L’Etat n’a pas besoin d’être actionnaire pour maîtriser sa souveraineté économique.  D’une part, c’est lui qui fixe les règles. D’autre part, il peut encourager le modèle ESS ancré sur les territoires et par conséquent protégé de toute ingérence.

 

L’annonce de la vente d’Opella et de son produit phare, le Doliprane, a soulevé un débat sur la souveraineté économique et la pertinence de l’Etat actionnaire : doit-il être présent au capital d’Orange, des Aéroports de Paris (ADP), de Renault ou de la Française des Jeux ? Fallait-il céder les autoroutes au privé qui en a tiré une rente juteuse sur le dos du citoyen ? Sur l’enjeu du désendettement, il faut se méfier quand l’Etat décide de se désengager pour boucher un trou financier. La vente soulage à court terme, mais pas toujours à long terme. Le bon sens serait de peser les gains issus de la vente et la baisse des intérêts qui en résulte sur la dette, au regard des dividendes perdus. Mais bizarrement, pour Opella, ce calcul primaire n’a pas été médiatisé. Reste la seule question qui vaille : celle de la souveraineté économique : l’Etat doit-il devenir actionnaire pour peser dans les décisions d’une entreprise et si oui, à quelle hauteur ? Dans le cas Opella, un accord a été trouvé entre le fonds américain repreneur et l’Etat pour le maintien de l‘activité et un investissement sur 5 ans sous peine de sanctions. Sous la pression, l’Etat a aussi décidé de prendre 1 à 2% du capital d’Opella, soit 100 à 150 millions d’€ « pour avoir un siège au Conseil d’administration ». Autant cette dépense peut avoir un sens en termes de dividendes à venir, autant elle n’en a aucun en termes de poids au Conseil d’administration et donc de souveraineté économique.

 

Electricité, l’exemple de la souveraineté abandonnée

La question est donc de savoir si l’Etat peut peser sur une entreprise qu’il juge stratégique sans en être actionnaire. La réponse est oui puisque c’est lui qui fixe les règles. Les pitoyables atermoiements de la gestion d’EDF et de la fourniture d’électricité depuis 30 ans en est le triste contre-exemple, comme l’a récemment rappelé l’ancien ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg : jusqu’au début des années 2000, EDF produisait de l’électricité à bas coût, équilibrait ses comptes et pouvait investir. Tous étaient gagnants. Avec l’ouverture à la concurrence européenne (purement factice puisque concentrée sur la toute dernière étape de la fourniture, c’est à dire la commercialisation et qui plus est totalement tributaire d’une réglementation européenne contraignante), l’Etat français a changé ses règles pour sciemment saborder son fleuron[1]Lire L’étrange débâcle – Comment la France a perdu sa souveraineté énergétique Broché – Henri Proglio (Auteur), Pierre Abou (éditions Michel Lafon), l’amenant à creuser ses déficits et finalement à devoir dépenser près de 10 milliards en 2023 pour renationaliser l’entreprise. Le débat sur la dette de l’Etat devrait inciter à retenir la leçon de cette pitoyable gestion de privatisation qui au final, coûte plus cher à tout le monde : Etat, consommateurs et contribuables français. Si l’Etat français avait bien géré, il aurait défendu son modèle d’autonomie énergétique auprès de ses partenaires européens pour les inciter à l’imiter (avec ou sans nucléaire) plutôt que de créer une pseudo-concurrence. Et Michel Barnier n’aurait pas aujourd’hui 60 milliards à trouver, mais 10 de moins.

Les écologistes objecteront qu’il était suicidaire de poursuivre sur la route d’un EDF nationalisé et en réalité totalement opaque car confisqué par un « lobby nucléaire » qui n’aurait jamais pris l’initiative d’amorcer le développement des énergies renouvelables. Certes. Mais en réalité, l’ouverture à la concurrence européenne n’a pas été un meilleur détonateur et les gouvernements français qui se sont succédé, n’ont pas plus réussi à engager la diversification éolienne et solaire comme ses voisins du Nord de l’Europe l’ont fait. Les causes sont connues et malheureusement toujours les mêmes aujourd’hui : centralisation, bureaucratie, conservatisme, corporatisme, impossibilité de mise en œuvre des décisions politiques (les mesures d’accélération des énergies renouvelables étaient posées dès 2009 dans le Grenelle de l’environnement) et opposition des habitants selon le syndrome connu : oui au changement, mais pas chez moi (NMBY = not in my backyard).

On le découvre aujourd’hui avec la crise industrielle qui éclate et l’inquiétude sur bon nombre d’usines en grande difficulté : l’énergie est le premier facteur de la souveraineté d’un pays[2]Outre le prix de l’énergie, l’industrie européenne est confrontée à une productivité moindre que les USA et la Chine plus en avance sur l’IA et les nouvelles technologies; elle … Continue reading. Quand elle a mis le paquet pour développer sa puissance nucléaire, la France du Général de Gaulle avait pris la mesure de l’enjeu vital de ne pas dépendre des autres pour son énergie. Et quand on n’a pas sur son sol assez de charbon, de pétrole ou de gaz, il n’y a en réalité pas d’autre choix que de développer l’électricité et la produire autrement que par les énergies fossiles qu’on n’a pas. D’où l’intérêt du nucléaire, mais aussi des autres sources d’énergie : hydraulique, biomasse, solaire et éolien. Et face à cet enjeu, l’Etat aurait déjà dû sauver son soldat EDF et face aux enjeux de l’innovation énergétique et électrique, aurait pu mettre le paquet pour encourager ses territoires à pouvoir développer leur propre autonomie énergétique.

Il est à noter que les projets de parcs éoliens et solaires qui échouent sont ceux qui sont parachutés d’en haut par de grandes entreprises s’appuyant sur leurs moyens financiers et que ceux qui voient le jour et se développent sont ceux qui sont construits avec les habitants concernés dans la logique ESS de prise en main des bénéficiaires par eux-mêmes sur les besoins qui sont les leurs. L’Allemagne expérimente de très longue date avec succès le fonctionnement de coopératives d’énergie citoyenne produite localement pour les clients locaux. Il existe plus de 900 coopératives d’électricité aux Etats-Unis et ce de très longue date : chaque Etat dispose ainsi de sa souveraineté et de son autonomie énergétique sans avoir besoin de se poser la question de nationaliser ou en devenir actionnaire.

 

La banque, souveraineté économique au moindre coût

Autre secteur : la banque. Y a-t-il secteur plus stratégique pour l’économie d’un pays que la gestion du nerf de la guerre : l’argent ? Et pourtant, le groupe public de la Caisse des Dépôts avec 22 milliards de PNB (produit net bancaire) est loin derrière les cinq premières banques privées françaises : BNP Paribas, Société générale, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel. Les deux premières sont des banques capitalistes avec un actionnariat diversifié. L’Etat a injecté de l’argent chez BNP Paribas pour l’aider lors de la crise financière de 2009. Il a été remboursé de 5 milliards en 2023. L’Etat est aussi présent dans le capital de la Société générale via la Caisse des Dépôts qui en détient 4%. En clair, l’Etat est peu présent dans ces banques, mais il n’en pèse pas moins sur leur gestion puisque le ministère de l’Économie et des Finances assure la réglementation et la supervision du secteur bancaire et financier avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF).

 

Le mutualisme, garant de la souveraineté économique

Encore plus vertueux et plus sécurisant pour les finances de l’Etat : le statut mutualiste des autres grandes banques que sont les groupes Crédit Agricole, BPCE (Banques Populaires et Caisses d’épargne) et Crédit Mutuel. Dans ce modèle, les banques sont 100% privées, mais l’Etat n’a pas besoin d’y investir car les banques appartiennent à leurs clients et à elles-mêmes. Ces banques ont certes diverses filiales capitalistes, voire cotées en Bourse. Mais en appartenant à elles-mêmes et à leurs clients, elles sont indépendantes d’actionnaires extérieurs et libres à l’égard des marchés financiers. Ce modèle de mutualisation à grande échelle de l’argent des Français et pilotés avec eux par des dirigeants qui ont obligation de réinjecter statutairement leurs bénéfices dans l’entreprise sans dividende à payer, est la meilleure sécurité pour l’Etat de voir son économie garder sa souveraineté sans rien dépenser. Le groupe Crédit Agricole est la 9e banque mondiale et contribue à notre souveraineté économique sans aucune présence de l’Etat au capital.

 

 

Pierre Liret, consultant, conférencier, membre de la coopérative Coopaname

 

Pierre Liret

References

References
1 Lire L’étrange débâcle – Comment la France a perdu sa souveraineté énergétique Broché – Henri Proglio (Auteur), Pierre Abou (éditions Michel Lafon)
2 Outre le prix de l’énergie, l’industrie européenne est confrontée à une productivité moindre que les USA et la Chine plus en avance sur l’IA et les nouvelles technologies; elle est aussi confrontée à des normes plus contraignantes que sur les autres continents et enfin, les prélèvements sociaux et fiscaux pèsent plus en France qu’ailleurs





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