Le corps citoyen de la mutuelle est ontologiquement constitué par ses adhérents.
Son moteur et sa vertu trouvent leur source dans la solidarité qui dépasse les intérêts égoïstes ou catégoriels et en cela la démocratie mutualiste est très différente (voire contradictoire) d’une démocratie de parties prenantes.
A ce propos il convient de noter, que l’affirmation ci-dessus n’a de sens que si la mutuelle est engagée elle-même dans le dépassement de son utilité au-delà des intérêts de ses seuls adhérents existants, par l’élargissement de ses interventions au-delà de ces derniers, y compris par une posture revendicative sur ses champs d’action : accès à la santé pour tous, droit au logement …
Ces dépassements sont l’une des spécificités essentielles de la forme mutualiste telle que je la conçois.
Mettre sur le même plan, sans autre forme de procès, la démocratie salariale et la démocratie mutualiste originelle, tire le modèle vers une démocratie de parties prenantes qui percute ces dépassements.
Parmi les écueils à éviter, le premier concerne les intérêts des salariés eux-mêmes.
Lorsque l’on parle de démocratie mutualiste pour les salariés, cela revient-il à les soumettre à la loi morale de la solidarité mutualiste ? Je sacrifie mes intérêts de salariés au bénéfice d’une solidarité avec les adhérents les plus en difficultés.
Cette forme de soumission à la loi mutualiste est aussi violente – et même plus- que celle qui soumet les intérêts des salariés à l’impératif de rentabilité pour les actionnaires. Plus violente parce qu’elle se situe sur le terrain de la morale avec son cortège pesant de culpabilisations.
La démocratie pour les salariés ne peut donc s’exercer sur les terrains des missions ou de la raison d’être de la mutuelle.
Elle s’incarnera dans une éthique des pratiques managériales et des relations avec les partenaires sociaux au travers d’autres instances que celle de la démocratie mutualiste.
En quoi, alors, cette incarnation serait-elle différente de celle que l’on rencontre dans les sociétés de capitaux ?
Philosophiquement en rien a priori.
Si ce n’est qu’elle s’appuiera sur des modes d’agir qui sont ceux mis en œuvre (ou qui devraient l’être) dans l’exercice de la démocratie mutualiste.
A savoir :
- Formation des salariés au fonctionnement de la mutuelle et au-delà au mutualisme.
- Respect des IRP (Instances Représentatives du Personnel).
- Transparence sur les éléments factuels.
- Explicitation des enjeux.
- Mise en lumière des tensions.
- Débats.
- Clarté des décisions.
- Cohérence et exigence de bonne foi dans leur application.
Cette exigence éthique percute-t-elle nos « traditions » mutualistes ?
Elle démontre qu’en réalité, dans une mutuelle, il est concevable, souhaitable, d’avoir plusieurs lieux de démocratie qui diffèrent :
- Par les sujets traités.
- Par les enjeux.
- Par les modalités délibératives.
- Etc.
Cette diversité amène-t-elle à relativiser une fois de plus l’omnipotence légitime des instances traditionnelles (AG, CA etc.) dans un moment où, en pratique, ces instances sont dépossédées de leurs pouvoirs pour des raisons à la fois externes (banalisation règlementaire) et internes (absence de travail collectif sur les enjeux du mutualisme) ?
Évidemment non, mais elle illustre une fois de plus la nécessité de retravailler en profondeur le rôle et les principes de fonctionnement de ces instances et la profondeur de la vie démocratique de nos mutuelles.
Christian Oyarbide, président des structures mutualistes du groupe Mutlog
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