Une fois n’est pas coutume, c’est sur le mode de l’interview que l’Institut ISBL CONSULTANTS a choisi de vous proposer son éditorial du mois. Pour cela, il nous a semblé naturel d’interroger l’un de nos consultants, Viviane TCHERNONOG (Chercheur au CNRS – Centre d’Economie de la Sorbonne) reconnue sur le plan national comme un expert incontournable du monde associatif. A plusieurs reprises, le Gouvernement a clairement émis le souhait de redonner toute leur place à la convention pluriannuelle d’objectifs et à la subvention (1). Après l’adoption de la circulaire Fillon du 18 janvier 2010 et alors même que l’on s’apprête à proposer une nouvelle charte d’engagements réciproques entre l’Etat, les collectivités et les associations, il nous est donc apparu important de faire un point sur l’état et la nature des financements publics accordés aux associations. En effet, beaucoup d’informations contradictoires circulent. Qu’en est-il réellement de la situation actuelle ?
Institut ISBL CONSULTANTS : Vous venez de conduire une enquête sur l’état du monde associatif en 2012. Comment les financements publics ont-ils évolué dans les dernières années, qui ont été marquées par la crise économique et la contraction des finances publiques?
Viviane Tchernonog : « Les financements publics représentent la moitié des budgets associatifs aujourd’hui. L’analyse des évolutions intervenues depuis 2000, et qui se confirment pour la période plus récente, montre que les financements publics en direction du secteur associatif ont continué d’augmenter en volume, les collectivités locales – et en particulier les conseils généraux compensant la baisse des financements de l‘Etat. Dans les six dernières années, ce sont les seuls conseils généraux qui ont porté le financement public, les autres collectivités – y compris désormais les communes – voient baisser leur poids relatif dans le financement global du secteur associatif. Au total, le développement du secteur associatif, qui s’est poursuivi malgré la crise jusqu’en 2010 a été porté par le financement privé, et en particulier par la participation des usagers au service rendu. »
IIC : Les associations se plaignent en particulier d’une généralisation de la commande publique et d’une raréfaction des subventions publiques. L’enquête permet-elle de mesurer ces évolutions ?
V.T. : « L’augmentation annuelle moyenne des financements publics est le résultat de deux évolutions contraires ; depuis 2005 – date de notre précédente enquête – les subventions publiques ont baissé à un rythme très rapide : plus de 3% par an, soit 18% dans les 6 dernières années, tandis que la commande publique a crû à un rythme annuel de 9%. On peut donc conclure que la commande publique a tendance à se généraliser. La subvention publique était il y a encore peu de temps largement majoritaire dans le financement public, elle représente plus que la moitié des financements publiques, soit le quart des ressources du secteur associatif. »
IIC : Peut-on en conclure que les subventions publiques constituent encore un poids important dans le financement du secteur associatif ? Et comment expliquer alors que de nombreuses associations indiquent ne plus pouvoir avoir accès à des financements publics de type « subvention » ?
V.T. : « Si le poids des subventions publiques demeure effectivement encore important dans le budget cumulé du secteur associatif, il faut être attentif à la manière dont les subventions publiques sont réparties entre les associations. L’enquête permet de faire plusieurs constats.
D’abord, les subventions publiques restent encore fréquentes : au total près d’une association sur deux perçoit une subvention publique, mais cette fréquence élevée est surtout le résultat des relations qu’entretiennent les communes qui versent des subventions publiques, souvent aux petites associations sans salarié : 60% des subventions publiques sont inférieures à 200 euros ! Ce financement est accessoire pour les petites associations qui gèrent souvent des budgets très limités et s’appuient principalement sur le bénévolat et sur la mise à disposition de locaux pour mettre en place leurs actions. Mais il a une dimension symbolique importante : il exprime une reconnaissance réciproque entre communes et associations. Le poids des petites subventions versées est cependant très limité : 72% des associations se répartissent 2% des subventions publiques.
En réalité, les ¾ des subventions publiques sont très concentrées dans quelque 26 000 associations qui gèrent de très gros budgets et qui sont le plus souvent délégataires de missions de services publics. Ce type d’associations se développe notamment sous l’effet d’une tendance à l’externalisation d’un certain nombre de missions de services publics locaux dans un cadre associatif, et le financement y est souvent assuré par une subvention publique très importante qui couvre la plus grande part des dépenses de l’association.
L’analyse de la répartition des subventions publiques selon la taille et l’âge des associations apporte des informations importantes pour la compréhension de l’usage des subventions publiques.
L’enquête montre en effet que les associations de taille moyenne, qui ont recours à l’emploi de professionnels salariés et qui remplissent au niveau local des actions en direction de publics en difficultés sont celles qui connaissent les plus grandes difficultés en matière de financement.
Elles ne sont souvent pas outillées comme les plus grandes pour participer à des appels d’offres et bénéficier de commandes publiques. Une grande partie de leurs ressources est tirée de la participation des usagers au service rendu par l’association. Ce sont elles qui souffrent des difficultés d’accès aux ressources publiques et aux subventions publiques en particulier qui leurs sont d’autant plus nécessaires que ces associations doivent assurer les dépenses liées au bénévolat et qu’elles mettent en place des projets associatifs qui ont un fort contenu. Les jeunes associations, souvent porteuses d’innovations, ont du mal à pénétrer les circuits de financements publics et à accéder en particulier aux subventions publiques : les associations créées depuis 2005 – qui représentent 23% du nombre d’associations à la date de l’enquête ont perçus 5% des subventions publiques en direction du secteur associatif. Les réflexions en cours sur la sécurisation des financements et le soutien à l’initiative associative doivent prendre en compte la capacité de ces associations à accéder aux financements publics. »
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