L’annonce, le 29 février dernier à Paris, de la création de l’Union pour le Réemploi Solidaire[1]L’Union pour le Réemploi Solidaire : https://www.reemploisolidaire.org/, a suscité l’adhésion enthousiaste de nombreux acteurs, dont AltiCat, dynamique citoyenne de création d’un cluster pyrénéen de coopération transfrontalière ESS. Et alors ? AltiCat n’est rien (encore) et l’URS pas grand-chose (encore). En y regardant pourtant de plus près, on retrouve, derrière l’anecdote, des enjeux forts pour cette « République sociale et solidaire » invoquée par ESS France fin 2021[2]Déclaration d’engagement d’ESS France de décembre 2021, « Pour une République sociale et solidaire » : https://www.ess-france.org/system/files/inline-files/FINAL_DECLARATION_A4_V2.pdf : celui de ce que les Espagnols appellent l’inter-coopération en ESS, ainsi que celui de son internationalisation. Précisions.

 

Accélérer les synergies entre le global et le local

Ce n’est pas tous les jours qu’une initiative comme l’URS est annoncée sur la Planète ESS. Que six têtes de réseau nationales, six marques dont certaines particulièrement anciennes, prestigieuses et traditionnellement autarciques (on pense à Emmaüs) décident de s’allier pour se confronter résolument aux opportunités et menaces que portent les nouvelles réglementations liées à la transition écologique, est un évènement qui a peu de précédents. Peut-être pourrait-on rechercher un parallélisme, en France, avec les mouvements de concentration opérés dans le secteur mutualiste, mais causes et conséquences ne sont pas assimilables en l’état ; le rôle joué par la maison commune, aujourd’hui ESS France, non plus. Il a certes fallu une loi ambitieuse, la loi AGEC[3]Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Document_LoiAntiGaspillage%20_2020.pdf de la fin 2020, pour déclencher la prise de conscience, et trois ans de négociations pour parvenir à un premier résultat d’étape, à savoir l’expression d’une volonté politique commune. Mais il a aussi fallu voir un horizon commun, le vouloir, créer les conditions du dialogue et s’entendre, autant de choses qui devraient être monnaie courante en économie sociale et solidaire mais qui demandent encore, trop souvent, de si longs apprentissages. Nous nous gargarisons volontiers de coopération et de solidarité, mais combien de manifestations concrètes comptons-nous de la volonté de sortir des prés carrés et des chasses supposément gardées, avec ambition et générosité ? Le 29 février, l’URS nous a donné un bel exemple. Merci à ses acteurs, merci aussi au législateur qui a ouvert un terrain de jeu. Sachons nous inspirer de cette confluence et la reproduire, en France, en Europe et ailleurs.

Loin de Paris est née il y a quelques mois, en Pyrénées Catalanes, une initiative de territoire encore embryonnaire, AltiCat. Il s’agit en la circonstance d’exploiter et appliquer au mieux l’agenda ESS européen en construction (Plan d’action de la Commission de décembre 2021, recommandation du Conseil d’octobre 2023, mais aussi rapport du GECES sur les clusters d’innovation écologique et sociale[4]https://www.ess-europe.eu/sites/default/files/publications/files/et0621205enn.en_.pdf) pour booster résolument – et en altitude – une philosophie de coopération transfrontalière sans rivages[5]La formule « pour une ESS sans rivages » est de Jacques Moreau, qui fut président du Crédit Coopératif. Elle est reprise par la Déclaration d’engagement d’ESS France préalablement … Continue reading ni même barrières montagneuses. L’agenda bilatéral des relations franco-espagnoles nous y incite, puisque le Traité de Barcelone du 19 janvier 2023, d’amitié et de coopération entre les deux Etats, intègre une annexe ESS et le nouveau délégué ministériel français à l’ESS, Maxime Baduel, introduit judicieusement la coopération franco-espagnole, ainsi d’ailleurs que la coopération franco-allemande, au rang de ses priorités. Quand l’on sait que son homologue espagnol, Victor Meseguer, commissaire spécial à l’Économie sociale, est l’ancien directeur de Social Economy Europe, lui aussi internationaliste convaincu et parfait francophone, on se dit qu’il y a pour le moins une fenêtre de tir pour passer des déclarations à l’action. Encore faut-il agir, justement, en cohérence et synergie ! Ce genre d’alignement de planètes ne se produit pas, lui non plus, tous les jours.

C’est ce à quoi s’est attelée l’APCA, « association de préfiguration de la CitESS AltiCat » (ouf !), créée en Cerdagne[6]La Cerdagne, plateau d’altitude, a été soigneusement coupée en deux, à 50-50, par le Traité des Pyrénées de 1659. C’est un magnifique exemple de l’absurdité de certaines frontières … Continue reading mi-2023. Une CitESS, cité de l’ESS, c’est quoi ? On parlerait en France d’un macro-PTCE transfrontalier, en Catalogne – du Sud – d’un Athénée coopératif (Ateneu Cooperatiu) et les experts de la Commission, comme on l’a rappelé, d’un CSEI. L’inauguration de cette CitESS est prévue pour la mi-2025, sous forme de SCE (société coopérative européenne), mais ce n’est pas notre sujet du jour. Tout embryonnaire et purement militante qu’elle soit, la dynamique AltiCat a déjà lancé des chantiers prioritaires, dont celui du Réemploi Solidaire, en jouant avec gourmandise le parallélisme avec le processus national : articuler le global (macro) et le local (micro) à travers la construction d’un étage intermédiaire méso est précisément notre mantra, hérité des aventures précédentes de la coopérative européenne iesMed en Méditerranée[7]iesMed, Innovation et Economie sociale en Méditerranée, fut la première coopérative européenne créée en Espagne (2011). Pionnière pour porter la flamme de l’ESS sur le Mare Nostrum, iesMed … Continue reading.

 

CRESOL, ATRESOL, … work in progress

L’un des fondateurs d’AltiCat, le chantier cerdan d’insertion ARES de l’inusable Mado Gaurenne, intervient depuis plus de 15 ans sur le réemploi textile, d’autres membres de l’APCA sont intéressés à investir le champ du RS et nous sommes bien sûr en plein dans le Green Deal promu par la CE. C’est lors de la seconde édition des Confluences éco-solidaires en Pyrénées Catalanes, en novembre dernier à Puigcerdà (Cerdagne espagnole), que nous avons pu visualiser la rencontre entre l’annonce par Antoine Détourné, DG d’ESS France, de la prochaine communication globale URS, et la tenue d’un atelier local spécifique sur le sujet. La suite allait de soi.

Mi-décembre, le réemploi solidaire devient ainsi priorité 1 d’AltiCat[8]3 autres priorités thématiques ont été retenues : l’habitat coopératif, la création d’un réseau de tiers-lieux et le low tech. Ceci, indépendamment des priorités fonctionnelles et des … Continue reading ; mi-janvier apparaît le nom de CRESOL pour Cluster (évidemment transfrontalier) du Réemploi solidaire ; mi-février est présentée une première demande de financement au gouvernement espagnol (appel à projets, doté de 80 M€, du Plan intégral ES), en parallèle au lancement d’une initiative locale, sur Perpignan, de fédération des acteurs de l’insertion, portée par Arnaud Delcourt, immigré du Nord. Nous en préparons l’acte II le 11 avril, là encore dans la plaine puisqu’Alticat ruisselle volontiers, pour jongler entre dynamiques locale (Métropole de Perpignan), transfrontalières (AP Interreg POCTEFA et Sudoe) et nationales, tant côté France qu’Espagne.

Retenons de cette séquence 3 éléments forts, qui surprennent trop souvent :

  • sa rapidité. On va en général plus vite lorsque l’on sait où l’on va, ou tout au moins vers où le monde qui nous entoure devrait aller. On court d’autant plus vite que l’on a zéro financement et zéro allégeance, ce qui va malheureusement trop souvent ensemble. Le fait de n’être rien, institutionnellement parlant (donc sans pré carré à « défendre »), facilite parfois la mise en réseau et l’adhésion des acteurs à des démarches unitaires. Cela crée aussi des réticences, souvent idiotes mais si humaines (cékiceula ??), voire des hostilités, qui le sont plus encore ;
  • sa générosité. AltiCat ne demande rien et en paie délibérément le prix – avec le sourire – dans sa phase de démarrage. La plate-forme, qui compte aujourd’hui 30 sociétaires et entend tripler ce chiffre d’ici l’été, offre à tous, bénévolement, inspirations, expertise et réseaux internationaux, de la Méditerranée à la Garonne. L’enjeu central est politique, pour rééquilibrer le rapport de force sur les territoires et faire toute sa place à une économie de la coopération et du bien commun, une économie de combat aussi, libérée des clientélismes ;
  • son universalisme. Le cœur identitaire d’AltiCat est montagnard et il y a urgence à bâtir cette République Ecologique et Solidaire des Pyrénées (RESPir dans 4 des 5 langues du massif), pas forcément si utopique qu’elle n’en a l’air, via l’AltEconomie[9]L’AltEconomie est le nom donné par AltiCat à la « nouvelle économie de la montagne », rendue indispensable et urgente par la fin de la monoculture de la neige. Il s’agit de bâtir une … Continue reading. Le périmètre de CRESOL reste en revanche à définir et celui de la future ATRESOL (?), Alliance Transfrontalière pour le RÉemploi SOLidaire, également.

Ce qui est possible avec l’URS, ce qui est possible, toutes proportions gardées, avec l’expérience catalane pilotée par AltiCat, à savoir regarder loin tout en travaillant au quotidien en proximité, est un enjeu fondamental pour l’ensemble de l’ESS. Nous portons l’utopie maîtrisée d’une économie de l’émancipation, individuelle et collective, gardons-le présent à l’esprit. Nous avons les valeurs, nous avons les intelligences, nous sommes l’innovation au service des territoires… et nous devons refuser les œillères, quelles qu’elles soient ! Il est à ce titre très révélateur d’observer que plus on se rapproche du territoire, plus les réticences institutionnelles à coopérer se font fortes, qu’il s’agisse des pouvoirs publics ou des représentations même de l’ESS[10]Lors des Confluences éco-solidaires de Puigcerdà de novembre 2023, premier évènement de l’histoire du Mois de l’ESS à être « délocalisé », la qualité des représentations nationales … Continue reading. Ça passera.

 

 

Rodérick Egal, président d’AltiCat. Avec près de 40 ans d’ESS au compteur, quasiment toujours dans une dimension transnationale (France-Espagne, Méditerranée, Europe…), c’est un observacteur singulier de la Planète ESS, membre du GECES pendant l’élaboration du Plan d’action de la Commission.

References

References
1 L’Union pour le Réemploi Solidaire : https://www.reemploisolidaire.org/
2 Déclaration d’engagement d’ESS France de décembre 2021, « Pour une République sociale et solidaire » : https://www.ess-france.org/system/files/inline-files/FINAL_DECLARATION_A4_V2.pdf
3 Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Document_LoiAntiGaspillage%20_2020.pdf
4 https://www.ess-europe.eu/sites/default/files/publications/files/et0621205enn.en_.pdf
5 La formule « pour une ESS sans rivages » est de Jacques Moreau, qui fut président du Crédit Coopératif. Elle est reprise par la Déclaration d’engagement d’ESS France préalablement mentionnée.
6 La Cerdagne, plateau d’altitude, a été soigneusement coupée en deux, à 50-50, par le Traité des Pyrénées de 1659. C’est un magnifique exemple de l’absurdité de certaines frontières historiques dans l’Europe d’aujourd’hui.
7 iesMed, Innovation et Economie sociale en Méditerranée, fut la première coopérative européenne créée en Espagne (2011). Pionnière pour porter la flamme de l’ESS sur le Mare Nostrum, iesMed a conçu et porté une vingtaine de programmes pionniers, notamment en Catalogne et en Tunisie, dont la création de 2 CitESS et la mise en place d’un centre national de ressources dans ce dernier pays. Membre du GECES – et donc ambassadrice officieuse de la Commission européenne en matière d’ESS -, cette SCIC méditerranéenne a été exécutée fin 2021 par la même CE en Tunisie, dans des conditions que l’on qualifiera pudiquement de forfaiture. Une partie de son héritage est repris par AltiCat… et qui voudra ! Il en vaut la peine.
8 3 autres priorités thématiques ont été retenues : l’habitat coopératif, la création d’un réseau de tiers-lieux et le low tech. Ceci, indépendamment des priorités fonctionnelles et des inévitables surprises.
9 L’AltEconomie est le nom donné par AltiCat à la « nouvelle économie de la montagne », rendue indispensable et urgente par la fin de la monoculture de la neige. Il s’agit de bâtir une économie d’altitude, bien sûr, mais aussi d’alternatives et d’altruisme.
10 Lors des Confluences éco-solidaires de Puigcerdà de novembre 2023, premier évènement de l’histoire du Mois de l’ESS à être « délocalisé », la qualité des représentations nationales (France et Espagne) a offert un contraste notable avec celle des intervenants régionaux (Catalogne et Occitanie). Il y a là un déséquilibre à compenser rapidement.





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