L’optimisation d’une opération de fusion entre associations fiscalisées nécessite de procéder àun grand nombre de vérifications particulières, parmi lesquelles celle portant sur le transfert d’éventuels déficits fiscaux. Toutefois, cette faculté offerte par la loi passe par la mise en œuvre d’une procédure mal adaptée au secteur associatif. Éclairage.
Les associations qui sont totalement ou partiellement assujetties à l’impôt sur les sociétés (IS) peuvent, au cours de leur existence, constater des déficits fiscaux, reportables dans les conditions de droit commun(1). Or, en application du principe fiscal d’identité de l’entreprise, les déficits fiscaux reportables d’une structure absorbée ne peuvent pas être transférés à la structure absorbante dans le cadre d’une opération de fusion. Cette exclusion de principe est tempérée par le législateur qui a prévu un régime particulier(2) applicable à ces déficits dans le but d’assurer autant que faire se peut la neutralité fiscale des fusions, généralement assimilées à des opérations purement intercalaires. Cette disposition légale permet d’imputer sur les bénéfices ultérieurs réalisés par l’absorbante tout ou partie des déficits fiscaux constates chez l’absorbée. Pour cela, la fusion doit être placée sous le régime fiscal de faveur des fusions(3), lequel permet de différer le paiement de l’impôt sur les sociétés calculé à partir des plus-values latentes constatées lors de cette opération. Initialement prévu pour les opérations de fusion entre sociétés commerciales, ce régime particulier trouve à s’appliquer entre associations fiscalisées. En effet, les trois instructions fiscales du 13 juin 2014(4) ayant permis à ces organismes de bénéficier de ce régime spécial des fusions, rien n’interdit à une association absorbante d’envisager la mise en œuvre d’une procédure de transfert des déficits fiscaux constatés dans une ou plusieurs associations absorbées.
UN MÉCANISME FISCAL APPLICABLE AUX FUSIONS ENTRE ASSOCIATIONS
Si les conditions sont réunies, l’administration fiscale peut délivrer à l’association absor- bante un agrément lui permettant d’imputer sur ses bénéfices ultérieurs tout ou partie des déficits fiscaux constatés chez l’association absorbée. Pour cela, il conviendra d’engager cette procédure d’autorisation préalablement à la mise en œuvre de l’opération de fusion.
Conditions de l’octroi de l’agrément
L’article 15 de la loi de finances rectificative pour 2012(5) a durci les conditions d’obtention de l’agrément – initialement fixées à deux – en cas d’opérations de restructuration afin de lutter contre « les transferts abusifs de déficits »(6).
Ainsi, pour les exercices clos àcompter du 4 juillet 2012, l’agrément est délivrési les conditions suivantes sont respectées :
- la fusion est placée sous le régime de l’article 210 A du code général des impôts(7). À cette fin, outre le fait que les associations doivent s’engager explicitement dans le traité de fusion à respecter les prescriptions visées au 3 dudit article, les apports doivent également être transcrits dans les comptes de l’absorbante à la valeur nette comptable ;
- l’opération est justifiée d’un point de vue économique et obéit à des motivations principales autres que fiscales. La procédure d’agrément permet de s’assurer de la réalité économique de la restructuration et de ses motivations. Sont assimilées à des motivations principalement fiscales la fraude, l’évasion ou l’optimisation fiscales(8) ;
- l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandéest poursuivie par l’association absorbante pendant un délai minimal de trois ans, sans faire l’objet de changement significatif – notamment en termes de clientèle et d’emploi ;
- les déficits susceptibles d’être transférés ne proviennent ni de la gestion d’un patrimoine mobilier par des personnes morales dont l’actif est principalement composé de participations financières dans d’autres sociétés ou groupements assimilés, ni de la gestion d’un patrimoine immobilier. Le législateur a ici entériné une doctrine administrative qui avait précédemment été jugée illégale par le Conseil d’État(9).
Procédure d’octroi de l’agrément
En vertu de l’article 1649 nonies du code général des impôts, la demande d’agrément doit être déposée par l’association absorbante préalablement àla réalisation de l’opération de fusion. Àdéfaut, la forclusion(10 )sera opposée à la demande.
Cette demande doit respecter un modéle prévu par l’administration et être rédigée en trois exemplaires dont un original signépar les représentants légaux des associations concernées (absorbée et absorbante)(11). Elle doit également être accompagnée du projet de traitéde fusion.
La demande doit en principe être adressée au directeur départemental ou régional des finances publiques du département au chef-lieu duquel est localisée la direction de contrôle fiscal (Dirco ) dans le ressort de laquelle l’association a son siége. Par exception, elle doit être adressée au ministre chargédu Budget. Tel est notamment le cas lorsque la demande est présentée par une association réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros ou lorsque la demande porte, pour une même opération, sur des déficits dont le montant global est supérieur à1,5 million d’euros(12).
Si l’agrément est de droit, l’administration peut n’accorder qu’un transfert limité des déficits – par exemple, 40 % des déficits demandés. Par ailleurs, cette dernière indique que la décision d’agrément ne saurait être regardée comme fixant un montant intangible de déficits reportables, celui-ci demeurant soumis àson droit de contrôle dans les conditions de droit commun(13).
La décision d’agrément ou de refus motivépeut toujours faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif dans le délai de deux mois àcompter de sa réception(14).
UN MÉCANISME INADAPTÉAU SECTEUR ASSOCIATIF
Difficulté liée à la détermination de l’origine des déficits
Selon l’administration fiscale, il est indispensable de savoir, avant toute autre chose, si les déficits sont directement afférents à l’activité effectivement transférée.
L’administration établit un lien nécessaire entre les déficits et l’activité. Lien nécessaire car il permet de répondre à toute une série de questions, chacune dépendant de la réponse apportée à la précédente : quand sont nés les déficits ? Quelles étaient les activités exercées par l’absorbée lors de la naissance des déficits ? Ces déficits proviennent-ils d’une activitéde gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier ? Si tel n’est pas le cas, l’association absorbée a-t-elle arrêté d’exercer l’activité à l’origine des défi cits ? Pour y répondre, l’administration fiscale précise que l’association devra, dans le cadre de la demande d’agrément, déterminer l’origine des déficits transférables au moyen d’une comptabilité analytique(15).
S’agissant de la date de naissance des déficits fiscaux de l’association absorbée, il sera possible de se référer aux liasses fiscales des exercices précédant celui de la fusion, les déficits réalisés au cours d’un exercice étant en principe mentionnés sur les états n° 2058-B ou n° 2033-D-SD.
S’agissant de l’activité à l’origine des déficits, sa détermination est indispensable afin de respecter une autre condition légale, à savoir le caractère patrimonial ou non de l’activité en cause. Cette détermination ne sera pas nécessairement aisée. En effet, si les déficits fiscaux proviennent généralement d’une perte comptable liée à une activitélucrative déficitaire, quel sort réserver aux déficits fiscaux constatés àl’occasion de l’application de règles fiscales particulières – par exemple, aux distributions de dividendes en application du régime mère- fille(16) ?
Difficulté liée à l’évolution de l’activitéàl’origine des déficits
S’il a été possible de lier l’existence de déficits à une activité toujours exercée par l’association absorbée àla date de réalisation de la fusion, encore faut-il suivre l’évolution de cette dernière dans le temps. Et la cléde voûte de cette analyse repose ici sur la notion de « changement significatif » : depuis l’exercice au cours duquel il a étéconstatédes déficits jusqu’àla date de réalisation de la fusion, l’activité à l’origine de ces déficits a-t-elle connu des changements significatifs ?
La notion de changement significatif n’est pas définie par la loi, mais, au regard de la doctrine écrite de l’administration(17), rejoint en filigrane le principe d’identitéde l’entreprise : le changement significatif ne doit pas être de nature àcaractériser une perte d’identité de l’activité. En d’autres termes, l’activitédoit être exercée dans des conditions similaires tout au long de la période au titre de laquelle ces déficits ont étéconstatés.
Pour apprécier l’existence ou non d’un changement significatif dans le temps, la loi mentionne plusieurs éléments de comparaison : la clientèle, l’emploi, les moyens d’exploitation effectivement mis en œuvre, la nature et le volume d’activité(18). Ces éléments sont précisés par l’administration fiscale(19) :
- l’appréciation de l’évolution des effectifs ne s’opère pas seulement en volume (critère quantitatif du nombre d’emplois maintenus), mais également en termes de fonctions poursuivies (critère qualitatif, tel que l’évolution de la masse salariale en proportion de celle des emplois) ;
- les conditions et modalités d’exercice de l’activité ne doivent pas seulement traduire un changement de nature (critère qualitatif traduisant une perte d’identité de l’activité), mais également un changement en volume (critère quantitatif, tel que l’évolution du chiffre d’affaires) ;
- l’ensemble des autres moyens d’exploitation effectivement mobilisés est également examiné. Il s’agit notamment des actifs mis en œuvre, des produits fabriqués ou services rendus, des lieux d’exploitation et des zones géographiques desservies.
On le voit, la tâche est difficile. Et elle ne s’arrête pas là pour les associations qui souhaiteront transférer leurs déficits fiscaux dans le cadre d’opérations de restructuration. Si cette activitén’a pas fait l’objet d’un changement significatif dans le passé, elle ne doit pas non plus être significativement changée au cours de l’avenir. Àcette fin, l’association absorbante devra prendre l’engagement, dans la demande d’agrément, de ne pas modifier significativement l’activité pendant un délai minimum de trois ans. Cet engagement devra, au surplus, s’accompagner d’éléments de prospective : par exemple, quelle sera la politique d’investissement ou la politique salariale de l’association absorbante à l’égard de l’activitéen cause ?
Si le législateur a volontairement restreint l’accès au dispositif de l’article 209, II du code général des impôts, force est de constater que ce mécanisme fiscal n’a pas été conçu pour le secteur associatif qui, au demeurant, va devoir professionnaliser son approche comptable. Un sujet dont le Haut-Conseil à la vie associative (HCVA) serait très inspiréde s’emparer afin de tenter de le rendre plus accessible aux associations fiscalisées susceptibles d’en tirer bénéfice.
Colas AMBLARD, Directeur des publications
Florian BOCQUET, Cabinet NPS Consulting
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°545 du 1 octobre 2016 : Télécharger l’article
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS animée par Colas AMBLARD le jeudi 5 janvier 2017 à Lyon : « La réforme territoriale appliquée au mouvement sportif ».
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS animée par Colas AMBLARD le jeudi 2 février 2017 à Lyon : Restructuration et rapprochement des associations (aspects juridiques et fiscaux) .
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Documents joints:
Notes:
2. CGI, art. 209, II.
3. CGI, art. 210 A.
4. BOFiP-Impôts, BOI-IS-FUS-10-20-20, BOI-IS-FUS-20-10 et BOI-ENR-AVS-20-60-30-10 du 13 juin 2014, JA no 502/2014, p. 6.
5. L. no 2012-958 du 16 août 2012, JO du 17.
6. Ass. nat., projet de LFR pour 2012, no 403 du 14 nov. 2012, art. 12.
7. CAA Douai, 21 oct. 2010, no 08DA01310, RJF 2/11, no 148.
8. BOFiP-Impôts, BOI-SJ-AGR-20-30- 10-10 du 7 oct. 2013, § 130 et 140.
9. CE 19 sept. 2014, no 349084,RDF 2014. Comm. 603.