Une menace sur les services civiques

La fin d’année 2024 a été perturbée, nous en convenons tous et nous attendions avec une certaine impatience que les impérities nées des décision du président de la République s’éloignent pour que nous retrouvions un climat qui permette de donner à la France un budget correct.

Tout y est passé, depuis les menaces que les salaires des fonctionnaires ne seraient pas honorés, les retraites pas versées, le commerce en berne, les fêtes de fin d’année gâchées par une nouvelle censure, des refus de vote ou encore des invectives de part et d’autre.

Mais ce que nous n’avions pas mesuré est cette capacité à utiliser les citoyens et leur représentation pour menacer de mettre la France en jachère. Le plus bel exemple est cette information parue fin janvier du gel des financements des services civiques si le projet de loi de finance n’était pas voté : « Faute de Loi de finance, l’État place brutalement des milliers de jeunes et associations au pied du mur. Hier (27 janvier), une note du ministère du budget, relayée à tous les organismes d’accueil de jeunes en Service Civique, leur apprenait une décision brutale et inacceptable : le gel du Service Civique pour toute mission débutée en 2025 dans l’attente de l’approbation du PLF » (lettre au Premier Ministre de Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif)

Là, on a touché le fond !

C’est une attaque en règle des engagements réciproques pris entre les associations et l’État : les unes accueillent les jeunes pour engager avec eux un parcours citoyen qui leur permette de s’engager au bénéfice de tous, mais aussi de lutter contre la précarité qui les touche plus que tout autre, tandis que l’autre (l’État) en assure le financement. Cette attaque n’est pas digne d’une République, elle ne peut conduire qu’à une perte de confiance envers l’État qui devrait être le garant de notre démocratie.

Comment dire aux jeunes de s’engager et de se mettre au service des citoyens quand dans le même temps ceux qui devraient être des exemples les trahissent ?

« Autant de jeunes qui avaient prévu de s’engager dans les jours qui viennent, et qui risquent donc de perdre une année complète, dans un contexte de précarité généralisée pour la jeunesse, mais aussi de perdre par la même occasion confiance en l’État et en notre démocratie. » souligne Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif dans sa lettre du 28 janvier au Premier Ministre.

Depuis, le projet de loi de finances a fait l’objet d’un 49.3 à l’Assemblée Nationale entrainant une adoption du budget sans vote. Le ministère informait alors que tout serait rétabli le 24 février prochain, et nous nous interrogions sur ce qui serait rétabli : les services civiques, en quel nombre, avec quelles contraintes nouvelles, quelle épée de Damoclès sur la tête des associations ?

Le communiqué de presse du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative rassure sur la reprise de ce dispositif, Marie Barsacq, ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, déclarant : «Le Service Civique est un programme primordial, offrant à nos jeunes l’opportunité de s’engager, de se sentir utiles en œuvrant pour des causes d’intérêt général, tout en développant des compétences précieuses pour leur avenir professionnel. Je continuerai à soutenir cette dynamique pour garantir à nos jeunes – acteurs de demain – les meilleures opportunités d’engagement. ». Très belle déclaration qui permettra de tenir « L’objectif de 150 000 volontaires engagés en Service Civique en 2025 », mais comment faire confiance quand « un programme primordial » sert de moyen de pression auprès des acteurs, en particulier associatifs ?

 

« On prend en otage le dispositif, nos jeunes et nos associations »

Ce qui est très inquiétant, est ce que cela représente de l’instrumentalisation des politiques publiques d’un État aux abois, c’est aussi ce que cela signifie de la prise en compte des associations comme véritables acteurs dans les territoires, garants du lien social, de l’utilité sociale et de l’intérêt général.

Et les élus comme les représentants associatifs ne s’y trompent pas.

Rose Amélie Becel (Public Sénat – 03/02/2025 – « L’Etat n’est pas au rendez-vous vis-à-vis de sa jeunesse » : le service civique suspendu, dans l’attente d’un budget 2025) en fait une analyse tout à fait précise, reprenant les propos de sénateurs très impliqués dans la mise en place de ce dispositif.

Alors même que les sénateurs, lors de l’examen du volet « jeunesse et vie associative » du budget le 16 janvier dernier, ont adopté la copie du gouvernement qui prévoit de doter l’Agence du service civique de 600 millions d’euros, un montant qui permet la conclusion de 150 000 contrats de jeunes en service civique comme en 2024, l’État décide de la suspension des contrats, deux semaine après. « Une décision d’autant plus difficile à entendre que l’adoption d’une loi spéciale fin décembre dernier permet déjà de préserver les moyens alloués à l’agence en 2024, soit plus de 518 millions d’euros ».

Éric Jeansannetas, sénateur socialiste, considère que cette nouvelle brutale a donc tout de l’« instrumentalisation » : « J’ai le sentiment que cette annonce, qui choque l’opinion publique, est faite pour prouver que la censure du gouvernement n’est pas opportune. C’est de la manipulation, on prend en otage le dispositif, nos jeunes et nos associations, pour un argument qui n’est pas recevable ! ». Ce que dit autrement le sénateur Les Républicains Cédric Vial : « C’est une annonce politique, on cherche à affoler les gens pour rien. Le vote de la loi spéciale permet à l’Agence du service civique de fonctionner pendant plus de deux mois. D’ailleurs, la grande majorité des jeunes en service civique débutent leur mission en début d’année scolaire, pas au mois de février. »

On peut alors s’interroger sur la considération de l’État pour ce dispositif qui devient un moyen de pression, pour prouver les conséquences concrètes d’une absence de budget pour 2025 et éviter le vote d’une nouvelle motion de censure.

« Le 3 février, au micro de RTL, la ministre des Comptes publics a confirmé que tous les jeunes engagés pourront honorer leur contrat, une fois le projet de loi de finances adopté. « Je peux garantir que si ce budget passe, si la France peut repartir, elle repartira aussi pour le service civique », a assuré Amélie de Montchalin. » conclut Rose Amélie Becel.

Eh oui, c’est bien du chantage !

 

« C’est un modèle de société qui est remis en question »

Mais au-delà de la question des services civiques, c’est tout le monde associatif qui est fragilisé par les politiques publiques et leurs tergiversations (changement d’orientation en fonction de tel ou tel ministre, remise en cause des conventions signées, jugements hâtifs sur les travaux menés par les associations, …) et nombre des acteurs sont de plus en plus en alerte, voire en révolte face à ces élus et représentants divers et variés des familles politiques politiciennes qui n’ont de considération que pour eux-mêmes. Ils oublient combien les associations, constituées de citoyens engagés, sont présentes dans les territoires répondant aux besoins des populations, maintenant du lien social, effectuant des missions de service public, …

Claire Thoury, dans sa lettre ouverte au Premier Ministre, en tant que représentante du monde associatif déclare avec pertinence et justesse sa « profonde inquiétude (et celle du Mouvement Associatif et de l’ensemble des réseaux qui le composent) quant aux difficultés encourues par les associations. » : « Les restrictions budgétaires ne sont pas sans conséquence : elles affectent directement la capacité des associations à répondre aux besoins des populations, notamment les plus vulnérables, tout en limitant leur rôle dans l’animation des territoires. Au-delà des enjeux financiers, c’est tout un modèle de société qui est remis en question, alors que la transition écologique, la fracture sociale ou encore la revitalisation des territoires les plus fragiles nécessitent des efforts concertés.

Affaiblir le monde associatif revient à hypothéquer des solutions souvent innovantes et adaptées aux besoins locaux.

Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques. Le décalage du vote du budget et les conséquences pour les associations illustrent la difficulté du monde associatif qui doit constamment s’adapter à l’instabilité politique. Ce manque de clarté est un véritable frein au développement de l’action associative. Mais plus encore, il met aujourd’hui en péril un grand nombre d’associations en mettant leur trésorerie sous pression. »

 

Agir pour unir et faire société

Ces constats, nous les faisons, années après années, sur ce manque de considération à l’égard des associations, sur ces décisions péremptoires de la part de certains élus (je ne reviendrai pas sur les déclarations iniques de la Présidente du Conseil régional des Pays de Loire dont nous parlions en janvier dernier), d’autres sauront le faire et il serait bon que cela soit entendu car des réactions telles que celle de Mebarek KARAR (Délégué Général Vacances & Familles, Fédération des centres sociaux du Languedoc-Roussillon) dans son « coup de gueule » (sic) risquent de prendre de plus en plus d’ampleur et mobiliser les « plus de 15 millions de Français qui donnent de leur temps, de leur énergie, parfois au détriment de leur propre bien-être, pour porter des causes qui font la différence. En 2023, 23% des Français sont bénévoles dans une association ! (source : France Générosités) ».

Ce responsable associatif déclare : « L’attaque contre les associations : une erreur monumentale pour notre société !

Je suis furieux ! Les baisses et suppressions des subventions aux associations sont une véritable trahison de nos valeurs de solidarité et de cohésion sociale. Ces décisions, prises sans discernement, mettent en péril l’essence même de ce qui fait notre force : notre capacité à nous unir pour défendre les plus vulnérables, pour agir ensemble, pour faire société.

Les associations ne sont pas un luxe. Elles sont le ciment de notre vivre-ensemble. Elles sont au cœur de notre société : qu’il s’agisse de solidarité, d’éducation, de culture, de santé, ou de lutte contre l’exclusion. Elles créent des liens quand tout semble nous diviser.

Supprimer les subventions, c’est affaiblir la solidarité, laisser les plus fragiles sans soutien et tuer l’esprit d’engagement.

Nous devons être clairs : ces choix réduisent l’impact des associations et brisent des vies. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette mobilisation collective qui permet de combler les lacunes des institutions publiques et d’assurer l’accès aux services essentiels pour ceux qui en ont besoin. Les associations sont indispensables, leur financement doit être une priorité !

Il est temps de se lever ! »

 

Le monde associatif est essentiel à notre pays, il est porteur de valeurs et est un véritable ciment républicain, il est ce qui permet à la fois de la cohésion dans les territoires et entre les personnes, il est l’apprentissage du vivre ensemble, il est à respecter et ne peut pas devenir la variable d’ajustement ou le moyen de nuire pour des raisons politiques. Au lieu de vous servir des associations comme menace, messieurs les politiques, sachez travailler avec ces citoyens qui, au quotidien sont des alliés pour maintenir la paix sociale et les liens entre tous.

 

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

En savoir plus : 

Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (février 2025)

Lettre ouverte au Premier Ministre de Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif






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