Le Conseil d’Etat a longtemps considéré que les occupants du domaine public ne pouvaient détenir ni un bail commercial ni un fonds de commerce[1]. La Haute Assemblée considérait que l’occupant du domaine public ne pouvait détenir un fonds de commerce en raison de l’interdiction de disposer d’un bail commercial.
Cette prise de position était critiquée mais aucun texte ne permettait de revenir sur cette jurisprudence.
C’est désormais chose faite avec la loi Pinel qui a introduit quatre nouveaux articles[2] dans le code général de la propriété des personnes publiques (ci-après CG3P) permettant de reconnaître l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public et une patrimonialisation de ce fonds de commerce.
De sorte que si une association bénéficie d’une autorisation d’occupation du domaine public, elle pourra ainsi parfaitement revendiquer l’existence d’un fonds de commerce si les conditions suivantes sont respectées.
I – La reconnaissance de la constitution d’un fonds de commerce sur le domaine public
Il résulte tout d’abord explicitement des dispositions de l’article L. 2124-35 du CG3P que seul le domaine public artificiel est concerné par l’application de ces nouvelles dispositions. Ainsi, comme le souligne la doctrine, peuvent être concernés « les halles et les marchés (…), les gares, les stations de métro, les ports et aéroports, les aires d’autoroutes, les parcs et les promenades publics, les hôpitaux, les universités, les stades et enceintes sportives et assimilées ainsi que les musées et certains monuments publics (châteaux, tour Eiffel notamment).[3] ».
Quant à l’exclusion du domaine public naturel, elle s’explique par la volonté du législateur de préserver le domaine public naturel de préoccupations commerciales. Sont ici concernés les domaines publics fluviaux ou maritimes qui ne pourront voir se développer des fonds de commerce pour les activités commerciales existantes comme les restaurants sur les plages ou sur les péniches.
Ensuite, L’article L. 2124-32-1 du CG3P dispose explicitement qu’un fonds de commerce ne peut être exploité que sous réserve de l’existence d’une clientèle propre.
La question est donc de savoir en l’espèce ce que recouvre la notion de clientèle propre.
Jusqu’à présent seules les juridictions judiciaires se sont prononcées, mais si le Conseil d’Etat suivait ces jurisprudences, des exploitations situées dans un même ensemble dépendant du domaine public pourraient ou non se voir qualifiées de fonds de commerce, en fonction de leur autonomie de gestion (horaires d’ouverture, règlement intérieur de l’ensemble commercial) et, le cas échéant, de leur notoriété propre (nom commercial ou spécificité du produit).
Si en pratique l’absence de clientèle propre appartenant au commerçant ne pose ainsi guère de difficultés dans les lieux où la clientèle est captive à l’instar des aéroports tel n’est pas le cas dans des lieux où le lien fonctionnel est dissociable (halles et gares, par exemple).
Ainsi, dès lors qu’un exploitant de fonds de commerce sur le domaine public artificiel démontrera l’existence d’une clientèle propre, il disposera d’un élément patrimonial dont la transmission pourra être envisagée.
Par ailleurs, par dérogation au caractère intuitu personae d’un titre d’occupation du domaine public, les nouvelles dispositions du CG3P contiennent deux hypothèses de transmission possible par un titulaire de fonds de commerce de son titre d’occupation.
– Ainsi, est tout d’abord prévue l’hypothèse du décès d’un occupant personne physique du domaine public exploitant un fonds de commerce. Ses ayants-droits peuvent demander à l’autorité compétente la délivrance d’une autorisation d’occupation temporaire identique à celle que détenait l’ancien titulaire et ce, pour une durée de trois mois afin de poursuivre l’exploitation du fonds.
Ensuite et si les ayants-droits ne poursuivent pas l’exploitation du fonds ils disposent du droit de présenter dans les six mois du décès de l’ancien titulaire un successeur à la personne publique.
Si cette dernière accepte le successeur, ce dernier sera alors subrogé dans les droits et obligations de l’ancien titulaire.
– La seconde hypothèse de transmission concerne l’hypothèse d’une transmission en dehors de tout décès mais suite à l’acquisition d’un fonds de commerce.
Dans ce cas, c’est l’acquéreur d’un fonds de commerce sur le domaine public qui va lui-même prendre contact avec l’autorité compétente pour délivrer un titre d’occupation pour obtenir par anticipation une autorisation d’exploitation dudit fonds. L’autorisation prendra effet dès la preuve de la réalisation de la cession du fonds.
La rédaction de l’article L. 2124-33 du CG3P ne prévoit pas d’hypothèses de refus de délivrance.
Doit-on en conséquence considérer que la délivrance du titre d’occupation demeurera purement discrétionnaire ou peut-on désormais considérer que l’existence d’un fonds de commerce impose à la personne publique de délivrer un titre d‘occupation pour l’exploitation du fonds de commerce sauf à justifier son refus par un motif d’intérêt général ? Il semblerait que la seconde option corresponde à l’intention du législateur.
II – Les incidences patrimoniales de la reconnaissance du fonds de commerce.
Cette reconnaissance entraîne à la fois une patrimonialisation du fonds de commerce et un droit à indemnisation.
Ainsi et tout d’abord, la reconnaissance de l’existence d’un fonds de commerce emporte pour son propriétaire la faculté de céder, de transmettre et de donner en garantie ledit fonds et donc, de le valoriser.
Certes un effet indirect de cette patrimonialisation risque d’être l’augmentation du montant des redevances d’occupation du domaine public qui sont calculées en tenant compte des avantages de toute nature procurées au titulaire de l’autorisation. Cet impact devrait cependant être limité aux futures autorisations délivrées dans la mesure où le Conseil d’Etat vient de juger que l’entrée en vigueur de ces dispositions sur le fonds de commerce ne concernera que les autorisations délivrées à compter de l’entrée en vigueur de la loi Pinel précitée[4].
A noter que les méthodes de valorisation habituellement employées lorsque le bénéficiaire est titulaire d’un bail commercial pourront certainement être transposées au fonds de commerce situé sur le domaine public. Toutefois, ces méthodes devront être adaptées afin de tenir compte de la précarité de la convention d’occupation ainsi que du caractère personnel de cette convention. La valeur du fonds de commerce subira par suite une dépréciation progressive à mesure que le terme du titre d’occupation approchera.
Enfin, le Conseil d’Etat admet que l’occupant du domaine public est en droit d’obtenir réparation du préjudice direct et certain qui résulte de la résiliation de son titre pour un motif d’intérêt général[5]. Dans cette hypothèse, l’occupant a droit à l’indemnisation de la perte de ses bénéfices et des dépenses exposées pour l’occupation normales du domaine qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation. Cette méthode d’indemnisation est prévue à l’article R. 2125-5 du CG3P.
Désormais, en cas de résiliation du titre d’occupation, c’est donc l’intégralité du préjudice subi par l’occupant qui pourra être indemnisé, y compris la perte du fonds de commerce.
Il conviendra de calculer cette perte a priori selon les mêmes méthodes de valorisation que celle retenue dans le cadre d’une transmission, tout en respectant en parallèle les dispositions du CG3P propres à l’indemnisation des occupants en cas de résiliation pour motif d’intérêt général et en respectant les méthodes de calcul qui existent en droit public.
Cette loi offre donc des perspectives de patrimonialisation très intéressantes à tout occupant du domaine public.
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