La loi DADUE[1]LOI n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports … Continue reading du 9 mars 2023 (publiée au Journal Officiel le 10 mars 2023) a apporté des modifications au régime des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) en France. Cet article a pour objectif d’informer les associations et fondations qui sollicitent des dons en actifs numériques sur les nouvelles dispositions légales et les garanties supplémentaires qui vont être demandées, à compter de l’été 2023, aux prestataires de services sur actifs numériques.

 

I. Les prestataires de services sur actifs numériques concernés

Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) concernés par la loi DADUE sont ceux qui proposent des services liés aux actifs numériques tels que définis à l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier, c’est-à-dire :

  • Les jetons qui ne contiennent pas de droits similaires à des instruments financiers (droits de créance, droits financiers, droits politiques) mais qui représentent, « sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Entrent en particulier dans cette catégorie les jetons utilitaires qui sont proposés dans le cadre des levées de fonds en actifs numériques (« Initial Coin Offering ») ou en dehors de ce dispositif de visa encore optionnel.

  • Les « cryptomonnaies » ou « stablecoins » (jetons adossés à des devises ou d’autres actifs numériques) qui sont définis comme la « représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Depuis la loi « PACTE [2]LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, telle que modifiée par l’ordonnance n°2020-1544 du 9 décembre 2020», tout prestataire qui propose un service de conservation, d’achat/vente/échange et notamment la conversion en monnaie légale, ou l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques, doit obtenir un enregistrement auprès de l’AMF[3]Autorité des marchés financiers, avec avis conforme de l’ACPR[4]Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

En l’occurrence, les associations et fondations qui font appel aux dons en actifs numériques peuvent donc être dans l’obligation de passer par l’intermédiaire de ces prestataires, notamment lorsque les dons sont conservés par cet intermédiaire.

 

II. Le contexte de l’intervention de la loi DADUE pour le secteur des PSAN

L’objectif initial de la loi DADUE concernant les PSAN était de faire disparaitre la procédure d’enregistrement au profit de la procédure d’agrément. L’agrément aujourd’hui optionnel pour tous les services – y compris les services visés au 5° de l’article L. 54-10-2 qui ne sont pas encore concernés par l’enregistrement obligatoire – devait donc devenir la nouvelle norme dès cette année.

La disparition de l’enregistrement préfigurait l’entrée en application du Règlement européen MiCA, adopté par le Parlement européen le 20 avril dernier et qui va mettre en place au niveau des États membres un passeport européen prenant la forme d’un agrément obligatoire fortement inspiré de l’agrément national français. Les PSAN enregistrés, agréés ou ceux exerçant un des services auparavant autorisés sans enregistrement ou agrément[5]Services énumérés au 5° de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier : réception et transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, gestion de … Continue reading bénéficient d’un délai de 18 mois à compter de son entrée en application[6]Entrée en application qui intervient, pour les PSAN, 18 mois après la date d’entrée en vigueur du règlement. pour se mettre en conformité.

Il s’agissait également de répondre aux inquiétudes du régulateur exprimées en réaction à la faillite de la plateforme FTX, causée notamment par une politique de gestion défaillante des cryptoactifs conservés pour le compte des clients (dont quelques PSAN français).

Cette disparition programmée a fait l’objet de débats au sein de la filière « crypto », les PSAN faisant valoir, à juste titre, que l’accélération du calendrier européen par l’intermédiaire de l’agrément français allait aggraver les problèmes d’ores et déjà rencontrés – allongement des délais de traitement des dossiers, exigences difficiles voire impossibles à mettre en pratique, notamment concernant le respect des standards en matière de cybersécurité ou d’assurance responsabilité civile. Ces difficultés expliquent en partie l’absence de délivrance de l’agrément à ce jour, malgré un nombre croissant de dossiers déposés.

Lors de l’examen du texte en première lecture, des désaccords sont intervenus entre le Sénat et l’Assemblée nationale, celle-ci rejetant la suppression de l’enregistrement et préférant opter pour une solution de compromis consistant à renforcer l’enregistrement existant en imposant de nouvelles exigences le rapprochant de l’agrément.

La Commission mixte paritaire, chargée de trancher le désaccord entre les deux chambres, s’est finalement positionnée sur un enregistrement « particulièrement » renforcé comprenant, notamment, l’obligation de mise en place d’un système informatique résilient et sécurisé. Le dispositif temporaire ne prévoit pas toutefois encore d’exigences en matière de fonds propres ou d’assurance civile professionnelle.

Ce nouvel enregistrement est imposé aux acteurs candidats à l’enregistrement dont le dossier déposé avant cette date ne serait pas considéré comme complet[7]La procédure décrite aux articles D. 54-10-1 et suivants du Code monétaire et financier ne prévoit pas de formalisme imposé au régulateur permettant d’acter qu’un dossier est complet, il … Continue reading au 1er juillet 2023. Un délai tampon qui s’achève le 1er janvier 2024 permet à l’AMF d’enregistrer tout demandeur, selon les textes applicables avant la réforme, dans les six mois qui suivent le dépôt de son dossier jugé complet par l’AMF.

Les acteurs déjà enregistrés ne sont donc pas concernés par ce nouveau régime.

 

III. Les nouvelles exigences imposées aux acteurs dans le cadre de l’enregistrement renforcé

Les garanties supplémentaires que les PSAN doivent offrir comprennent notamment la protection contre les risques de vol ou de perte de cryptoactifs, la transparence sur les frais de transaction, ainsi que la garantie de la liquidité des actifs numériques.

C’est-à-dire que, désormais, le nouvel article L.54-10-3 5° et 6° du Code monétaire et financier, prévoit que les PSAN devront :

  • Disposer d’un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat
  • Disposer d’un système de gestion des conflits d’intérêts
  • Disposer d’un système informatique résilient et sécurisé
  • Communiquer à leurs clients « des informations claires, exactes et non trompeuses, notamment les informations à caractère promotionnel » (obligation dont ils étaient déjà débiteurs vis-à-vis de leurs consommateurs) et les avertir des risques associés aux actifs numériques
  • Publier leur politique tarifaire
  • Mettre en place une politique de gestion « rapide » des réclamations

Les PSAN qui assurent le service de conservation au sens de du 1° de l’article D.54-10-1 du Code monétaire et financier[8]« le fait de maîtriser, pour le compte d’un tiers, les moyens d’accès aux actifs numériques inscrits dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé et de tenir un … Continue reading ont des obligations supplémentaires dans un objectif de protection des actifs appartenant aux investisseurs :

  • Mettre en place un dispositif efficient de séparation des actifs détenus pour compte propre et des actifs détenus pour compte de tiers, lequel devra probablement s’appuyer sur des dispositions équivalentes à celles prévues à l’article 722-1 du RGAMF[9]Règlement général de l’AMF
  • Mettre en place un dispositif efficient de restitution, « dans les meilleurs délais », des actifs numériques, permettant à minima au client d’y avoir un accès, si la conservation est maintenue. Sur ce point, il est précisé dans la recommandation 2020-07[10]Applicable à l’agrément, mais qu’on pourra probablement dupliquer pour l’enregistrement renforcé que « la restitution des actifs numériques doit s’entendre comme la restitution de la maîtrise des moyens d’accès aux actifs numériques » et que « l’obligation de restitution du conservateur agréé entraîne nécessairement, pour lui, une fois cette restitution mise en œuvre, de ne plus pouvoir transférer ou mouvementer les actifs numériques appartenant au client », impliquant de « transférer les actifs numériques du client sur un portefeuille externe préalablement désigné par le client », sauf s’il est convenu que « la restitution porte sur des actifs numériques équivalents ou en monnaie ayant cours légal ».
  • S’abstenir de faire usage des actifs numériques détenus pour le compte des clients, ou de leurs moyens d’accès (clés cryptographiques), sans leur « consentement exprès et préalable » ;
  • Mettre en place une convention définissant leurs missions et obligations vis-à-vis des clients
  • Établir une politique de conservation, laquelle devrait rappeler les obligations de ségrégation du PSAN

Ces exigences se rapprochant par conséquent de celles d’ores et déjà demandées pour l’agrément PSAN, leurs modalités peuvent être appréhendées par l’intermédiaire des instructions de l’AMF DOC 2019-23, DOC 2019-24 et position-recommandation AMF DOC 2020-07.

Les associations et fondations qui confient la conservation de cryptoactifs recueillis dans le cadre de dons devront par conséquent être particulièrement vigilantes sur le respect, par les PSAN, de ces nouvelles obligations qui leur impose une transparence totale, laquelle ne peut qu’aller dans le sens des valeurs portées par l’économie sociale et solidaire.

 

 

 

Marina CARRIER, Associée au sein du cabinet Halt Avocats                  

Anne RAOUL-TARDIEU, Associée au sein du cabinet Arao Avocats

 

 

 

En savoir plus :

Consultez le dossier piloté par l’Institut ISBL pour Juris Associations,  : « Cryptomonnaies : codes d’accès », n°670 du 15 décembre 2022, sur les perspectives que représentent les cryptomonnaies et la blockchain pour le secteur des organismes sans but lucratif

 

Marina Carrier

References

References
1 LOI n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture
2 LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, telle que modifiée par l’ordonnance n°2020-1544 du 9 décembre 2020
3 Autorité des marchés financiers
4 Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
5 Services énumérés au 5° de l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier : réception et transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers, conseil aux souscripteurs d’actifs numériques, prise ferme d’actifs numériques, placement garanti d’actifs numériques, placement non garanti d’actifs numériques
6 Entrée en application qui intervient, pour les PSAN, 18 mois après la date d’entrée en vigueur du règlement.
7 La procédure décrite aux articles D. 54-10-1 et suivants du Code monétaire et financier ne prévoit pas de formalisme imposé au régulateur permettant d’acter qu’un dossier est complet, il est simplement précisé à l’article D. 54-10-3 que « lorsque l’Autorité des marchés financiers constate que le dossier n’est pas complet, elle demande au demandeur communication des éléments manquants ». La prudence voudrait par conséquent qu’un dossier soit considéré comme incomplet tant qu’il n’est pas en état d’être présenté devant le Collège de l’AMF.
8 « le fait de maîtriser, pour le compte d’un tiers, les moyens d’accès aux actifs numériques inscrits dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé et de tenir un registre de positions, ouvert au nom du tiers, correspondants à ses droits sur lesdits actifs numériques ».
9 Règlement général de l’AMF
10 Applicable à l’agrément, mais qu’on pourra probablement dupliquer pour l’enregistrement renforcé





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