours de la même année civile, il sera possible de procéder à une déclaration annuelle.

2.2 Obligations comptables

– Comptes d’emploi des ressources

Cette obligation d’établir un compte d’emploi des ressources ne s’exerce que si les collectes de dons dépassent le seuil de 153 000 euros à la clôture de l’exercice. Ce compte d’emploi des ressources (CER) collectées doit apparaître en annexe des comptes annuels (donc sera certifié par CAC) et tenu à la disposition du donateur. Cela permet de vérifier si l’organisme remplit l’obligation d’utiliser les fonds selon les objectifs de la collecte ce qui assure l’image fidèle et transparente de l’information financière.

L’organisme est totalement libre quant à l’affectation des dons mais cette affectation doit correspondre à ce pour quoi le donateur a souscrit.

– Forme du CER

La forme du CER doit être la suivante :

– un tableau globalisé

– un libellé en adéquation avec le compte de résultat

– une présentation de l’affectation des dons par type d’emplois donc doit faire apparaître une colonne spécifique des seules ressources collectées auprès du public par type d’emplois ; cette colonne doit comporter la part des immobilisations brutes d’un montant significatif financées sur l’exercice par les ressources collectées auprès du public après déduction des amortissements.

– une rubrique « à nouveau » pour l’emploi des ressources collectées et non utilisées des campagnes antérieures, qu’il s’agisse de fonds dédiés ou des ressources collectées auprès du public et non affectées.

Au-delà, le Conseil National de Comptabilité [4] pose un certain nombre d’obligations à respecter :

– les missions sociales doivent être clairement expliquées dans l’annexe

– pour chaque mission, l’organisme doit procéder à l’affectation de l’ensemble des coûts engagés supportés par l’association ou la fondation. Ces coûts peuvent être soit directs soit indirects de structure ou de fonctionnement imputés sur la base d’une règle d’affectation préétablie.

– les règles d’affectation des coûts aux missions sociales doivent être clairement explicitées et garder un caractère permanent. L’organisme doit justifier tout changement de ces règles.

– la ventilation des ressources : missions sociales, frais de recherche des dons, frais de fonctionnement.

– Publicité

L’organisme ayant recours à un appel public à la générosité doit procéder à la publication des comptes annuels et du rapport du Commissaire aux comptes. Le compte de résultat doit également être consultable par les donateurs et adhérents à cet organisme.

– Contrôle de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

Deux organes ont légalement le pouvoir d’engager des vérifications sur les comptes des organismes procédant à un appel public à la générosité.

La Cour des comptes effectue un contrôle sur la conformité et de la sincérité des dépenses engagées par l’organisme aux objectifs poursuivis par l’appel à la générosité publique.

Depuis la Loi de finances rectificative pour 2009, la Cour des comptes possède la faculté de « contrôler, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, la conformité entre les objectifs des organismes bénéficiant de dons ouvrant droit à un avantage fiscal et les dépenses financés par ces dons, lorsque le montant annuel de ceux-ci excède » le seuil de 153 000 euros. En cas de déclaration de non-conformité, la sanction de restitution des dons à chaque donateur, pèse sur l’organisme qui verra ses ressources diminuer, ainsi que sur les donateurs qui se verront perdre le bénéfice des avantages fiscaux.

Le contrôle du second (IGAS) complète l’action de la Cour de comptes et peut vérifier les CER des organismes qui auront bénéficié des fonds collectés dans le cadre d’une campagne d’appel à la générosité. Elle possède également la faculté de contrôler les organismes des domaines de la sécurité sociale et de la prévoyance sociale, de la protection sanitaire et sociale, du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.

  1. Le financement participatif ou crowdfunding

En vue de financer un projet, le musée peut avoir recours plus particulièrement au financement participatif lui permettant de collecter des fonds auprès du public. Aussi appelé « crowdfunding », ce mode de recherche de financements privés consiste à mettre en relation les porteurs d’un projet déterminé (l’organisme bénéficiaire) et les personnes pouvant financer ce projet. Aujourd’hui intégré dans le Code monétaire et financier par l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif, il s’opère par le biais d’un intermédiaire en financement participatif. Cet intermédiaire est une personne morale qui exerce « à titre habituel, l’intermédiation … pour les opérations de prêt à titre onéreux ou sans intérêt ».

Par ailleurs, le financement participatif étant un appel public à la générosité, il est nécessaire que le projet, la durée et l’objectif de collecte soient déterminés au préalable.

II. Musées : pourquoi recourir à l’appel public à la générosité ?

Les dons collectés par un appel public à la générosité opéré par un musée peuvent permettre de financer l’achat d’une œuvre d’art en vente aux enchères publiques, que cela ait lieu à la suite d’une préemption ou non, la restauration d’une œuvre d’art, la restauration du musée en lui-même qui peut être un monument historique, ou encore l’acquisition après refus de certificat d’exportation.

L’achat après refus de certificat d’exportation

A ce propos, lorsque l’État opère un refus de certificat d’exportation, le musée dispose d’un délai de 30 mois pour tenter de réunir les fonds nécessaires à l’acquisition de l’œuvre.

L’acquisition de Trésor nationaux

Toute acquisition à titre onéreux ou gratuit d’un bien destiné à enrichir les collections d’un Musée de France est soumise à l’avis d’instance scientifique (article L.451-1 du Code du patrimoine). Les instances scientifiques se composent de la Commission d’acquisition puis, du Conseil artistique des musées nationaux (si les seuils de l’article R.423-1 et s. du Code du patrimoine sont atteints). Il apparait donc nécessaire de saisir ces instances avant de procéder un appel public à la générosité.

Cas de la restauration d’un musée classé Monument Historique

Les musées qui font l’objet d’un classement au titre des Monuments Historiques peuvent faire l’objet de mécénat afin de financer des travaux de restauration. Ainsi, l’obligation d’affecter les dons à une structure d’intérêt général pour bénéficier de la réduction fiscale est remplie.

Par ailleurs  pour le financement d’un monument historique privé qui n’est par principe pas d’intérêt général, il sera nécessaire d’adopter une convention avec une structure habilitée qui se chargera de garantir l’intérêt général. Par défaut, cette structure est la Fondation du Patrimoine. Il est également possible que des associations ou fondations RUP puissent être habilitées par un agrément du Ministre du Budget pour signer de telles conventions.

La convention de mécénat devra être signée par le propriétaire du Monument Historique et la structure habilitée. Elle doit préciser les travaux qui sont à financer (restauration, réparation, mise en accessibilité) et prévoir le budget correspondant en fonction des différentes subventions allouées par ailleurs.

En outre, dans cette convention, le propriétaire du monument historique prendra des engagements destinés à garantir l’intérêt général : engagement d’ouverture au public et engagement de conservation du bien pendant 10 ans. A défaut de respect de ces conditions, le propriétaire devra rembourser les fonds de mécénat perçus de manière dégressive.

Au-delà de ces conditions, le législateur pose une obligation de gestion non lucrative qui doit revenir ici à ce que le montant généré par l’activité commerciale, s’il y en a une, soit en priorité affecté aux travaux de restauration. Le propriétaire devra donc justifier l’affectation des fonds encaissés sur les trois années précédant le projet de mécénat.

Si toutes les conditions sont respectées, la structure habilitée signataire encaisse les fonds des mécènes, affectés à un projet précis. Ensuite, elle émet un reçu fiscal pour le mécène puis paye les travaux.

Les contreparties du don

Comme pour toute forme de mécénat dont un organisme reconnu d’intérêt général sera bénéficiaire[5], le don déclenche une réduction fiscale pour le donateur à hauteur de 66% pour les particuliers dans la limite de 20% de leur revenu imposable, 60% pour les sociétés dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires et 75% au titre de l’ISF dans la limite de 50.000 €.

Pour ce qui concerne l’acquisition d’un Trésor national, la réduction fiscale sera de 90% du don accordé au musée par un particulier ou une société relevant de l’impôt sur les sociétés. Cette réduction d’impôt s’étend également aux dons effectués en vue de l’achat de biens culturels situés en France ou à l’étranger dont l’acquisition présenterait un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie. Le musée va pouvoir pour cela, délivrer des reçus fiscaux aux donateurs.

POINTS ESSENTIELS :

– définir un titre de projet, prévoir suffisamment de temps pour élaborer un plan annuel de réalisation

– établir un descriptif précis du projet

– définir un budget

– la nature et la durée de la collecte

– élaborer un plan de communication

– mobiliser son réseau personnel et professionnel

– s’entourer de partenaires et de parrains

– réfléchir aux contreparties que l’on peut proposer aux donateurs

Mais au-delà, certaines conditions apparaissent nécessaires à la réussite du projet d’appel public à la générosité ou de financement participatif : la beauté de l’œuvre, le savoir-faire des organisateurs ainsi que la sollicitation d’un public de passionnés.

Solène GIROUX, Cabinet NPS CONSULTING






Notes:

[1] Cour des comptes, Rapport public annuel 2008, p.271
[2] Préc.
[3] Article 9 du Décret n°2017-908 du 6 mai 2017 portant diverses dispositions relatives au régime juridique des associations, des fondations, des fonds de dotation et des organismes faisant appel public à la générosité
[4] CNC, avis n°2008-08 du 3 avril 2008 et arrêté du 11 décembre 2008 portant homologation du règlement n°2008-12 du Comité de règlementation comptable, JO du 21 décembre 2008.
[5] CGI, art. 200 et 238 bis

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