Le scandale provoqué par les 66 millions d’euros de rémunération du PDG de Stellantis relève moins de son montant que de l’impossibilité pour les salariés du groupe et les pouvoirs publics d’avoir leur mot à dire, analyse, dans une tribune au « Monde »[1]Cette tribune a fait l’objet d’une publication dans le quotidien « le Monde » du lundi 18 avril 2022, Pierre Liret, entrepreneur et militant coopératif à Coopaname.

 

Interrogé sur BFM TV à propos des 66 millions d’euros de rémunération du PDG de Stellantis, Carlos Tavares, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a considéré que Stellantis est une entreprise privée et « qu’à la fin ce sont les actionnaires qui décident et qui votent ». Il a eu beau expliquer ensuite que le gouvernement souhaite favoriser un meilleur partage de la valeur avec les salariés dans les entreprises qui versent de gros dividendes, le président de la République a eu beau rectifier le lendemain en déclarant au micro de France Info qu’il jugeait ce montant « excessif et choquant », son porte-parole a fait aveu d’impuissance, laquelle s’est confirmée dans les faits : l’Etat actionnaire a voté contre la rémunération, mais le PDG est passé outre en s’appuyant sur le vote majoritaire. Ainsi a-t-on un nouvel exemple du gouffre entre les discours des élites sur le capitalisme responsable et leurs pratiques féodales dans les grandes entreprises.

 

L’entreprise n’appartient pas qu’à ses actionnaires

Car, vraiment, peut-on considérer qu’au 21e siècle, une entreprise, comme au temps d’Adam Smith et des grands entrepreneurs qui prenaient des risques considérables à financer les grandes découvertes, ne doit des comptes qu’à ses actionnaires ? Doit-on considérer d’ailleurs que les actionnaires sont propriétaires de l’entreprise ou uniquement de leurs actions et de leurs parts sociales ? Dans une économie composée d’entreprises toujours plus grandes et aux enjeux toujours plus gigantesques, une entreprise n’a-t-elle pas des comptes à rendre et des responsabilités envers ses salariés, ses clients, ses fournisseurs sans oublier les pouvoirs publics ? A l’évidence oui et la société le reconnaît de plus en plus avec l’essor des pratiques RSE, des critères d’évaluation ESG (environnement, social, gouvernance) et les objectifs de développement durable (ODD) sur lesquels les entreprises sont enjointes de s’aligner. La conséquence logique de cette responsabilité sociale et environnementale n’est-elle pas de reconnaître que toutes les parties prenantes d’une entreprise sont impactées par son activité et que les plus impactées d’entre elles – salariés, clients, sous-traitants, pouvoirs publics – devraient avoir un droit à la consultation et/ou à la décision au même titre que les actionnaires, qu’elles soient détentrices ou non de parts sociales ?

 

Les salariés insuffisamment associés aux décisions

Le monde a changé. L’économie a changé. Il n’y a plus des entreprises avec d’un côté des actionnaires qui seraient supposés détenir les droits ultimes à la décision parce qu’ils ont des actions et de l’autre les autres parties prenantes qui relèveraient uniquement d’une responsabilité sociale et sociétale en objectif second. Il y a aujourd’hui des entreprises qui ont un projet et qui, pour le mener à bien, ont besoin de capitaux. Ce sont les actionnaires, mais aussi tous les financeurs et tous ont peu ou prou un droit de regard à des degrés divers. Elles ont aussi besoin de travailleurs, tout aussi importants que les financeurs, sinon plus dans notre économie qui est une économie de la connaissance, de la créativité, de l’innovation, mais aussi une économie de l’accompagnement, de l’échange et du collectif apprenant. A l’évidence, les salariés, premiers concernés par les choix stratégiques de leur entreprise, devraient être bien plus associés à la décision qu’ils ne le sont aujourd’hui. Le droit continue d’opposer l’économique sous la responsabilité des actionnaires et le cantonnement des droits des salariés à la sphère sociale – et encore uniquement via leurs représentants.

 

Les actionnaires décident de tout, les salariés ne décident de rien

Enfin, il y a les clients, ceux pour qui le projet est né et qui en sont la raison d’être. Ceux-là sont les premiers ayant droits de l’entreprise et ont aussi leur mot à dire. Ils le font depuis toujours en décidant d’acheter ou ne pas acheter. Mais la situation n’est pas si simple. Songeons au hasard par exemple aux clients des Ehpad : peut-on si facilement décider de changer nos parents ou grand-parents d’établissement quand ils sont maltraités ? A l’évidence non. Et dans le cas des Ehpad, ne serait-il pas légitime que les familles aient leur mot à dire et un droit de regard bien plus important que celui de simple client ? Même chose pour les pouvoirs publics qui, même dans les Ehpad dont ils ne sont pas actionnaires, devraient avoir leur mot à dire au titre de la santé publique alors qu’aujourd’hui, ils ne sont fondés à réclamer que s’ils ne sont pas payés des taxes et impôts qui rémunèrent les infrastructures qu’elles mettent à la disposition des entreprises.

 

Au final, le scandale dans l’affaire de la rémunération de Carlos Tavares repose moins sur le niveau de cette rémunération que sur le fossé entre les actionnaires qui décident de tout et les 45 000 salariés qui ne décident de rien, alors qu’en baissant à 20 millions la rémunération de leur PDG (de quoi voir venir quand même), ils pourraient récupérer 1 000€ par an sur leur salaire. Aujourd’hui, les salariés de Stellantis n’ont qu’un seul droit : se confondre en remerciements auprès de leur généreux PDG et des actionnaires qui ont décidé en février d’augmenter les salaires de 3,2% et de leur verser un intéressement de 4 000€. C’est ça aussi, le divorce entre le peuple et les élites et sur lequel a surfé Marine Le Pen pour tenter d’emmener l’adhésion d’une majorité de français.

 

 

Pierre Liret

Auteur, entrepreneur, membre de la coopérative de travail Coopaname

 

 

 

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1 Cette tribune a fait l’objet d’une publication dans le quotidien « le Monde » du lundi 18 avril 2022





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