Le formateur et consultant Pierre Liret propose, dans une tribune au « Monde », de mobiliser des bénévoles pour offrir à chacun des 700.000 jeunes rencontrant des difficultés scolaires, une aide personnalisée.

 

Les adolescents en situation de précarité ont un risque 1,6 fois plus élevé d’être eux-mêmes précaires et en difficulté à l’âge adulte que les autres adolescents[1] La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ? », France Stratégie, note d’analyse no 142, 22 juillet 2024.

La même étude montre que l’explication de ce phénomène résulte moins de la précarité monétaire que du parcours scolaire et du cadre qui favorise ou non la capacité à apprendre, à suivre des études et à se former. Vivre dans une famille monoparentale notamment (femmes seules le plus souvent) accentue la difficulté, en particulier pour les adolescentes qui seraient enclines à reproduire les schémas familiaux.

Certains diront que l’on n’a pas attendu l’étude de France Stratégie pour savoir qu’un environnement favorisant l’éducation et l’apprentissage est plus déterminant pour l’avenir des jeunes que le seul porte-monnaie. Pourtant, depuis des décennies, les revendications politiques (en particulier de gauche, mais pas seulement) portent encore et toujours sur des demandes d’augmentation des aides financières. Et les politiques publiques continuent encore et toujours de ne raisonner qu’en termes monétaires sans jamais se poser la question des raisons pour lesquelles, depuis un demi-siècle, la hausse constante des aides financières n’est jamais parvenue à enrayer la hausse ininterrompue de la précarité, de la pauvreté, de l’exclusion de l’emploi et de la société[2]Lire aussi : Les adolescents ayant vécu dans la précarité ont plus de risque d’être pauvres à l’âge adulte.

Au fond, l’étude de France Stratégie apporte une contribution formelle, publique et étayée à ce que l’immense majorité des acteurs de terrain – éducateurs, travailleurs sociaux, entreprises d’insertion, bénévoles, etc. – vit au quotidien : la clé de l’intégration, de l’insertion et de la réussite repose d’abord sur l’accompagnement humain, et ce dans la durée.

 

Cas par cas

Or, le défi d’un tel accompagnement n’est pas impossible à relever. Chaque année, sur une génération de 700 000 à 800 000 jeunes, ce sont 8 % à 10 % qui, en difficulté, sortent trop tôt de l’école. Nous sommes aujourd’hui soixante-huit millions de Français. La tranche 5-14 ans, cruciale dans le parcours d’apprentissage, représente 7,5 millions de jeunes. Parmi eux, 8 % à 10 % sont en difficulté (alors que le taux de pauvreté est estimé à 14,5 %), soit environ 700 000[3]Lire aussi : La pauvreté et les inégalités se stabilisent, à leur plus haut niveau des dix dernières années.

On le sait, l’éducation nationale ne peut pas tout faire. Les enseignants gèrent des groupes et ne peuvent pas faire du cas par cas.

En outre, ils sont rattrapés par les problèmes de société, qu’ils gèrent comme ils le peuvent à l’école, parfois contraints de prioriser l’éducation et l’apprentissage du civisme au détriment de la transmission des savoirs.

Enfin, les mêmes professionnels de l’enseignement et de la formation savent que moins on a d’élèves à suivre et mieux on peut transmettre. Et lorsque le moule de l’institution éducative ne convient pas, il faut encore réduire le nombre et, pour les plus en difficulté, travailler au cas par cas [4]Lire aussi  Les jeunes Français considèrent que la réussite ne dépend pas de leurs propres efforts à l’école.

Or, entre l’éducation nationale, qui compte 900 000 enseignants, et le secteur de la formation professionnelle, qui réunit quelque 150 000 salariés, il y a en France un million de personnes qui ont le goût et la compétence pour apprendre et transmettre. Rien qu’avec ces professionnels, il serait donc théoriquement possible que chaque jeune en difficulté bénéficie d’un suivi individualisé par un adulte sachant transmettre.

 

Agir avec méthode, régularité et dans la durée

A ces professionnels (dont on pourrait comprendre qu’ils souhaitent consacrer leur temps bénévole à d’autres causes que ce qu’ils font tous les jours), on peut ajouter ceux qui, parmi les quinze millions de retraités entre 60 et 79 ans, sont eux-mêmes retraités de l’enseignement, de la formation ou ont tout simplement le goût de l’humain et du partage et encore la santé pour agir.

Supposons qu’ils ne soient que 10 %, nous aurions encore 1,5 million de personnes en capacité de donner du temps individuel à un jeune pour l’accompagner dans son parcours. Comme le savent les bénévoles du soutien et de l’entraide scolaire – dont l’auteur de ces lignes –, nul besoin de consacrer beaucoup de temps dans sa semaine pour épauler un jeune et le faire progresser, sauf peut-être pour les cas extrêmes. L’essentiel est d’agir avec méthode, régularité et dans la durée, sur le long terme.

Bref, il est factuellement possible de donner à chaque jeune en difficulté un accompagnement spécifique en complément de son cursus scolaire ou éducatif dans sa famille ou pour en pallier les lacunes. Sans y consacrer un euro supplémentaire, on peut aider chaque jeune en difficulté à (re)prendre confiance et à se penser un avenir.

Résorber durablement sur le long terme la précarité et l’exclusion n’est en rien une fatalité. Il y a certes bien des sujets pour lesquels on est obligé de s’en remettre à nos gouvernants. Mais il en est d’autres, comme l’égalité des chances et la précarité, que l’on peut atténuer à terme sans endetter nos finances publiques. Simple, à la portée de (presque) tous, à condition de vouloir s’engager un tout petit peu, mais dans la durée et à l’échelon local. Il faut juste oser faire le pas.

 

 

Pierre Liret, formateur et consultant chez COOPANAME

 

 

 

En savoir plus :

Cette article a fait l’objet d’une tribune du 14 aout 2024 publiée dans « Le Monde »

Samedi 30 novembre – 09h45 à 11h15 – Palais des Ducs de Dijon aux Journées de l’Économie Autrement 2024,  – Table-ronde  » L’école au coeur de la question sociale »:  L’école est en crise. Elle ne cesse d’être réformée et chaque réforme semble accroître le malaise des enseignants et des parents. Le système scolaire français demeure en effet l’un des plus inégalitaires au monde. Et la mixité sociale, après quelques expérimentations menées en 2015, demeure le parent pauvre des politiques éducatives. Rien d’étonnant, dans ce cas, que le vote pour le Rassemblement national soit en partie motivé par le sentiment d’une dégradation des conditions de scolarisation. Comment, dans ce cas, remédier à cette crise qui met en danger l’un des fondements de notre démocratie. Animation :  Naïri Nahapétian journaliste chez Alternatives Economiques. Intervenants : Isabelle DOREY secrétaire générale adjointe en charge de l’ESS, François Dubet sociologue, Youssef Souidi docteur en sciences économiques. Inscriptions à venir.

France Stratégie, note d’analyse no 142, 22 juillet 2024 : La vie devant soi : adolescence précaire, avenir incertain ?

Engagez-vous qu’ils disaient, vous verrez du pays !, André Decamp, Institut ISBL septembre 2024

Pierre Liret





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