La directive européenne CSRD (Corporate Sustainabily Reporting Directive) est une redoutable machine de guerre dont le résultat sera l’éradication de le biodiversité organisationnelle des entreprises.

 

Rappelons en deux mots que cette directive de plusieurs centaines de pages propose aux organisations 1144 points d’attention sur la durabilité de leurs actions. Excusez du peu ! Bien entendu ces 1144 points n’ont pas à être tous surveillés par tous, mais pour les domaines non pertinents pour une entreprise, il est probable qu’elle devra justifier de son « inattention » en produisant une analyse dite de « matérialité » qui démontrera que son activité n’est pas « impactée par » ou n’impacte pas la durabilité du monde.

Je ne détaille pas plus mais je voudrais attirer l’attention sur le bulldozer normatif qui est en marche.

La directive découpe le réel selon des critères à priori vertueux mais qui passent sous silence de lourds présupposés. Je vais en relever quelques-uns.

  • Quand bien même parmi les trois grands domaines couverts (Environnemental/Sociétal/Gouvernance) le G de gouvernance soit très présent, la question de la démocratie entrepreneuriale n’est pas citée explicitement comme un critère de durabilité. Il est probable que les régulateurs de tous poils demanderont des tas de preuves de vertu et l’élaboration de règles de bonne gouvernance, mais il est d’ores et déjà acquis qu’aucun de ceux-ci n’ira sur le terrain de la démocratie. Cela n’est guère surprenant puisque, par exemple dans l’assurance, les contrôleurs de la CSRD seront les régulateurs prudentiels avec les Commissaires aux comptes dont nous connaissons le militantisme citoyen.
  • Dans un autre ordre d’idées, il est probable que l’on demandera des preuves sonnantes et trébuchantes d’engagement « vert » (part du bénéfice ou des investissements fléchée vers l’environnement …) . Bon nombre de grands acteurs financiers égrèneront la liste des fonds d’investissements vertueux dans lesquels ils ont investi leurs actifs et nous verrons apparaître des montants astronomiques et des pourcentages en hausse croissante comme c’est d’ailleurs déjà le cas depuis des années. Rappelons simplement cette évidence que pour nous, acteurs mutualistes, c’est 100% de nos bénéfices et de nos actifs qui sont au service de nos adhérents et de notre projet social. Mais ce 100% sera passé sous silence au motif que nous ne pouvons pas faire autrement.
  • Dernier point (pour cet article) : la CSRD oblige à surveiller l’impact positif ou négatif des et sur les acteurs de la chaîne de valeur de nos activités, des fournisseurs en amont aux clients finaux en aval. On va voir, et l’on voit déjà, se multiplier les questionnaires croisés sur le sujet. Simplement, parmi ces acteurs des chaines de valeur, une catégorie est soigneusement omise : l’actionnaire ! J’attends avec intérêt de savoir si les contrôleurs vont contraindre les grandes sociétés capitalistes à dévoiler les noms de leurs actionnaires majeurs et à démontrer qu’ils les ont passés au tamis des bonnes pratiques de durabilité.

En bref et très clairement, la CSRD est une machine à porter la comparaison entre l’ESS et les sociétés de capitaux sur des terrains qui ne remettent pas en question le modèle de ces dernières. Et comme ce référentiel va s’imposer inévitablement (si nous acteurs de l’ESS n’en dévoilons pas les omissions !) nous allons perdre la bataille idéologique de la vertu.

Mais nous ne serons pas les seuls : les artisans, les entreprises personnelles, les TPE, les petites PME seront également perdants. Déjà ils souffrent de l’empilement des normes diverses mais demain leurs activités seront mises à l’index au motif que leurs bien plus gros concurrents, eux, auront produit un superbe rapport, contrôlé et audité dans les règles de l’art. Les appels d’offres publics et privés leurs seront fermés.

Que faire ?

Chez Mutlog, nous sommes largement en-dessous des seuils d’application de la directive mais agissant en BtoBtoC, et donc par réponses à des appels d’offres nous savons que nous aurons à travailler avec ce référentiel.

De surcroît, comme pour d’autres règlementations, nous pensons que faire l’autruche en espérant rester en dessous des radars et la meilleure façon de prendre de plein fouet le sujet sans l’anticiper.

Nous avons donc choisi d’affronter la directive en la prenant à son propre jeu et en mettant en avant nos spécificités d’acteurs mutualistes. Cette directive présente en effet un avantage : elle autorise « le narratif » (comme ils disent) et même incite à l’affirmation de postures « politiques » qui permettent de mettre en avant le modèle mutualiste dès lors que l’on veut bien faire « le pas de côté » pour échapper aux présupposés implicites qui invisibilisent notre modèle.

 

Christian Oyarbide, président des structures mutualistes du groupe Mutlog

 

 

 

En savoir plus :

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