Par une ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ont été mises en œuvre diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19. Ces règles dérogatoires étaient applicables aux contrats publics en cours ou conclus entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d’une durée de deux mois soit jusqu’au 23 juillet 2020.

De nombreuses règles dérogatoires ayant principalement pour objet de protéger la trésorerie des entreprises ont ainsi été mises en œuvre pendant la période du premier état d’urgence sanitaire.

L’état d’urgence sanitaire a à nouveau été déclaré à compter du 17 octobre 2020 à 24 h par un décret en date du 14 octobre 2020. Pour autant, ce texte ne contient pas explicitement de nouvelles dispositions propres aux contrats de la commande publique. Cela signifie-t-il pour autant que plus aucune disposition dérogatoire n’est applicable ?

 

Tel n’est pas le cas, en effet, si les dispositions dérogatoires issues de l’ordonnance n° 2020-319 précitée du 25 mars 2020 ne sont plus en vigueur, en revanche, la période a été propice à l’adoption d’un certain nombre de textes mettant en place des dérogations voire des ajustements de manière pérenne en outre le projet de loi ASAP (projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique) tire les conséquences de la crise et projette de mettre en place des règles totalement nouvelles.

 

1 – A ce jour en effet un certain nombre de nouveaux textes ont été adoptés suite à la période de crise et sont toujours en vigueur.

  • Le décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 a ainsi relevé le seuil de 40 000 euros HT pour certains marchés de travaux en portant le seuil de dispense de mise en concurrence à 70 000 euros HT jusqu’au 10 juillet 2021.
  • Le même décret a prévu que les achats de denrées alimentaires peuvent être dispensées de mise en concurrence notamment si les achats sont effectués avant le 10 décembre 2020 et si la valeur du marché est inférieure à 100 000 euros HT (sous réserve que ces denrées aient été produites transformées et stockées avant le 11 juillet 2020).
  • L’ordonnance 2020-738 du 17 juin 2020 prévoit que les entreprises bénéficiant d‘un plan de redressement judiciaire pourront participer à des procédures de mise en concurrence sans avoir à démontrer qu’elles sont autorisées à poursuivre leur activité pendant cette période.
  • L’article 2 de l’ordonnance 2020-738 précitée prévoit que les marchés globaux doivent désormais contenir une part minimale d’exécution du marché au profit des PME ou artisans qui ne doit pas être inférieure à 10 % du montant du marché
  • Et la même ordonnance prévoit que la baisse de chiffre d’affaire d’un candidat pendant la période de crise sanitaire ne pourra pas être prise en compte pour apprécier (ou plutôt déprécier) la capacité économique du candidat (jusqu’au 31 décembre 2023)

 

2 –Mais c’est surtout le projet de loi ASAP (projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique) soumis au Conseil constitutionnel le 3 novembre dernier qui comporte une série de mesures destinées à soutenir les opérateurs économiques dans le cadre du plan de relance et à pérenniser certaines dispositions de simplification mises en place pendant l’état d’urgence sanitaire. Ces mesures si elles ne sont pas remises en cause par le Conseil constitutionnel devraient entrer en vigueur prochainement.

 

Les mesures envisagées sont les suivantes :

 

  • Relèvement temporaire du seuil de dispense de procédure pour les marchés de travaux. L’objectif est de faciliter la relance par les chantiers publics, en relevant à 100 K€ le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics de travaux. Avec cette mesure adaptée et strictement limitée dans le temps (jusqu’au 31/12/2022), les acheteurs pourront contracter plus rapidement avec des entreprises et notamment des PME. Ils restent soumis à l’obligation de publier les données essentielles du marché.

Dans le recours au Conseil Constitutionnel des députés indiquent que « cette hausse du seuil crée une insécurité juridique et vise à inscrire dans le droit commun une mesure qui paraît relever de l’exception puisqu’une clause de caducité est prévue en décembre 2022 ». Aussi ils estiment que cette hausse de seuil crée une rupture d’égalité entre les différents types d’entreprises en favorisant les grandes entreprises qui disposent des moyens nécessaires pour démarcher les acheteurs publics et passer des contrats directement, au détriment des PME et TPE. Encore ils estiment qu’ « il n’est pas démontré que les appels d’offres constituent des freins pour l’accès à la commande publique. »

 

  • Mise en place d’une hypothèse de dispense de procédures justifiées par un motif d’intérêt général. L’intérêt général permet de déroger à certaines obligations procédurales. Or la partie législative actuelle du code de la commande publique ne comporte pas la mention de l’intérêt général comme motif permettant de modifier les seuils par voie réglementaire. Cette mention permet de sécuriser juridiquement les évolutions réglementaires qui pourraient intervenir pour simplifier et accélérer la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique. Le motif d’intérêt général est donc ajouté parmi les hypothèses permettant au gouvernement d’intervenir. Il ne s’agit pas, toutefois, de permettre aux acheteurs de décider eux-mêmes de déroger aux procédures en fonction de leur propre appréciation de l’intérêt général à un moment donné. Les cas dérogatoires restent définis par décret en Conseil d’État (art. R. 2122-1 et s. du CCP).

Dans le recours au Conseil Constitutionnel des députés considèrent que  « la compétence de définir le « motif d’intérêt général » confiée par le pouvoir législatif au pouvoir réglementaire est très large. En renvoyant à l’autorité administrative le soin d’apporter des clarifications, il nous apparaît que le législateur n’a pas pleinement exercé sa compétence. La diligence de fixer ces règles relevant pourtant du domaine de la loi. Ainsi renvoyée au pouvoir réglementaire par le législateur, elle entache ce faisant cet article d’incompétence négative ». Ils estiment également que cette disposition « semble accessoire au regard des possibilités déjà offertes par le Code de la commande publique ».

 

  • Création d’un dispositif de circonstances exceptionnelles. Afin de pouvoir réagir plus rapidement et plus efficacement à la survenance de circonstances exceptionnelles nouvelles, la mesure a pour objet d’inscrire dans le code de la commande publique un dispositif pérenne, s’inspirant du dispositif mis en place pendant l’état d’urgence sanitaire, qui pourra être mis en œuvre par décret. Les acheteurs pourraient notamment :
    • aménager les modalités pratiques de la consultation (visites de chantier, délais de remise des plis…), sans toutefois modifier les conditions de la mise en concurrence ;
    • prolonger les contrats qui arrivent à échéance pendant la période de circonstances exceptionnelles, lorsque l’organisation d’une procédure de mise en œuvre ne peut être mise en oeuvre ;
    • proroger, de façon proportionnée, le délai d’exécution des marchés lorsque l’exécution des prestations concernées en temps et en heure occasionnerait pour le titulaire une charge manifestement excessive ;
    • surtout, quelles que soient les clauses du contrat, les entreprises ne pourront être sanctionnées en cas de difficulté d’exécution liées à la crise (exonération des pénalités de retard, interdiction de l’exécution aux frais et risques du titulaire défaillant).

Dans le recours au Conseil Constitutionnel des députés estiment qu’une telle disposition « nécessiterait une étude d’impact, un avis du Conseil d’Etat et un débat et non pas une introduction soudaine dans un texte au contenu disparate ».

 

  • Extension du régime d’exclusion des marchés de services juridiques. Le Gouvernement semble souhaiter revenir sur le choix fait en 2015 de ne pas transposer les dispositions permettant d’exclure des procédures de passation des contrats, les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat et les services de consultation juridique qui se rapportent à un contentieux existant ou à venir, et permettre ainsi aux acheteurs et autorités concédantes de passer de tels contrats de gré à gré. Cette mesure est conforme aux directives européennes et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et a fait l’objet d’un avis favorable du Conseil d’État.

 

  • Autres mesures de simplification. Les parlementaires ont également entendu assouplir le dispositif de réservation des marchés publics en faveur des structures d’insertion de personnes handicapées ou défavorisées. Le Gouvernement a proposé de faciliter la poursuite d’activité des entreprises en redressement judiciaire, de réserver une partie de l’exécution des marchés globaux aux PME et artisans et de faciliter la modification des contrats en cours d’exécution en faisant application des règles européennes issues des directives de 2014.

 

À suivre…

 

 

Anne-Cécile VIVIEN, avocat au Barreau de LYON, docteur en droit public

 

 

 

 

 

 

 

 






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