L’annulation de l’édition 2012 du marathon de New York pour cause de dévastation provoquée par un ouragan est restée dans les mémoires des marathoniens. Certains de ceux qui en furent privés se retournèrent contre les agences qui avaient vendu le séjour. Leurs actions en réparation qui ont connu des fortunes diverses offrent l’occasion d’un tour d’horizon sur les obligations des vendeurs à travers deux arrêts des cours d’appel de Nîmes du 4 décembre 2014 et plus récemment de Reims du 12 juin 2015.

 

1-Les agences de voyage qui avaient organisé le vol et l’hébergement sur place des coureurs inscrits au marathon de New York se seraient bien passées des suites judiciaires de son annulation ! Qu’on se souvienne de l’ouragan qui a dévasté Haïti et causé de graves dégâts sur la ville de New York faisant de nombreuses victimes. L’atermoiement du maire de la ville et de l’organisateur de l’épreuve à décider de son maintien ou de son annulation a mis en difficulté les agences qui avaient vendu des séjours aux participants. Ceux-ci, partis avec l’espoir de courir cette épreuve mythique, avaient dû déchanter en apprenant son annulation le lendemain de leur arrivée à New York. Après l’immense déception vint la colère. D’abord, de ne pas avoir été avertis par leur voyagiste avant leur départ qu’ils pouvaient résilier le contrat. Ensuite, de ne pas avoir bénéficié d’un retour anticipé alors que le vendeur ne pouvait ignorer les dégâts provoqués par l’ouragan à la date de départ des vols pour New York. Enfin, de ne pas avoir été indemnisés à la hauteur de leur dommage. Pour leur défense, les agences objectaient que la décision d’annulation de l’épreuve avait été prise tardivement et, qu’au jour du départ des vols, elle était annoncée comme maintenue.

2-Les tribunaux saisis par les clients qui s’estimaient lésés ont eu à trancher trois points litigieux. Celui, d’abord, de l’indemnisation du droit de participation au marathon que les acheteurs considéraient comme faisant partie du forfait touristique (I). Celui, ensuite, de l’obligation d’information du vendeur à l’acheteur lorsqu’il lui est impossible par suite d’un événement extérieur de respecter un des éléments essentiels du contrat avant le départ. (II). Celui, enfin, des prestations en remplacement ou des titres de transport que le vendeur est tenu de proposer pour permettre un retour anticipé (III).

 

I-Le débat sur le contenu du contrat

3-Les clients déçus considéraient que leur dommage, et notamment les droits d’inscription à l’épreuve, relevaient des dispositions du code du tourisme exorbitantes du droit commun de la responsabilité. Les contrats passés avec des agences de voyage sont, en effet, soumis à un régime de responsabilité de plein droit comme c’est le cas des forfaits touristiques visés par l’article L 211-1 du code du tourisme. Cette stratégie bien compréhensible qui permet de faire l’économie de la charge de la preuve d’une faute n’est gage de réussite que si la prestation inexécutée correspond à la définition du forfait et entre dans son périmètre.

4-En l’occurrence, les prestations fournies par les agences répondaient bien aux trois conditions requises par l’article L. 211-2 pour constituer un forfait touristique. D’abord, les contrats comportaient au moins deux opérations portant respectivement sur le transport, le logement ou d’autres services touristiques comme la visite de New York  et représentant une part significative dans le forfait. Ensuite, les séjours dépassaient vingt-quatre heures ou incluaient une nuitée. Enfin, le tout était vendu à un prix tout compris.

 5-Si les parties s’accordaient sur le principe d’un forfait touristique, en revanche elles étaient en désaccord sur son périmètre, les clients estimant que les droits d’inscription au marathon étaient inclus dans le forfait alors que les agences soutenaient le contraire. Cette question de l’inclusion ou non des prestations offertes en plus du programme proposé dans le forfait n’est pas nouvelle et source de litiges. Certains clients ont soutenu qu’elles faisaient partie du forfait car elles concouraient à son attractivité. Plusieurs cours d’appel leur ont donné raison[1].  Pourtant, la Cour de cassation est d’un autre avis. Elle considère que les prestations facultatives facturées séparément et postérieurement à la signature du contrat n’entrent pas dans le champ du forfait touristique[2].

6-La cour de Nîmes suit la même ligne : elle estime que le marathon ne figurait pas comme une prestation prévue et offerte par l’agence. Il s’agit d’une compétition sportive internationale qui, pour reprendre ses termes « ne se situe pas dans une démarche à visée touristique avec découverte d’un lieu ni ne s’analyse comme une prestation d’agrément délivrée par des professionnels du tourisme ». L’octroi du dossard non compris dans le forfait de base correspond à un droit d’inscription à la course et aux manifestations associées (cérémonie d’ouverture, Pasta party course préparatoire de 5 km). D’ailleurs, pour preuve qu’il est distinct du prix de base et ne s’intègre pas dans un prix tout compris,  il suffit de constater que les demandeurs ont acquitté à part le prix de leur préinscription. Les juges  observent également que « la cause du contrat n’est pas la participation à la compétition mais la possibilité d’y participer, le voyagiste mettant son client en condition de satisfaire son but recherché ». La participation au marathon tient avant tout à la motivation du client qui est propre à chacun. Il s’ensuit, selon les juges, que le forfait touristique et le droit de participation au marathon n’obéissent pas au même régime juridique même s’ils sont liés techniquement. Le premier serait régi par le code du tourisme (responsabilité sans faute) et le second par le code civil (responsabilité pour faute).

7-La cour de Reims observe pour sa part que les documents contractuels indiquaient que le prix de vente ne comprenait pas le dossard pour le marathon et en conclut que l’épreuve ne constituait pas une prestation prévue et offerte par le voyagiste.

8-Quant aux prestations prévues au contrat -transport aérien et hébergement- les juges ne pouvaient que constater leur exécution. La cour de Nîmes relève seulement que les clients de l’agence ont dû subir quelques désagréments à la suite de leur changement d’hôtel (pas de ménage des chambres ; service de nettoyage du linge réduit en raison du manque de personnel causé par la tempête) qu’elle compense par une indemnité à la charge du voyagiste.

 

L’information avant le départ

9-Le deuxième motif de désaccord portait sur l’obligation d’information à laquelle est tenue l’agence de voyage s’il lui est impossible par suite d’un événement extérieur de respecter un des éléments essentiels du contrat avant le départ. L’article L 211-13 prévoit, dans ce cas, que le vendeur doit aviser par écrit l’acheteur qu’il peut résilier le contrat ou accepter la modification qu’il lui propose. En l’occurrence, celui-ci comportait trois éléments essentiels : le vol, l’hébergement et le transport sur place. A la date du départ, les médias avaient largement relayé l’information selon laquelle l’organisateur et le maire avaient décidé le maintien de l’épreuve. Ce n’est que le lendemain qu’ils sont revenus sur leur décision dénoncée comme un affront aux sinistrés. La cour d’appel de Reims déduit des circonstances d’annulation de l’épreuve que le voyagiste n’avait aucune raison de l’anticiper et de  proposer à sa clientèle la résiliation du contrat ou une prestation de remplacement. Elle observe, à cet égard, que les prestations prévues ont été intégralement exécutées. Les intimés ont pris leur avion pour New York à l’heure prévue ; leur transport de l’aéroport à l’hôtel a été normalement effectué et les chambres réservées étaient disponibles. Toutefois, en supposant que ces prestations n’aient pu être fournies comme prévu, les juges auraient-ils raisonné à l’identique ? En réponse à cette question l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes mérite l’attention. Il considère, comme les juges de Reims, que le voyagiste n’avait pas à anticiper l’annulation du vol. En revanche, il devait alerter ses clients sur le risque de ne pouvoir exécuter comme prévu les autres prestations (hébergement et  transport dans la ville de New York) dès lors qu’il disposait d’assez d’informations sur l’impact de l’ouragan. Ainsi, il ne pouvait ignorer « la fermeture de l’hôtel choisi, le fonctionnement timide des métros et la mise hors service de la navette fluviale ». Le voyagiste prétend avoir avisé ses clients par courriel du changement d’hôtel mais n’en rapporte pas la preuve puisque les messages adressés à six destinataires ont été retournés. La cour d’appel en déduit que l’information fournie a été insuffisante et retient la responsabilité du voyagiste de ce chef.

 

L’obligation de retour anticipé

10-Les clients reprochaient également à leurs agences de ne pas leur avoir offert un retour anticipé en application des articles R 211-11 qui mettent à la charge du vendeur l’obligation de proposer à l’acheteur des prestations en remplacement ou s’il refuse pour des motifs valables lui fournir, sans supplément de prix,  des titres de transport pour assurer son retour. La cour de Reims rejette ce moyen au motif que les prestations non assurées ne relevant pas du contrat souscrit et ne représentant pas une part non négligeable du prix honoré (les 290 euros du dossard correspondent à 14,46 % des 2 005 euros du prix), l’agence n’était pas tenue de proposer des prestations de remplacement ou un retour anticipé. La cour de Nîmes en arrive aux mêmes conclusions. Elle considère que la seule prestation qui relèverait de l’obligation de substitution serait le droit de la participation au marathon et aux manifestations qui y sont associés puisque l’épreuve a été annulée après le départ. Mais celui-ci ne figurant pas dans le forfait touristique, l’agence n’était pas tenue de proposer un retour immédiat en France.

11-En définitive, les clients des agences de voyage se sont beaucoup agités pour un résultat somme toute assez décevant puisque ils sont déboutés dans la 1ère espèce (cour d’appel de Reims) et obtiennent dans la seconde (cour d’appel de Nîmes) la condamnation de l’agence à leur verser en tout et pour tout une indemnité  de 800 euros (alors qu’ils réclamaient chacun près de 3000 euros) en réparation de leur préjudice matériel né du manquement à l’obligation d’information, d’une part, et à l’inexécution partielle des prestations hôtelières, d’autre part.


Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus : 
 

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012





Notes:

[1] Ainsi une cour d’appel a admis qu’une randonnée à dos de dromadaire expressément mentionnée et proposée dans le descriptif du voyage remis à ses clients était comprise dans le forfait bien que la brochure ait précisé son caractère facultatif et sa mise en œuvre par un autre prestataire de services, rémunéré par le client (CA Montpellier, 1ère ch., sect. D, 16 juin 2009, n° 08/07008). Même raisonnement dans une autre espèce où une excursion facultative achetée sur place était mentionnée dans la brochure vantant l’attractivité du forfait touristique (CA Paris, ch. 17, sect. A, 10 nov. 2008. Juris-Data n° 372247).

[2] Comme une excursion en catamaran (Cass. 1ère civ., 13 déc. 2005, n° 03-18.864. Bull. civ. 2005, I, n° 505), une promenade en calèche (Cass. 1 ère  civ., 11 juin 2009, n° 08-15.906 ), une excursion en 4X4 lors d’un séjour au Maroc (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2015, n° 13-26.446).

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