L’évaluation de l’utilité sociale des associations devient un enjeu fort. Pour les responsables associatifs, y répondre consiste à développer les conditions dans lesquelles une nouvelle convention sociale et politique, celle de « l’utilité sociale », pourrait être élaborée par les acteurs associatifs eux-mêmes, puis servir de grille de référence pour mieux qualifier les acteurs du champ, et mieux quantifier les résultats qu’ils obtiennent. Si l’utilité sociale d’une association s’articule aux finalités de son projet, évaluer cette utilité sociale conduit nécessairement à questionner l’impact social ou sociétal des activités produites ; c’est à dire là où l’utilité sociale des associations rencontre l’intérêt général de la puissance publique. Mais ce point de rencontre est très conflictuel.
En fait, cette tension se noue autour des termes utilisés : évaluation, utilité sociale et projet associatif. La revue de littérature présentant l’historique des débats entre acteurs publics et têtes de réseaux associatifs sur le thème de l’utilité sociale confirme à la fois l’ancienneté et l’acuité du débat sur l’utilité sociale : à la seule définition réglementaire (et donc opposable aux autres définitions) de l’utilité sociale qui est celle de l’administration fiscale , l’enjeu posé aux acteurs de l’économie sociale est de faire valoir une notion de l’utilité sociale appropriée à leur vision, qui fasse référence et, pourquoi pas, aboutisse à une convention sociale mieux établie autour de laquelle le partenariat associations / pouvoirs publics serait équilibré.
L’autre terme du débat, celui de l’évaluation, est devenu très prégnant depuis le développement des politiques d’évaluation des politiques publiques à la fin des années 80. Par extension, la puissance publique est incitée à évaluer les associations prises comme des partenaires de l’action publique. L’évaluation entre ainsi progressivement dans des textes génériques d’origine législative ou réglementaire confirmant la transformation des règles du jeu entre les pouvoirs publics et les associations. Cette évolution est bien comprise par les dirigeants associatifs ; ils ont pleinement conscience de la place croissante qu’occupe l’évaluation comme un critère de jugement pesant de plus en plus pour l’obtention de ressources publiques (incluant la reconnaissance et les moyens économiques) plus difficiles d’accès aujourd’hui qu’hier. D’où la nécessité d’acquérir en ce domaine un argumentaire et des outils comme autant de compétences permettant de s’adapter à ce nouvel environnement.
Le troisième terme du débat est le projet. Les associations gestionnaires jouent un rôle économique et social de premier plan et leur développement est considérable . Mais ce développement met en cause le projet initial et invite les dirigeants à veiller à une meilleure organisation interne selon une démarche constante de recherche d’un compromis acceptable entre rationalisation des ressources et prééminence du projet social. Les outils principalement qualitatifs qui accompagnent toute démarche d’évaluation viennent ici enrichir l’outillage gestionnaire traditionnel (qui est principalement de nature quantitative) considéré comme un piètre descripteur du projet associatif. L’évaluation relève alors d’une ingénierie complexe qui rend indispensable des apprentissages nouveaux et ceux-ci pourront utilement être diffusés au sein de l’organisation pour renforcer son identité, tout en permettant de mieux rendre compte aux parties prenantes de l’utilité de son projet.
Les associations et les pouvoirs publics ont intérêt à faire progresser le débat et à en préciser les termes pour construire des règles du jeu plus équilibrées. Mais les relations asymétriques entre les acteurs pèsent considérablement dans le jeu des participants ce qui génère des stratégies d’évitement et d’opportunité mêlées.
Ainsi, les attentes de l’État sont-elles explicites au sens de la définition fiscale de l’utilité sociale, mais on comprend que les associations ne se reconnaissent pas dans cette définition. Les attentes de l’État et des collectivités publiques sont également explicites en matière d’évaluation des politiques publiques, mais on comprend que l’ingénierie de cette évaluation ne soit pas adaptée à l’évaluation du projet des associations.
L’émergence de « l’utilité sociale » est vécue comme une menace. Comment proposer une nouvelle définition rendue légitime par l’action volontaire des associations tout en satisfaisant aux préoccupations de la puissance publique ? Il y a pourtant urgence pour combler l’inégalité de la maturité de chaque catégorie d’acteurs : les travaux au sein de l’Union Européenne sur les Services sociaux d’intérêt général (SSIG) est considérée comme cruciale par beaucoup des acteurs concernés !
Dans ce contexte, un compromis entre initiative publique et initiative privée autour de l’intérêt public partiel au sein duquel pourrait être défini l’utilité sociale semble une piste prometteuse mais encore à construire. Pour établir un nouveau seuil de connaissances, il faudrait soutenir de nouvelles actions expérimentales de grande ampleur en associant par exemple l’AVISE et la CPCA.
François Rousseau
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