Alors que se tenait le salon Made in France du 6 au 9 novembre, le Monde daté du 7 novembre revient sur l’emblématique projet Duralex et la levée de fonds plus que réussie suite à la reprise de l’entreprise par les salariés en coopérative il y a un an. Pour rappel, Duralex a obtenu 16 millions de promesses de souscriptions en 24h pour 5 millions attendus en un mois. Aussi, Duralex n’a pas fait un appel aux dons, ni proposé de souscrire au capital, mais de faire un prêt sur 7 ans sans droite de vote et moyennant généreuse rémunération de 8% sous forme de titres participatifs. Ce point n’est pas anecdotique : le titre participatif est sous-utilisé au regard de l’alternative qu’il représente entre l’achat de parts et le prêt.
Reprise en Scop : plus durable, moins financée
Dans son article, le Monde relève à juste titre : « Lors de la reprise, Bpifrance, la banque publique d’investissement, n’a pas participé au tour de table : elle ne s’est positionnée qu’en contre-garantie bancaire alors qu’elle proposait 7 millions d’€ de prêts au projet concurrent. » Sous-entendu : quand c’est un projet capitaliste classique, on prend des risques ; mais quand c’est une coopérative, on ne prend pas de risques. Ce deux poids deux mesures n’est pas un fait isolé. Il est la norme dans notre pays si conservateur aux préjugés tenaces. Duralex n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de projets de reprise en Scop (société coopérative et participative) qui se heurtent sans cesse à la frilosité sinon au dédain des investisseurs et pis, des financeurs publics censés soutenir le tissu économique français (Caisse des Dépôts, Banque des territoires, BPI France, collectivités). Lorsque des entreprises sont en difficulté, la solution Scop ne vient qu’en dernier recours et souvent trop tard. Les décideurs publics continuent de se laisser séduire par les puissants fonds d’investissement et oublient combien ils ont été souvent dupés avec des promesses non tenues et des plans sociaux, parfois à peine quelques mois après la reprise. Pourtant, les faits sont têtus : depuis plus de 20 ans, le taux de pérennité des Scop à 5 ans est systématiquement supérieur de 5 points au taux moyen de pérennité des entreprises classiques publié par l’Insee. Aucun miracle à ce résultat qui mixe une gestion ultra-responsable avec un accompagnement solide, notamment du réseau des Scop.
Privatisation des profits, socialisation des pertes
Ce deux poids deux mesures est omniprésent. Qui ne se souvient du scandale Orpea mis en cause pour avoir privilégié ses actionnaires au détriment de ses patients personnes âgées et leurs familles ? Selon une logique réellement libérale, ce groupe capitaliste aurait dû fermer ses portes après ses dérives de gestion. Mais comme à chaque fois, l’Etat via la Caisse des Dépôts est venu à la rescousse avec CNP assurances et – un comble – deux mutuelles MAIF et MACSF Epargne Retraite. Le tout pour pas moins de 1,16 milliard d’euros sur un seul groupe alors que la déléguée interministérielle ESS de l’époque annonçait avec fierté quelque 100 millions d’€, soit dix fois moins, pour les 2000 Ehpad de l’ESS. Un exemple de plus d’une loi d’airain jamais démentie : privatisation des profits, socialisation des pertes.
Les petites entreprises paient plus d’impôts que les grandes
Le 18 septembre dernier, la Cour des Comptes publiait un rapport sur les soutiens publics à l’ESS. Stupéfaction : loin des idées préconçues sur ces associations qui ne vivraient que de derniers publics, la Cour des Comptes a chiffré à 16 milliards le montant des aides à l’ESS (en l’espèce surtout associations), soit 7% des 211 milliards des aides aux entreprises alors qu’elle pèse presque le double en emplois. L’ESS n’est pas la seule à être sous-considérée. Selon le rapport du Sénat de 2025 qui précisément avait chiffré le montant des aides aux entreprises, 77% des aides publiques aux entreprises profitent aux grandes entreprises et aux ETI (entreprises de taille intermédiaire) qui ne pèsent pourtant que 55% de l’emploi. En creux, les PME et TPE récoltent donc moins d’un quart des aides alors qu’elles pèsent 45% de l’emploi. Traitement d’autant plus inéquitable que selon le même rapport, 80% de ces aides constituent des exonérations fiscales ou sociales pour lesquelles les grandes entreprises sont outillées pour pratiquer l’optimisation fiscale à grande échelle. L’INSEE a publié une étude montrant l’impact de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés de 33% à 25% depuis 2017 et sur 5 ans. Selon l’INSEE (Analyse 112 du 2 septembre 2025), l’impôt des PME a baissé de -1,7% alors que celui des grandes entreprises a baissé de -5%. Quant aux microentreprises, non seulement leur impôt n’a pas baissé, mais il a augmenté de 0,4%.
Plus de 40 ans après la dérégulation amorcée sous l’ère Reagan et Thatcher et l’essor de l’industrie financière mondialisée, le capitalisme traditionnel a imprégné toutes les têtes et tous les esprits, à commencer par ceux des décideurs publics qui ont suivi les mêmes écoles (Sciences Po, X, ENA, HEC, etc.) que les dirigeants des grandes entreprises et des fédérations professionnelles qu’ils côtoient tous les jours quand ils ne font pas la navette entre eux et entre le public et le privé. Qu’il faille soutenir les fleurons de l’économie française est plus qu’une évidence dans le contexte géopolitique mondial malheureusement trop minoré dans les querelles politiciennes et syndicales qui consternent les français(es). Mais ça n’excuse en aucun cas le traitement différencié, la frilosité et le manque d’intérêt pour toutes les organisations économiques qui font le tissu réel que nous côtoyons sur nos territoires : PME, TPE, artisans, commerçants, petits agriculteurs … Et ESS.
Pierre Liret, entrepreneur coopératif à Coopaname
En savoir plus :
L’ESS doit accélérer face au capitalisme, Thierry Jenatet, éditorial ISBL magazine, septembre 2025
Le Capitalisme est-il obligatoire ?, Thierry Jeantet, Institut ISBL juillet 2025
- Duralex, symbole du deux poids deux mesures - 24 novembre 2025
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