Fin novembre la Cour des comptes publiait le rapport qui lui avait été commandé par la Commission des finances de l’Assemblée nationale. L’objectif de ce travail était de mesurer les effets de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations plus communément appelée « loi Aillagon », du nom du ministre de la culture qui en avait été le promoteur, sur le soutien public au mécénat des entreprises.
En effet, depuis son entrée en vigueur le coût pour les finances publiques a été multiplié par dix, passant de 90 millions d’euros à plus de 900 millions en 2017 traduisant à la fois le succès du système mis en place et les craintes qu’il suscite.
En effet, s’agissant d’une « dépense de guichet« , pour reprendre l’expression de la Cour, en clair des factures qu’il suffit de présenter à l’administration fiscale pour bénéficier d’une réduction d’impôts sans que cette dépense ait été décidée par l’état, on peut comprendre l’inquiétude des parlementaires et des pouvoirs publics face à une dépense qu’ils ne maîtrisent pas.
On pouvait donc s’attendre à une étude prenant en compte tous les aspects de la problématique et pas seulement à une vision de « petit boutiquier ». En l’espèce l’analyse de la Cour est assimilable pour un comptable à ne prendre en compte que le passif d’une société en omettant l’actif.
Nous n’entrerons pas ici dans les détails du rapport et les préconisations de la Cour que nous pouvons partager pour certaines d’entre elles mais nous nous concentrerons sur la méthodologie adoptée pour aboutir à la conclusion qu’il faut réduire le montant de la déductibilité fiscale, ce dont on pouvait se douter avant même que le rapport ne soit rédigé !!!
Pour appuyer ses constats ou démonstrations et ses recommandations la Cour prend en exemple trois fondations. Trois fondations ? On en doute. Deux sont un prétexte : la Fondation pour le patrimoine et la FACE (Fondation agir contre l’exclusion). On comprend vite que c’est la Fondation Louis Vuitton qui est dans la ligne de mire de la Cour et on peut supposer aussi des parlementaires. Ligne de mire ou collimateur, le lecteur du rapport choisira. La raison a cela ? La Fondation Louis Vuitton est le principal bénéficiaire de la loi mécénat. Horreur.
Quel est le constat de la Cour ? Si l’on prend le rapport et les chiffres fournis par la Cour les entreprises regroupées au sein de la Fondation ont investi 863 millions d’euros et ont bénéficié d’un avantage fiscal de 518 millions d’euros soit en onze an une moyenne annuelle de 47,1 millions d’euros. La Cour relève les importantes dérives dans le coût de la construction et les retards mais concède que la liberté laissée à l’architecte pour l’édification du bâtiment et les difficultés techniques sont à l’origine de ces retards. Soit dit en passant pas un mot sur les multiples recours de diverses associations contre le permis de construire pour ne prendre que cet exemple, recours qui ont bien évidemment retardé l’édification du bâtiment.
De ce constat que va retenir la presse dans son ensemble ? L’Hebdomadaire Challenge titre : « La Fondation Louis Vuitton épinglée par la Cour des comptes ». Le mensuel Capital de son côté relève: « La Cour des comptes épingle la Fondation Louis Vuitton » ; le site « Fundraisers » explique : « La dérive du mécénat façon grand luxe ». Nous pourrions citer d’autres titres. Mieux encore plusieurs titres font part du dépôt d’une plainte par une association contre la Fondation pour escroquerie. Rien que cela !
On pouvait se douter que la présentation de ces chiffres allait susciter bien des polémiques et ce alors même qu’au détour d’une phrase la Cour note qu’il ne peut rien être reproché à la Fondation qui est dans le plus parfait respect de la légalité républicaine et citoyenne.
De telles réactions ne s’expliquent que par une présentation disons très partielle voire partiale du sujet. En effet, il est pour le moins regrettable que la Cour se soit contentée de présenter en gros deux chiffres pour ce qui concerne la Fondation Louis Vuitton : le montant de l’investissement et le montant de la déductibilité.
Pour que le rapport soit complet et puisse nous éclairer sérieusement sur le mécénat d’entreprise il aurait fallu entrer d’autres chiffres et faire des calculs pour nous donner le coût réel après prise en compte de toutes les données.
Par exemple la Cour se contente de mentionner que la Fondation a payé 103 millions d’euros de TVA non récupérable. Il aurait fallu déduire du coût du mécénat cette somme. Il aurait été pour le moins nécessaire de dire que si le mécène déduit 60% il s’acquitte de 40% d’une façon altruiste. Il aurait fallu également nous indiquer, clairement, que la Ville de Paris allait empocher au moins 55 millions d’euros de redevance. Il aurait été utile d’insister sur le fait que le bâtiment dans 55 ans revenait à la Ville de Paris sans bourse délier. Ceci rien que pour les retombées directes, mesurables par tous. Il aurait été utile aussi d’avoir une étude d’impact sur toutes les retombées économiques réelles comme les touristes qui viennent visiter la Fondation avec les nuitées que cela représente. Et ne parlons même pas de l’image de marque qui bénéficie largement à la fois aux entreprises du groupe, personne n’en disconvient, mais aussi à l’image de la France. Bref, je ne suis pas certain que le coût du mécénat pour les finances publiques soit celui que la Cour veuille nous faire croire.
Alors, comme l’écrit Sarah Hugounenq dans la Gazette Drouot du 21 décembre 2018 : « Qui veut la peau du mécénat ? »
Francisco RUBIO
Professeur associé Webster University Genève
Consultant, président de « Philanthropy is Love »
En savoir plus :
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