Face aux mutations sociétales en œuvre, le monde associatif fait preuve d’adaptation. Grâce au travail de fond produit par des têtes de réseaux, soutenues par les pouvoirs publics et alimentées par la sphère académique, nous assistons à toute une série de production et de transfert de connaissance vers les acteurs associatifs, sur les gouvernances associatives, les modèles socio-économiques, le numérique ou encore les coopérations… L’écosystème de l’accompagnement des associations fait évoluer ses outils et joue un rôle clé dans ces transformations aux côtés des responsables associatifs, avec une diversité d’acteurs aux spécialités et niveaux d’interventions complémentaires. Pour cela, cet écosystème dispose de ses espaces de discussions et d’articulations.

 

Je propose de nous intéresser dans la suite de cet article à deux mutations en œuvre, que je vais d’abord m’efforcer de détailler, avant de proposer d’ouvrir le débat sur leurs incidences sur les fonctions d’accompagnement qui s’inscrivent dans la proximité géographique du bassin de vie. Il s’agira de questionner si le métier d’accompagnateur de la vie associative locale est significativement impacté. De ce questionnement découlera la nécessité (ou pas ?) de la prise en compte renforcée de ces mutations par les diverses têtes de réseaux dans leur fonction de production/transfert de connaissance.

 

Du côté de la participation citoyenne

La première (mutation) est en œuvre au croisement entre les jeunes politiques publiques de participation citoyenne et la vie associative. Les démarches de démocratie participative se démultiplient à l’initiative des collectivités locales puisqu’elles sont rattrapées par l’exigence de renouveau démocratique. Elles produisent de nouveaux cadres de délibération et d’action impactant la vie locale. Si un regard distancé nous conduit à les considérer comme à l’attention de l’habitant-citoyen et à les maintenir à l’écart des réflexions spécifiques au secteur associatif, une écoute et une observation qui plonge à l’intérieur des pratiques des professionnels de l’accompagnement à la vie associative locale et de leurs organisations, nous montre au contraire la perméabilité des deux champs. Procédons donc à une petite immersion avant de nous interroger sur l’incidence de ces tendances sur les fonctions d’accompagnement, en s’appuyant sur de récents travaux au sein du réseau national des maisons des associations (RNMA) qui, en regroupant plus de 80 structures locales et de très nombreux professionnels « sur le terrain », bénéficie d’une posture privilégiée d’observation et de détection de signaux faibles. Des éléments caractéristiques de la porosité entre les deux milieux apparaissent à plusieurs niveaux sur les territoires. Au sein des collectivités territoriales, un mouvement de fond est en cours d’un point de vue organisationnel pour placer les services et équipes dédiés à la démocratie participative et aux associations au sein de mêmes directions, avec des intitulés qui tournent autour de la vie citoyenne, vie sociale, vie des quartiers, démocratie locale… L’habitude historique de proximité de la Vie Associative (VA) avec les sujets de jeunesse et d’éducation populaire se dilue ; une nouvelle continuité naissante se situe sur la capacité commune entre habitants-citoyens et associations à faire part de diagnostics de besoins locaux et à inventer leurs propres solutions à l’échelle de leur cadre de vie, en lien avec les pouvoirs publics locaux. Des dispositifs de démocratie participative que les collectivités locales conçoivent avec la mise en place d’instances consultatives ou de plateformes numériques, ouvrent indifféremment leurs consultations aux deux profils que sont l’habitant et l’association, abattant dans le faire une cloison qui existe dans les représentations.

Ce glissement se retrouve au niveau des équipements qui abritent les fonctions d’accompagnement, de nombreuses maisons des associations rajoutant depuis quelques années l’épithète « vie citoyenne » ou « citoyenneté » dans leur dénomination. Au-delà des cadres institutionnels, ces évolutions se retrouvent dans l’action même des accompagnateurs. Une pratique de plus en plus répandue est l’accompagnement de projets collectifs, ou informels, hors cadre associatif, qui trouvent un appui auprès des accompagnateurs dans leur capacité à les aider à structurer un projet, à activer des ressources du territoire (lieu, matériel…) ou à s’articuler avec des partenaires. Ces collectifs trouvent parfois leur naissance au sein de dispositifs de démocratie participative, soit à l’occasion d’un appel à projet de type « budget participatif » ou « fonds de participation des habitants », soit au sein d’un conseil ou d’une instance participative impulsée par la collectivité pour faire émerger des paroles d’habitants. Certaines structures d’accompagnement effectuent le portage administratif ou financier du projet pour éviter au collectif de passer par la création d’association en assurant le paiement des factures ou encore la couverture assurancielle de l’activité. Ces dynamiques sont parfois amenées à se structurer en association pour aller plus loin, sans que ce soit systématique. Un autre fait significatif que nous observons est la mobilisation par des collectivités d’une structure d’accompagnement pour animer un conseil citoyen, ou autre instance participative, l’accompagnateur étant perçu comme capable de faciliter la naissance et la vie du groupe et de faire la médiation entre habitants et collectivité jusqu’à créer une culture de travail commune.

 

Et du côté des coopérations territoriales

La deuxième mutation que nous observons relève des dynamiques territoriales de coopération entre une pluralité d’acteurs d’horizons différents. Le secteur associatif n’est pas en reste dans le portage de cet enjeu et dans la valorisation de ses pratiques. Assez naturellement les coopérations inter-associatives sont nombreuses, parfois facilitées par une proximité géographique (à l’échelle d’un même quartier) ou thématique (culture…), et souvent initiée grâce à des actions de structures de développement local qui exercent une fonction d’animation inter-associative et provoquent des rencontres entre responsables associatifs. Ces structures peuvent être tant des acteurs du champ social, pas forcément spécialisés en Vie Associative, mais qui dans leur ancrage local ont une forte interaction avec des associations, que des acteurs de l’accompagnement associatif vers qui se tournent les associations tout au long de l’année pour les services de formation et conseil. Cette logique de coopération s’étend aussi à la relation entre associations et collectivités au point qu’on parle de plus en plus de co-construction de politiques publiques, comme le montrait en 2018 la recherche-action que Laurent Fraisse [1]https://www.rnma.fr/ressources/la-co-construction-de-l-action-publique-definition-enjeux-discours-et-pratiquesmenait sur le sujet en lien avec plusieurs têtes de réseau associatives et ESS. A l’échelle municipale, à travers l’aboutissement d’une Charte d’engagement réciproque ou encore le montage d’un Conseil Local de la Vie Associative[2]https://www.rnma.fr/les_ressources?tagged_with=CLVA, les travaux du RNMA ont montré que ce dialogue se retrouve facilité par un tiers médiateur, et que cette fonction est fréquemment assumée par un accompagnateur de la vie associative. En effet, ce dernier dispose d’une compréhension à la fois des enjeux associatifs et du fonctionnement de la collectivité et se retrouve en capacité d’accompagner le cheminement collectif pour que s’installe le langage commun et la confiance mutuelle, puis s’enclenche la coopération pérenne. Sur ce point nous rejoignons une logique évoquée dans le chapitre précédent relatif à la démocratie participative.

Si nous nous représentons les types de coopération de manière concentrique, nous pouvons dire que l’accompagnateur de la vie associative locale agit naturellement au centre pour stimuler la coopération inter-associative, nous dirons que c’est plutôt évident dans cet « entre-soi ». Autour, faisant un premier pas de côté, se situe le cercle partenarial historique composé des pouvoirs publics avec lequel l’accompagnateur développe de plus en plus d’espaces de co-construction. Enfin vient une 3ème zone, plus éloignée de la zone de confort initiale, composée d’acteurs avec qui les associations entretiennent des liens beaucoup moins fréquents : la sphère économique et académique.

En ce qui concerne la capacité des accompagnateurs à tisser des liens entre le centre et ce 2ème cercle éloigné, l’observation empirique des tendances en cours au sein des Pava (Point d’Appui à la Vie Associative), MDA (Maison des Associations) ou service VA des collectivités, nous montre que plusieurs d’entre eux se posent la question, et que quelques-uns y parviennent. Quand c’est le cas, on retrouve une même fonction jouée par l’accompagnateur, celle de « tête chercheuse ». C’est-à-dire qu’il va défricher le territoire, se rapprocher de réseaux « éloignés », chercher des interlocuteurs réceptifs dans ces sphères moins connues… jusqu’à que ce que nous pouvons encore appeler le hasard des rencontres, crée une première accroche et une idée de collaboration à amorcer. A ce moment-là, l’accompagnateur est en mesure de faire fructifier sa fine connaissance du tissu associatif, qui constitue un réservoir d’engagements et d’expertises sur de nombreux enjeux sociétaux, et de mobiliser les associations adéquates pour aller plus loin dans la coopération avec l’entreprise ou université rencontrée, et construire ainsi de nouvelles actions d’intérêt général.

 

Ouvrir le débat sur les évolutions du métier d’accompagnateur de la vie associative locale

La présentation de ces constats nourris de l’observation de terrain pratiquée depuis plusieurs années au sein du RNMA, m’emmène à proposer d’ouvrir le débat au sein de l’écosystème des acteurs concernés par l’accompagnement de la vie associative locale.

La toute première question qui me vient est de savoir si ces tendances sur lesquelles le RNMA a eu l’opportunité de poser longuement son regard, se détectent aussi au sein d’autres fédérations ou réseaux d’accompagnateurs de la vie associative locale. Je pense aux confrères des ligues de l’enseignement, des foyers ruraux, des familles rurales, des centres sociaux, des CDOS… Et bien d’autres avec qui les membres du RNMA partagent cet ancrage local de l’accompagnement :

  • Observez-vous également un élargissement des fonctions d’accompagnement liés à la modification des formes de l’engagement collectif et de la démocratie locale ?
  • L’émergence de politiques publiques co-construites avec les associations a-t-elle lieu dans vos bassins de vie ?
  • Voyez-vous naître des tentatives d’approche des universités et des entreprises ?
  • A partir de ces premières réponses, verrons-nous collectivement une évolution du métier d’accompagnateur de la vie associative locale très à la marge, ou au contraire significative ?
  • Si la tendance mérite qu’on s’y attarde, peut-on envisager sur ces sujets émergents de produire ensemble des savoirs utiles aux accompagnateurs de la vie associative locale ?

Sans présager des conclusions d’un tel débat, justifions néanmoins son intérêt du point de vue des évolutions historiques du fait associatif, dont l’histoire continue à s’écrire au présent. Dans les diverses situations de mobilisation collective évoquée sur les deux mutations, bien que le réceptacle organisationnel diffère et ne se concrétise pas par la forme associative, l’engagement, les dynamiques collectives et les aspirations à améliorer des situations sociales sont bien présentes. Cela nous invite à renouveler notre regard sur ces phénomènes qui relèvent en mon sens du fait associatif à l’échelle de la proximité géographique, l’associationnisme ayant connu des formes antérieures à la loi 1901 et étant en phase de s’en inventer de nouvelles. Le principal changement est au niveau du rapport qu’institutions, citoyens, associations et acteurs économiques se mettent à entretenir entre eux, pour sortir d’une logique historique de discussions/négociations bilatérales, et aller vers la pratique du « Commun ».

Dans l’immédiat, plusieurs travaux structurants quant à l’écosystème d’accompagnement sont en cours et pourraient être concernés par les conclusions d’un tel débat. Bien évidement la politique publique Guid’Asso qui monte en charge. Egalement le travail d’élaboration du référentiel métier « Accompagnateur de la vie associative locale »[3]https://www.rnma.fr/projets/le-metier-accompagnateur. Ou encore, le renouvellement souhaité en 2022 par le G10 suite à la dernière note sur l’accompagnement qui date de 2017[4]https://www.fonda.asso.fr/ressources/evolution-de-laccompagnement-des-structures-associatives-constats-besoins-et-pistes-de. Ces travaux s’actualiseront, d’autres verront le jour ; ils ont tous vocation à renforcer les acteurs de l’accompagnement en influant sur les dispositifs structurants à leur service. Pour les « AVAL » (Accompagnateurs Vie Associative Locale) dont le positionnement est le caractère généraliste et de proximité, il est important d’identifier les fonctions émergentes du métier et de les rendre visible, pour que celles-ci fassent l’objet d’attention dans les espaces institutionnels qui structurent notre champ.

A votre écoute pour mener la discussion.

 

 

 

Paul Bucau, Chargé d’animation de réseau et de formation chez Réseau national des maisons des associations

 

 

En savoir plus :

Inscrivez- vous au webinaire RNMA du 13 octobre prochain : présentation de la démarche OLVA

Journée d’étude nationale « Dialogue entre collectivités / MDA et associations » juin 2022

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References

References
1 https://www.rnma.fr/ressources/la-co-construction-de-l-action-publique-definition-enjeux-discours-et-pratiques
2 https://www.rnma.fr/les_ressources?tagged_with=CLVA
3 https://www.rnma.fr/projets/le-metier-accompagnateur
4 https://www.fonda.asso.fr/ressources/evolution-de-laccompagnement-des-structures-associatives-constats-besoins-et-pistes-de





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