Le retour de l’ESS au ministère de l’économie et dans le portefeuille d’Olivia Grégoire, secrétaire d’Etat aux PME, serait-elle une bonne nouvelle pour le développement des territoires ?
Stupeur à l’annonce du remaniement ministériel le 20 juillet : tous les portefeuilles concernés avaient un(e) remplaçant sauf un seul : l’ESS. Marlène Schiappa débarquée, le Secrétariat d’Etat à « l’ESS et à la vie associative » a disparu avec elle. C’est quelques heures plus tard qu’Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, annonçait son plaisir de se voir à nouveau confier l’ESS en plus de son portefeuille actuel. Certains regretteront qu’il n’y ait plus de Secrétariat dédié à l’ESS.
L’ESS inexistante dans l’opinion
La Macronie – comme presque tous les gouvernements qui l’ont précédé – ne connaissait pas l’ESS en prenant le pouvoir. Tous les acteurs de l’ESS peuvent en témoigner : la perception de l’ESS comme réalité existe peu chez les décideurs politiques et économiques, tout comme elle n’existe en fait pas dans le grand public ni ceux qui s’en font l’écho : les médias. Même si le concept est aujourd’hui bien plus connu et a même gagné sa reconnaissance internationale, elle peine à entrer dans le débat public. Les raisons en sont historiques et donc affaire d’évolution des représentations culturelles, mais il y a aussi des raisons objectives : dans une économie et une société qui se sont hyper-professionnalisées, toujours plus pointues et complexifiées, la logique sectorielle l’emporte sur les raisonnements transverses ou systémiques. Chacun dans son métier défend d’abord son métier. Et les politiques publiques se font donc d’abord métier par métier.
Des politiques publiques par secteur d’activité et peu transverses
L’INSEE découpe l’activité économique en branches métier. L’emploi est aussi découpé en branches professionnelles. Le secteur bancaire est d’abord régulé par la réglementation bancaire. La santé est d’abord régulée par la réglementation santé. Etc. Ce qui ne veut pas dire que les logiques transverses sont ignorées : dans le droit français qui distingue depuis le 19e siècle (donc depuis peu finalement) les sociétés (sous-entendu lucratives) et les associations (sous-entendu non lucratives), il y a souvent eu une représentation politique dédiée de la vie associative. De même, les partenaires sociaux sont certes subdivisés en métiers, mais fédérés en organismes de tutelle transversaux pour incarner les conflits d’intérêt historiques entre d’un côté les entreprises pour l’économie et les salariés pour le social avec leurs syndicats représentatifs. De même aussi, il est acté de longue date qu’au sein même des entreprises, il est logique d’organiser une représentation politique différente pour les grandes entreprises, les PME/TPE et les artisans ou commerçants. Autrement dit, tout le travail consiste maintenant à faire en sorte d’acter définitivement que l’ESS est elle aussi une vision transverse qui justifie un objet dédié qui transcende les particularités de métier.
La Macronie découvre peu à peu l’ESS
La parenthèse Schiappa
En 2022, Emmanuel Macron est réélu. Avec sa toute nouvelle première ministre, Elisabeth Borne, il constitue son gouvernement en fonction des divers bilans à chaque poste. Pour Olivia Grégoire, l’objectif est atteint. La loi PACTE, c’est fait. Il réoriente Olivia Grégoire sur le portefeuille des PME/TPE qu’elle incarne bien et pendant quelques jours, l’ESS n’existe plus. Le président de la République prend conscience néanmoins qu’il lui manque dans son gouvernement quelqu’un qui sache occuper l’espace médiatique et être combatif dans l’arène politique. Il rappelle Marlène Schiappa et à défaut de pouvoir lui donner un autre portefeuille, lui confie (par défaut ?) un secrétariat dédié à « l’ESS et à la vie associative ». Le bilan s’avère calamiteux : totalement en décalage sur les questions économiques qui sont aux antipodes de sa personnalité, Marlène Schiappa fait du mieux qu’elle peut pour jouer son rôle d’animatrice des travaux entre têtes de réseaux ESS. Mais en n’attirant l’attention que sur elle, le droit des femmes et sur ses polémiques, elle réussit la performance de rendre l’ESS totalement inexistante, y compris au sein du gouvernement, alors même que c’était le portefeuille qui lui avait été confié.
ESS, PME et artisans commerçants : l’économie du développement local
Et donc nous arrivons au quatrième acte. Après trois ans de pouvoir, la Macronie a compris dans un premier temps que l’ESS existait. Puis, avec Olivia Grégoire, elle s’est aperçue que le combat pour un capitalisme responsable est une chose, et celui pour l’ESS en est une autre. Et avec Marlène Schiappa, elle a compris que social et solidaire ne se confondent pas avec le droit des femmes et que dans ESS, il y a bel et bien économie. Après trois expériences somme toutes bien peu concluantes pour l’ESS, on aurait pu redouter que l’ESS disparaisse totalement des radars compte tenu de toutes les autres priorités colossales : écologie, énergie, santé, éducation, sécurité, logement, budget, etc. C’est le contraire qui se passe. D’une part, l’ESS existe toujours. D’autre part, elle fait son retour au ministère de l’Economie. Tertio, elle est rattachée au portefeuille des PME, artisans, commerçants, ce qui est pleinement cohérent avec ce qui leur est commun : la priorité au métier et à l’ancrage territorial. Et enfin, ce Secrétariat d’Etat – qu’on pourrait résumer comme celui de « l’économie territoriale » ou « économie du développement local » – est confié à Olivia Grégoire, qui connaît maintenant l’ESS et pourra donc s’attaquer aux dossiers de fond dès sa prise de fonction sans avoir besoin de « temps de chauffe » pour connaître les gens et comprendre les dossiers.
Tout n’est pas gagné pour autant. On peut aussi imaginer que dans une optique politicienne des prochaines échéances électorales, la Macronie ait à cœur de donner des gages à tout le monde, y compris à l’ESS et donc à ne pas la faire disparaître, quelles que soient ses convictions en la matière. Il faudra donc juger sur pièces et dans les actes. Mais quand les gens se connaissent déjà, c’est un grand pas pour faciliter la mise en œuvre d’actions concrètes. Ne boudons donc pas ce renvoi de l’ESS à Olivia Grégoire. Et au contraire, demandons à la chercheuse et rédactrice en chef de la RECMA, Maryline Filippi, d’envoyer en cadeau de bienvenue à Olivia Grégoire le très bon ouvrage qu’elle a piloté et publié récemment : « la responsabilité territoriale des entreprises »[1]https://www.editionsbdl.com/produit/la-responsabilite-territoriale-des-entreprises/. Elle sera éclairée sur la pertinence de la bonne alliance à trouver entre tous les acteurs du développement local : ESS, PME/TPE, artisans/commerçants, collectivités, etc.
Pierre LIRET, expert coopératif, consultant, enseignant
En savoir plus :
Danone ou l’impasse de l’entreprise à mission, Pierre Liret, éditorial ISBL magazine novembre 2020
ESS, qui sommes-nous ?, Pierre Liret, éditorial ISBL magazine juillet 2020
Loi PACTE : quel impact pour l’ESS ?, Pierre Liret, éditorial ISBL magazine avril 2020
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