Depuis quelques années, la question de la gouvernance traverse la plupart des secteurs d’activité de l’ESS. La manière de concevoir l’organisation, l’exercice et la répartition des pouvoirs et des responsabilités de façon démocratique ont été rappelés à l’occasion de la parution de la loi relative à l’ESS du 31 juillet 2014. Elle est « définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation (…) des associé.e.s, des salarié.e.s et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ».

Du côté des associations d’action sociale et médico-sociale gestionnaires d’ESMS, la gouvernance présente des spécificités qui les amènent à repenser leur organisation interne. Un nombre important de salariés, un faible taux d’adhérents, la dimension technique et politique de la fonction de certains dirigeants salariés, l’enjeu de la participation des personnes accueillies et accompagnées, les relations étroites avec les pouvoirs publics, principaux financeurs… autant d’éléments qui interrogent ce qui relève de leur ambition associative.

 

L’objet de cet article est basé sur mes expériences professionnelles, notamment à travers les accompagnements et formations sur le projet associatif, la stratégie, l’utilité et l’innovation sociales et la gouvernance des associations de solidarité, ma participation à des groupes de travail au sein du réseau Uniopss-Uriopss sur la vie associative, la gouvernance, les modèles socio-économiques ainsi que mes contributions au guide de l’Uniopss « l’ambition associative »  de 2003, à la Boite à outils du réseau « Gouvernance des associations de solidarité » de 2018 et aux différents cahiers de l’Uniopss sur ces thèmes.

Je propose de faire le point sur ce que les associations du secteur font remonter actuellement comme points de tensions autour de la gouvernance mais aussi des voies d’amélioration et des bonnes pratiques existantes.

 

Après un mouvement de professionnalisation, elles connaissent aujourd’hui une situation ambivalente entre la volonté de redonner du sens au projet et les nouvelles logiques du marché et de rationalisation. Dans le contexte très encadré dans lequel elles évoluent, la gouvernance est une préoccupation majeure aujourd’hui dans le secteur du fait des évolutions externes et internes.

Organisation de relations humaines, l’engagement bénévole, quelles que soient les modalités de gouvernance, demeure un des piliers de l’association sociale et médico-sociale.

Mais la complexité croissante de la gestion des associations de ce secteur et les compétences toujours accrues nécessaires à l’administration, tendent à décourager les responsables potentiels et freinent le renouvellement des dirigeants en place. Pour reprendre les propos de Jean-Louis Laville dans la Tribune Fonda sur les dynamiques associatives dans un monde en transition (sept 2013) : « …le monde associatif se trouve toutefois confronté à l’ambivalence et à l’ambigüité de la professionnalisation. Celle-ci est nécessaire pour sortir d’une gestion de la pénurie mais doit être autolimitée pour éviter un rabattement systématique des associations sur le modèle inadéquat de l’entreprise marchande ».

Les acteurs de terrain sont unanimes, particulièrement ceux du secteur de la Protection de l’Enfance et de l’insertion, la logique des appels à projet a des conséquences négatives sur la vie associative :

  • Elle n’est pas toujours compatible avec le projet associatif. En effet, la réactivité attendue par les pouvoirs publics impose une temporalité et une prise de décisions rapide. Certes la technicité de la procédure repose sur les professionnels, toutefois elle demande un positionnement de la part des dirigeants bénévoles associatifs au regard du projet et de la stratégie. De plus la technicité attendue a pour effet de démotiver certains administrateurs qui se sentent de moins en moins compétents.
  • La procédure demande aux acteurs de coopérer en vue de répondre à l’appel à projet. Si la coopération volontaire est intrinsèquement liée aux missions des associations du secteur, elle relève de plus en plus souvent de l’injonction de la part des pouvoirs publics et d’une démarche défensive.
  • On dénote une inadéquation temporelle entre le diagnostic d’un schéma départemental, les appels à projet et la mise en œuvre de l’action. Ces décalages contraignent les associations à un rythme imposé par la commande publique et ne sont pas sans conséquence sur leur gouvernance.
  • Dans un contexte où la pression concurrentielle s’affranchit du sens du projet associatif, la gouvernance, peu à peu, se délite dans une culture de l’arbitrage « court-termiste » qui s’exerce au détriment de ses fondamentaux.
  • Plus globalement, la logique inversée réduit l’ambition de l’association à une fonction de prestataire de services. Elle dénature le projet et tend à limiter la gouvernance à sa seule dimension gestionnaire, réduisant ainsi l’intérêt des bénévoles.

Afin d’éclairer la réflexion, les 4 scénarios de prospectives élaborés par le réseau Uniopss-Uriopss permettent de dessiner les grands traits du paysage des gouvernances qui coexistent dans le secteur.

Dans le scénario du « repli gestionnaire », les associations privilégient la dimension technique et délaissent leur fonction politique. Leur gouvernance, comme leur gestion, sont calquées sur le modèle marchand et entrepreneurial.

Avec le scénario de « la consolidation opérationnelle », les associations, par leur efficience-efficacité et par leurs expertises inscrivent leurs actions sur les territoires. « En interne, la gouvernance plus resserrée et organisée permet une meilleure organisation des pouvoirs et une ré-articulation entre les professionnels et les différentes formes d’engagement. » Par contre, la participation des personnes passe au second plan du fait des priorités induites par l’environnement et les contraintes économiques.

Dans le scénario de « la réaffirmation du politique », les instances mettent en place une gouvernance centrée sur la stratégie associative et sur le projet politique de l’organisation. Elles investissent des espaces politiques nouveaux et des instances stratégiques pour peser sur les orientations politiques nationales et territoriales.

Enfin, au cœur du scénario de « l’innovation et de la diversité associative », la gouvernance collégiale est fondée sur la confiance et accorde une place aux créatifs. Ici, la démocratie est centrale et la participation implique l’ensemble des parties prenantes du projet associatif.

On le sait, le mode de fonctionnement interne des associations est fondé sur une pluralité d’acteurs à la légitimité et aux attentes différentes. Cette question est étroitement liée à l’évolution des formes d’engagement. L’équation qui consiste à penser que les dirigeants bénévoles doivent porter l’objet social au plus haut niveau de valeur et accepter de laisser la place aux professionnels qui en font le métier, est parfois difficile à mettre en œuvre du fait de la dimension humaine de l’engagement des bénévoles, avec leurs aspirations et motivations diversifiées.

  • Certaines instances associatives sont constituées de 4-5 bénévoles réellement actifs et ces mêmes dirigeants peinent à trouver des successeurs.
  • Les espaces de participation des différentes parties prenantes sont bien souvent contraints par des décisions prises auparavant par des experts, des anciens, des instances extérieures à l’association elle-même.
  • Un fonctionnement pyramidal traditionnel qui n’a pas veillé à la parité dans ses instances associatives ni à la mixité sociale et des âges et qui n’a pas anticipé sur son devenir.

La réponse « tout collégial » au « tout pyramidal » ne fonctionne pas forcément mieux, le risque étant de se perdre dans des discussions sans fin et de faire du sur-place. S’accorder le « droit à l’essai-erreur » est essentiel car le fait de réinventer sa gouvernance se fait par tâtonnement en acceptant qu’il n’y ait pas de bonne formule mais des solutions efficientes sur le moment et en fonction des forces vives en présence. Il s’agit bien d’une question d’équilibre à trouver.

Pour que la gouvernance démocratique ne soit pas une seule déclaration d’intentions, les pistes suivantes (non exhaustives), sont à explorer :

  • Prévoir des durées de mandats courtes (1 à 3 ans) ou des renouvellements partiels du conseil d’administration à intervalles réguliers.
  • Introduire les professionnels dans la gouvernance afin d’accroître la cohérence du projet. Pour éviter des risques d’abus de pouvoir, prévoir une instance qui soit vraiment et exclusivement chargée de l’administration, sans aucun salarié, et une autre instance dans laquelle les salariés sont consultés.
  • Veiller à la vitalité et cultiver la confiance dans les relations entre le-a président-e et le-s dirigeant-s salariés. Ces derniers jouent un rôle central au niveau politique, économique et technique.
  • Organiser les binômes président-directeur par un Document Unique de Délégations clair, accompagné dans sa rédaction par un tiers extérieur (tête de réseau, consultant…).
  • Mettre en acte la participation des personnes accueillies et accompagnées par une concertation régulière et adaptée sur les divers aspects du projet associatif.
  • Accueillir les administrateurs avec un livret dédié et leur transmettre les informations nécessaires à la prise de décision.
  • Permettre, à ceux qui le souhaitent, un parcours bénévole ponctué de formations, d’animation de groupes de travail, de développement d’une expertise sur une thématique…
  • Évaluer 1 à 2 fois par an les missions des dirigeants bénévoles et vérifier s’ils disposent des éléments pour exercer au mieux leur mandat. En contrepartie, rappeler les attendus de l’association afin que dans le dialogue instauré, chacun trouve sa place et du sens à ce qu’il fait.
  • Rédiger un « CV » avec chaque administrateur pour repérer ses expertises, ses savoir-faire, ses ressources et ses aspirations.
  • Expérimenter la co-présidence (ou un binôme président-e et vice-président-e) dans un échange rapproché pour dynamiser la fonction.
  • Mettre en place une gouvernance plus collégiale avec des groupes de travail thématiques constitués d’administrateurs, de professionnels, de personnes accueillies et accompagnées et/ou de leur entourage pour alimenter le projet.
  • Au sein de la gouvernance, constituer des collèges spécifiques : un pour les salariés (et faire en sorte que chacun participe au moins une fois par an à une instance), un pour les personnes accueillies et accompagnées, un pour leur entourage (pas forcément le même) qui ont une « expertise d’usage », un pour d’autres types d’expertises (personnes qui ponctuellement viennent alimenter la réflexion sur un thème)…

Michel de Tapol, dans son article sur « La gouvernance associative à l’épreuve de la crise », issu de l’étude conduite par la Fonda en 2014 auprès d’une quinzaine d’associations résume un fait partagé « Les responsables associatifs interrogés sont catégoriques sur ce sujet : quels que soient les outils ou les méthodes, le minimum requis pour créer les conditions d’une gouvernance harmonieuse exige que les postures individuelles soient basées sur la confiance et la bienveillance ».

Le secteur associatif de l’action sociale et médico-sociale est traversé de craintes et de défaillances, mais on y trouve aussi des initiatives de gouvernance prometteuses qui trouvent des solutions au plus près du terrain.

En conclusion, il convient de parler des gouvernances plutôt que d’1 modèle unique de gouvernance car ses contours sont évolutifs comme le projet associatif. Une bonne solution trouvée à un instant T ne sera pas forcément adéquate à un autre moment. Appréhender la gouvernance comme une démarche qui s’adapte aux acteurs qui compose l’organisation et aux évolutions externes est le signe d’une bonne dynamique.

Une gouvernance démocratique ne se décrète pas, elle s’expérimente en faisant vivre des lieux de décision de proximité accessibles à tous, où les échanges de points de vue constituent la base de la communication. Ainsi, conduire le projet et la stratégie de manière plus horizontale, c’est s’appuyer réellement sur ce que les parties prenantes ont à apporter et accepter qu’elles s’engagent différemment. Certes, refonder sa gouvernance demande de changer ses pratiques et de mettre en œuvre une nouvelle organisation mais les enjeux en valent la peine. Les associations qui savent gérer ces équilibres tirent des effets positifs et s’assurent d’une gouvernance ouverte et porteuse d’avenir.

 

Véronique Dor-Pessel

Formatrice – Consultante – Responsable Etudes en organisations sociales et médico-sociales de l’ESS

 

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