Les besoins en ressources croissants des associations ou des fondations nécessitent souvent d’envisager tous les mécanismes de générosité possibles. Si les dons en direct, ou les donations et legs, apparaissent comme des schémas traditionnels, il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus afin de se confronter à d’autres régimes juridiques, tout aussi intéressants pour l’organisme bénéficiaire.
Et lorsque l’intérêt du bénéficiaire complète celui du bienfaiteur, se trouve alors établie la recette « gagnant-gagnant » permettant à la fois d’assurer la réussite du projet associatif d’un côté et l’optimisation de la gestion patrimoniale de l’autre.
Tel est le cas de la donation temporaire d’usufruit à une association.
– Rappels juridiques sur la donation temporaire d’usufruit
La pleine propriété d’un bien, quel qu’il soit, se décompose en deux éléments distincts :
– La nue-propriété, d’une part, se définissant comme étant l’abusus détenu sur ce bien, c’est-à-dire le droit de possession dudit bien ;
– L’usufruit, d’autre part, caractérisé par les notions d’usus (droit d’user le bien) et de fructus (droit de jouir des fruits générés par le bien).
Gérer son patrimoine, notamment immobilier, implique à ce titre d’opérer, parfois, des choix stratégiques, et notamment fiscaux, en opérant le démembrement de la pleine propriété du bien, c’est-à-dire, en attribuant la nue-propriété à une personne donnée (physique ou morale) et l’usufruit à une autre personne.
Dans ce cadre, la donation temporaire d’usufruit permet à une personne détenant un bien en pleine propriété, de donner, dans notre cas à une association ou une fondation soutenue, l’usufruit de ce bien pour une durée déterminée, afin de ne pas s’en départir définitivement.
En clair, pendant la période de démembrement, le nu-propriétaire reste le possédant du bien immobilier et l’association usufruitière peut utiliser, à sa guise, l’immeuble donné et en tirer des revenus qu’elle percevra exclusivement.
A la fin de la durée convenue, la pleine propriété est reconstituée intégralement dans les mains du nu-propriétaire, sans frais ni taxation.
Cela permet donc à un bienfaiteur de soutenir une cause associative en mettant à la disposition du projet associatif son ou ses biens immobiliers, tout en s’assurant de conserver, à terme, la pleine propriété du bien.
La réalisation de ce type de donation passe nécessairement par un acte établi devant un notaire, dès lors que l’opération concerne un immeuble ou des parts d’une Société Civile Immobilière (SCI), ce qui engendre inéluctablement la perception de frais notariés, qu’il convient donc d’anticiper.
Ces frais sont calculés sur la valeur retenue de l’usufruit, soit 23% de la valeur du bien en pleine propriété, par période décennale d’usufruit transféré, conformément aux prescriptions de l’article 669 II du Code Général des Impôts[1]. Ainsi, si l’usufruit est donné pour une période 8 ans, sa valeur est de 23% de la valeur réelle du bien en pleine propriété. Elle sera de 46% si l’usufruit est donné pour une période de 11 ans.
A noter qu’en cas de donation à une fondation ou association reconnue d’utilité publique, l’opération sera exonérée de droits de mutation à titre gratuit[2]. A défaut, cette taxation doit être prise en compte dans le processus de réflexion préalable à l’opération.
– Les intérêts fiscaux d’une donation temporaire d’usufruit à une association
Outre l’œuvre philanthropique voulant mettre à disposition une partie de son patrimoine au profit d’un organisme à vocation d’intérêt général, donner temporairement l’usufruit de son bien immobilier ajoute à cet esprit mécène une empreinte fiscale non dénuée d’intérêt.
En effet, en se séparant temporairement de l’usufruit de son bien, le donateur ne perçoit plus les revenus afférents, et, de fait, n’est plus soumis à la taxation de ces revenus.
Par ailleurs, se départir de l’usufruit aura un impact en matière d’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). Pour rappel, l’IFI a été créé par la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017, et s’applique à compter du 1erjanvier 2018, en remplacement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF).
L’IFI consiste en une taxation progressive des actifs immobiliers détenus par une personne physique, lorsque la valeur de ces actifs est supérieure à 1.300.000 euros[3].
Or, afin de déterminer si le patrimoine immobilier est bien supérieur à ce seuil, et donc si le contribuable est bien imposable, il convient d’exclure de l’évaluation les biens détenus seulement en nue-propriété[4].
En d’autres termes, donner temporairement l’usufruit de son bien immobilier, notamment à une association, permet d’écarter ce bien de toute potentielle taxation à l’IFI, voir, si ce bien est déterminant dans le dépassement du seuil, de ne plus être imposable à l’IFI.
Attention toutefois, le même article du CGI prévoit que si la donation temporaire d’usufruit est effectuée au profit d’une association reconnue d’utilité publique, le bien immobilier sera compris, respectivement, dans les patrimoines de l’usufruitier et du nu-propriétaire, selon l’évaluation indiquée ci-dessus.
Cette exception n’est pas expressément prévue pour les organismes d’intérêt général. Le régime d’exclusion des biens détenus en nue-propriété s’applique alors intégralement.
En clair, selon l’organisme bénéficiaire, le traitement de l’usufruit est différencié :
Donation à une association ou fondation d’intérêt général | Le nu-propriétaire n’intègre pas son bien immobilier dans son IFI |
Dons à une association ou fondation reconnue d’utilité publique | Le nu-propriétaire intègre le bien immobilier dans son IFI à hauteur de la valorisation de la nue-propriété (voir ci-dessus, l’usufruit étant évalué à 23% de la valeur réelle par période décennale) |
L’organisme bénéficiaire de la donation étant une personne morale, il ne sera, quant à lui, pas redevable de l’IFI.
Face à ce régime très favorable, l’administration fiscale a réagi, et pose certaines conditions à la régularité de l’opération de donation temporaire d’usufruit, au regard de l’IFI[5] :
– L’opération doit prendre la forme d’un acte notarié ;
– Elle doit être réalisée au profit des organismes suivants[6]:
– Fondations ou associations reconnues d’utilité publique ;
– Associations cultuelles ou de bienfaisance autorisées à recevoir des dons et legs ;
– Etablissements d’enseignement supérieur ou artistique à but non lucratif agréés
– La période de démembrement doit être d’au moins 3 ans ;
– L’opération doit porter sur des actifs contribuant à la réalisation de l’objet de l’organisme bénéficiaire et préserver les droits de l’usufruitier.
A défaut de respecter ces conditions, l’administration fiscale pourrait remettre en cause l’opération sur la théorie de l’abus de droit.
La donation temporaire d’usufruit est ainsi une opération qui peut combiner plusieurs avantages, à la fois juridiques (gestion de patrimoine), fiscaux (notamment au regard de l’IFI), mais également selon un point de vue mécène, en mettant à disposition son bien immobilier au profit d’une œuvre associative.
En communiquant sur ce schéma les associations et fondations peuvent alors s’assurer de moyens d’actions plus efficaces, tout en sécurisant le donateur sur la propriété de son patrimoine et en permettant de faire des économies d’impôt substantielles.
Anthony BERGER, Avocat NPS CONSULTING
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Notes:
[1]« L’usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier. »
[5]BOFIP BOI-PAT-IFI-20-20-30-10-20180608 n°280
[6]Les fonds de dotation ne sont pas mentionnés par la doctrine fiscale