C’est une décision tout à fait exceptionnelle que vient de rendre le Conseil d’Etat le 21 novembre 2007. En effet, en considérant qu’un organisme peut être qualifié comme étant sans but lucratif même s’il cherche systématiquement à générer des excédents, le Conseil d’Etat consacre sur le plan fiscal l’approche spécifique que peuvent avoir les associations et, plus généralement, les organismes sans but lucratif, en matière économique en tenant compte de l’affectation des profits réalisés. Une décision qui en dit long sur le chemin parcouru par l’Administration fiscale depuis ces dernières décennies.
Longtemps, la jurisprudence a exigé que la gestion de l’association soit déficitaire ou simplement équilibrée par des « apports de la charité publique ou privée », c’est-à-dire par des subventions, des dons ou legs. Lorsque ces conditions n’étaient pas remplies et que l’association tirait d’une activité déterminée, des excédents de recettes, elle devenait imposable, même si ces excédents étaient ultérieurement affectés au financement d’activités autres, désintéressées ou déficitaires.
C’est ce qui avait été jugé notamment, dans le secteur sanitaire et social, à propos d’associations exploitant des cliniques où les malades étaient reçus moyennant des prix égaux à ceux pratiqués par les autres cliniques de la région et ce, bien que les bénéfices retirés de leur exploitation aient été affectés au fonctionnement d’une école d’infirmières (1).
Ce critère avait pour lui l’avantage de la simplicité puisqu’il revenait à lier l’imposition de l’association à la simple constatation d’un excédent et l’exonération, à celle d’un déficit structurel. Mais il présentait l’inconvénient de pénaliser fiscalement les institutions sans but lucratif qui, sans perdre de vue leur vocation première, leur mission sociale, se seraient efforcées d’assainir leur gestion en réalisant des économies et en affectant le produit à l’amélioration de leur service rendu.
Un comble !
Une telle position de l’Administration a longtemps eu un effet pervers : celui de rendre les associations dépendantes des subsides des collectivités locales pour viabiliser économiquementleur projet statutaire.
C’est désormais vers une forme d’indépendance économique que les associations vont pouvoir aller.
En effet, la règle intangible selon laquelle « la réalisation d’excédents de recettes ne doit pas être systématiquement recherchée » (2) vient, par cette décision récente, de recevoir une atténuation marquante.
Le simple constat de la réalisations d’excédents ne suffira plus pour remettre en question le régime fiscal de principe des associations (non-assujettissement aux impôts commerciaux).
L’importance du critère de l’affectation des excédents doit désormais être pris en considération par les associations. Par là-même, le conseil d’Etat ne fait rien moins qu’aligner de manière explicite sa jurisprudence sur l’article 13 de la sixième directive, laquelle énonce à propos des exonérations de TVA relatives aux organismes sans but lucratif, que ces dernières « ne doivent pas avoir pour but systématique la recherche du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l’amélioration des prestations fournies » (3).
Une décision somme toute conforme à l’instruction fiscale de synthèse BOI 4 H-5-06 du 18 décembre 2006 (pt. 67), (4) mais, néanmoins, qui ne manque pas de surprendre dès lors que l’association visée intervient dans un domaine d’activités eminemment concurrentiel : les services et les conseils en informatique.
Une jurisprudence à suivre donc qui, en tout état de cause, ne dispense pas les associations du respect des autres règles posées par l’Administration fiscale en matière d’affectation des excédents (5).
En savoir plus :
CE, 21 novembre 2007, n°291375 : Voir en ligne
- Rencontre CESE : Comment pérenniser le financement des associations ? - 21 novembre 2024
- Les Mardis de l’ESS : Les communs numériques, levier de la transformation sociale ? - 20 novembre 2024
- Replay CIRIEC : Conférence internationale du 8 novembre 2024 – Paris - 14 novembre 2024
Notes:
[1] CE 19 mars 1955 n°30685, Maison de santé protestante de Bordeaux, Dr. fisc. 1955, n. 10, somm. 326 ; CE 24 nov. 1958, n°40-565, Dr. fisc. 1958, n°52, comm. 1092
[2] CE 10 juillet 1975, Dr. fisc. 1975, n°46-47, 1488
[3] Directive 77/388/CEE du Conseil, 17 mai 1977
[4] Instr. fisc. BOI 4 H-5-06 (pt. 67) : l’Administration fiscale avait déjà eu l’occasion de préciser le principe selon lequel il est légitime qu’un organisme non lucratif dégage, dans le cadre de son activité, des excédents, reflets d’une gestion saine et prudente
[5] Instr. fisc. préc. (pt. 67) : une utilisation manifestement abusive des excédents (rémunération de nombreux dirigeants, engagement de dépenses somptuaires par l’organisme au profit de ses membres,...) doit conduire à considérer que l’organisme de par ses modalités de gestion n’est pas non lucratif. En conséquence, dans une telle hypothèse, le critère tenant aux conditions de gestion de l’organisme doit être considéré comme non rempli pour l’appréciation de la non lucrativité de l’organisme