« Mise en conformité communautaire désastreuse »[1] pour les uns, « coup dur »[2] pour les autres, l’année 2016 a connu ce qui semble devoir être un véritable tremblement de terre dans l’application de l’exonération de TVA prévue à l’article 261 B du Code Général des Impôts (CGI) pour les groupements de moyens, notamment associatifs.

Retour sur un épisode complexe, mêlant législation interne et droit communautaire, et sur un régime dont les contours peinent encore à être définis clairement aujourd’hui.

 

Un principe d’exonération de TVA pour les services rendus à leurs adhérents par les OSBL.

L’article 261 B du CGI créé un régime de faveur au regard de la Taxe sur la Valeur Ajoutée pour « les services rendus à leurs adhérents par les groupements constitués par des personnes physiques ou morales exerçant une activité exonérée de TVA ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, à la condition qu’ils concourent directement et exclusivement à la réalisation de ces opération exonérées ou exclues du champ d’application de la TVA, et que les sommes réclamées aux adhérent correspondent exactement à la part leur incombant dans la dépense commune ».

Pris in extenso, l’exonération prévue par cet article peut ainsi concerner les organismes sans but lucratif qui rendent des services d’ordre professionnel à leurs membres, ou les fédération, unions ou associations proposant des services au profit de leurs associations membres.

Sont ainsi visés[3] :

– Les services qui sont rendus à des membres;
– Lesquels doivent être des associations exonérées de TVA ou n’ayant pas la qualité d’assujetties ;
– Les services qui concourent directement et exclusivement à la réalisation d’opérations d’ordre professionnel exonérées ou exclues du champ d’application de la TVA ;
– Les sommes correspondants à des remboursements de frais, à prix coûtant.

En application de cette règlementation, on conçoit donc que, dès lors que les conditions ci-dessus sont respectées, sont exonérées de TVA la gestion de la paie du personnel par exemple, ou encore les travaux informatiques, etc.

Toutefois, depuis le 1er janvier 2016, une controverse est née sur l’application de ce régime d’exonération quant aux opérations de mise à disposition de personnels ou de biens, mobiliers ou immobiliers, divisant la doctrine sur le sujet.

 

Un changement de position de l’administration fiscale sujet à interprétation

Jusqu’en 2016, la doctrine fiscale précitée[4] admettait l’extension de cette exonération à la mise à disposition, à prix coûtant, de personnels ou de biens effectuée pour des motifs d’intérêts public ou social.

Cette dernière condition était réputée acquise dès lors que la mise à disposition était consentie pour les besoins de l’activité non soumise à TVA d’un organisme sans but lucratif bénéficiant d’une exonération au titre des « services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leur membre »[5] ou pour « les opérations faîtes au bénéfice de toute personne par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée »[6].

Le Code Général des Impôts parle à ce titre d’organisme dit « d’utilité générale »[7].

Cette tolérance administrative a été supprimée à compter du 1er janvier 2016 pour des raisons invoquées de « mise en conformité communautaire ».

A ce titre, nous rappelons d’ors et déjà que le droit communautaire invoqué est issu de la Directive Européenne du 28 novembre 2006[8], et plus particulièrement de son article 132, 1, f, sous le chaître 2 « Exonération en faveur de certaines activités d’intérêt général », qui exonère « les prestations de services effectuées par des groupements autonomes de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti, en vue de rendre à leurs membres les services directement nécessaires à l’exercice de cette activité, lorsque ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ».

Face aux potentiels désagréments engendrés par la suppression de cette tolérance administrative, et aux conséquences financières subséquentes, le Ministre de l’Economie et des Finances précise, par un courrier du 21 mars 2016 adressé aux Secrétaires Généraux des Confédérations Syndicales de salariés, que l’exonération est maintenue pour les syndicats et les comités d’entreprise. Cette réponse ne vise toutefois que les mise à dispositions de personnel, excluant, de facto, de l’exonération les mises à dispositions de biens matériels mobiliers ou immobiliers au profit de ces organismes.

 

L’intérêt public ou social, élément clé de la problématique

En réalité, la situation actuelle peut être résumée clairement. La tolérance administrative permettait de satisfaire intégralement les conditions de l’article 261B dès lors que, notamment, la mise à disposition était effectuée pour des motifs « d’intérêt public ou social ».

A défaut, l’opération de mise à disposition devait respecter les critères restrictifs de l’article 261B.

La suppression de la tolérance administrative n’a donc pas de conséquence particulière sur les mise à disposition qui relèverait spécifiquement de l’article 261 B du CGI. En d’autres termes, si la mise à disposition telle que prévue par l’ancienne tolérance administrative ne fait plus l’objet d’une présomption d’exonération de TVA, cette dernière sera toujours d’actualité si les conditions générales de l’article 261 B sont respectées.

Un rescrit fiscal est venu, à ce titre, confirmer cette hypothèse en admettant le maintien de l’exonération pour les mises à disposition de personnels ou de biens dans le cadre de la mutualisation des moyens des établissements hospitaliers et établissements sanitaires et médicaux sociaux, notamment sur le fondement de l’article 261 B.

L’exonération est également toujours applicable s’agissant des mises à disposition de personnel par les groupements d’employeurs au profit d’organismes relevant de l’ESS[9] ou pour les groupements de fait formalisés par une convention entre les associations de coordination et les associations de quartier[10].

La question qui se pose donc aujourd’hui, dans le cas d’un groupement de moyen est donc, en fait, de savoir si l’opération de mise à disposition rentre, dans la définition aujourd’hui rapportée, dans le cadre de « l’intérêt public ou social ». Si la réponse est positive, il convient alors de s’interroger sur le respect des critères de l’article 261 B. Si la réponse est négative, la situation reste inchangée.

Cette position fut récemment confirmée par la Cour de Justice de l’Union Européenne[11] qui retient une application stricte des dispositions de la Directive précitée : si les prestations en cause entrent dans le champ d’application de la TVA, elles doivent être exonérées dès lors que les conditions prévues par la Directive sont remplies.

 

Prudence étant mère de sûreté

Dans le cadre de la mise à disposition de personnels ou de biens mobiliers entre organismes sans but lucratif, il conviendra donc aujourd’hui d’être prudent, l’opération ne pouvant plus se cacher derrière quelconque tolérance administrative pour revendiquer l’exonération de TVA.

Il conviendra de s’assurer que les critères de l’article 261 B du Code Général des Impôts soient bien respectés, strictement.

Pour autant, il nous semble que le tremblement de terre annoncé n’a finalement pas eu lieu, dans l’attente de précisions ultérieures de la CJUE, notamment sur le seuil d’opérations taxables de 20% prévu par la doctrine administrative ne remettant pas en cause l’exonération[12].

Qui vivra, verra.

 
 
Anthony BERGER, Avocat NPS CONSULTING






Notes:

[1] R.Fievet, Juris-Associations n°529, 1er décembre 2015, page 9 [2] C.Amblard, « Réforme de la TVA : quel avenir pour la coopération associative ? », Juris-Associations n°532, 1er février 2016 [3] BOFIP-TVA-CHAMP-30-10-40-20151104 n°20, n°40, n°100 à 210 [4] Ibid 3, n°220 à 260 [5] CGI, art. 261,7,1°,a [6] CGI, art. 261,4,9° [7] CGI, art. 261,7 [8] Dir.2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 [9] JO 20/09/2016 page 8519 [10] JO 07/02/2017 page 1014 [11] CJUE, 4 mai 2017, aff. C-274/15 « Commission c/ Luxembourg » [12] Ibid n°3, §50

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