Cette mi-année 2023 est riche de rencontres prévues et d’échanges entre acteurs de l’économie sociale et solidaire et de structures publiques de tous niveaux.
En effet, entre le GSEF (Forum Mondial de l’économie sociale) début mai à Dakar, le symposium du CIRIEC-International fin mai à Thessalonique et la 9ème conférence internationale de recherche en économie sociale du CIRIEC début juillet à Séoul, les opportunités pour partager des idées et des actions, pour continuer à œuvrer pour et dans l’économie sociale et s’inspirer des expérimentations ont été nombreuses et riches d’enseignement pour chacun.
Dakar et Thessalonique furent également des manifestations qui se répondaient, tant les thématiques sont ancrées dans l’évolution de notre société.
DAKAR
Le Forum de Dakar, inscrit dans une dynamique forte du continent africain pour développer une économie dans laquelle l’ESS joue un rôle essentiel, nous a permis de comprendre, d’échanger, de partager des actions existantes et à venir pour impulser « La transition des économies « informelles » vers des économies collectives et durables pour nos territoires ».
6000 participants de 75 pays, 90 ateliers, 15 séances plénières montrent, s’il en était besoin, combien l’ESS et ses acteurs ont besoin de dire, de montrer, de construire ensemble une autre manière de faire de l’économie, combien la logique de l’ESS est présente et forte sur tous les continents. Il s’agit, maintenant de l’unifier pour agir.
Le projet économique comme le projet politique ont été toujours présents et le fait de rechercher ensemble des solutions pour que la solidarité aide à la construction d’une économie alternative à ces « économies informelles » a guidé les travaux de ces trois jours.
L’éclairage apporté par toutes les interventions mais surtout par toutes les initiatives présentées à cette occasion doit nous interroger sur la capacité de l’ESS à être une économie à la fois plus humaine et plus ancrée dans les réalités des pays et des territoires.
Il ressort de ces journées une grande possibilité de production de tous ceux et toutes celles qui, au quotidien, tentent de survivre par des « petits boulots » et qui en se regroupant pourraient avoir une force plus grande pour infléchir la production de richesse mais aussi leur pouvoir par une implication commune dans le développement économique.
Si la réalité de nos constats s’applique au continent africain, il est certain que nous pouvons largement extrapoler dans tous les pays dans lesquels l’économie informelle occupe une place, en particulier dans les milieux où elle est le signe d’une « survie » dans un monde où ce qui prime est le gain à tout prix sans respect des êtres humains.
Transformer cette économie informelle en économie collective est un moyen de recréer de la richesse individuelle et partagée, de redonner de l’espoir et du courage à ceux qui produisent et de leur permettre de se prendre en charge pour être une force politique et économique ancrée dans des valeurs de solidarité et de respect des autres.
Utopie, direz-vous ! sans doute, mais ces trois jours ont été riches d’enseignement et nous réinterrogent sur nos priorités en matière de développement économique, de projet politique à porter et à défendre, de relations entre les peuples et les cultures.
Un grand, un immense merci, à Pauline EYEBE EFFA[1]coordinatrice de l’ONG Partenariat France et Afrique, elle est la référence de l’Economie Sociale et Solidaire au Cameroun et plus largement en Afrique qui a su nous démontrer combien l’ESS pouvait apporter une réponse nouvelle permettant de structurer des activités tout juste en position de maintenir un faible revenu pour en faire une activité cadrée et productive pour le bien de celles qui y participent.
Un autre grand merci à Alain COHEUR[2]Vice-président de Social Economy Europe, co-président de ESS Forum International qui sut tenir un discours conclusif encourageant et mobilisateur : « Aujourd’hui plus que jamais l’économie sociale ne peut ni négliger ni faire l’impasse sur la nécessité de se poser la question de son programme politique et de son cadre idéologique. Et cette idée est loin d’être nouvelle. L’histoire que nous écrivons est l’héritage de combats qui sont menés depuis des décennies et qui voient s’affronter des conceptions différentes du fonctionnement et de l’organisation de nos sociétés….
La gravité des problèmes auxquels nous sommes confrontés, nécessite de sortir du cadre capitaliste, et de se détourner des objectifs de profits pour planifier notre production dans l’intérêt de la planète et des populations du monde entier. La volonté de sortir de la marginalité l’économie sociale sera un combat sans relâche pour notre existence…
… les entreprises et organisations de l’économie Sociale et Solidaire peuvent se reconnaitre et s’unir via leurs statuts, leurs pratiques, leurs objectifs. Être un mouvement social, une force politique, exige de constituer un ensemble unifié au-delà de nos différences corporatistes afin de porter haut notre vision commune de l’intérêt général….
Nous devons, maintenant, nous employer à élargir l’agenda de l’Économie Sociale et Solidaire à l’échelle internationale afin d’initier une mondialisation alternative exigeant un développement durable de nos sociétés. Le financement de cette transition est crucial au diapason de la stratégie « ODD » déployée par les Nations-Unies pour l’horizon 2030 et de sa Résolution, aux conclusions de l’OIT, aux recommandations de l’OCDE et à celles à venir du Conseil européen.
Pour terminer, je souhaite prendre à témoin tous les membres de cette assemblée et les panelistes ici présents : l’ONU avait fixé les objectifs du millénaire qui se sont achevés en 2015, ensuite la relève a été prise à travers les feuilles de route et les objectifs des ODD pour 2030, moi je vous propose de fixer aussi un cadre onusien pour que l’économie sociale et solidaire représente 50% de l’économie des Etats en 2050 ! c’est un objectif concret, mobilisateur, qui cadrera la mobilisation de toutes nos énergies et je vous demande d’inscrire cet objectif « 50 en 2050 » dans l’évaluation qui sera faite de la Résolution de l’ONU en 2025 ! »
THESSALONIQUE
Quinze jours après le Forum de Dakar, le symposium du CIRIEC-International se déroulait à Thessalonique (Grèce) avec pour thématique : « Les urgences globales & locales : Assurer la fourniture des biens et services essentiels par l’économie sociale et les entreprises publiques ».
Là aussi, les réflexions, présentations d’actions, propositions démontrèrent l’importance de l’ESS pour le développement économique, mais aussi combien il est essentiel que l’économie publique et l’ESS travaillent ensemble pour développer d’autres manières de « faire de l’économie ». Là encore, les participants ont souligné l’urgence dans laquelle se trouve notre planète face aux déshérences d’une économie peu respectueuse des hommes et des biens. Tous ont proposé des solutions pour agir autrement, pour mener des actions qui prennent en compte ce que sont les Hommes et les Territoires.
La question de la transition a été un des éléments essentiels des réflexions et des propositions, à partir du constat, dans chacun des pays participants (Autriche, Belgique, Canada, Colombie, Costa-Rica, Espagne, France, Grèce, Irlande, Japon, Pologne, Portugal, Suisse), de la nécessité de trouver des politiques alternatives pour répondre aux besoins essentiels des populations.
Que l’on parte des acteurs concernés et de leur possibilité de travailler ensemble sur des objectifs communs de développement durable et de mise en synergie de leurs compétences, ou que l’on parte d’une approche territoriale prenant en compte les logiques économiques, géographiques, sociales…, chacun s’accorde à rappeler l’importance d’une approche commune et partagée.
Économie sociale et économie publique sont les deux éléments d’une même réponse pertinente pour un développement économique et social qui permette de relever le défi de la transition nécessaire pour le respect de la planète et de ses habitants.
Les interventions ont permis de comprendre que ce n’est que par le partage de valeurs identiques, tant dans le secteur public que celui de l’ESS, que nous pourrons poursuivre un développement économique autre que libéral. Ainsi, il a été souligné l’importance de l’équité, de l’engagement, de l’exemplarité, mais aussi de l’éducation/formation tout au long de la vie et surtout de l’établissement d’un rapport de force qui fasse valoir une autre perception du monde et des réponses à apporter.
Au terme de ces travaux, nous pouvons nous interroger sur la dimension politique du choix du développement des entreprises publiques pour construire des réponses dans le sens de l’intérêt général et nous demander quel lien existe entre l’ESS et les entreprises publiques pour apporter ces réponses, comment cela se met en place et quelles corrélations dans les approches respectives.
Ces quelques mots ne traduisent qu’imparfaitement la richesse des échanges et des réflexions auxquels nous avons pu participer à l’occasion de ces deux manifestations. Ce qui est sûr est que l’ESS comme l’économie publique sont des piliers importants pour une approche plus humaine et plus respectueuse de la planète. Il convient maintenant que, dans chaque pays, cela se traduise en acte.
Jean-Louis CABRESPINES, Ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication dans la La Lettre du CIRIEC-France n° 177– juin 2023
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References