Les inquiétudes sur le financement des services d’aide à la personne âgée, objet de l’actuelle réforme sur la « dépendance », nous font pleinement prendre conscience des conséquences du choix politique, depuis près de 10 ans, de substituer à la solidarité familiale, une solidarité nationale. Avant l’entrée en vigueur en 2002 de l’APA, l’Aide Personnalisée à l’Autonomie, l’aide aux personnes dépendantes était octroyée sous condition d’une participation financière des familles des intéressés ou de récupération des sommes versées sur la succession (1) . Afin d’étendre l’aide à un plus grand nombre de bénéficiaires, l’APA a supprimé, pour son octroi, la condition de récupération d’une partie de l’aide auprès du bénéficiaire ou de sa famille. La majeure partie des français doivent donc contribuer à la charge de la « dépendance ». Or, le public « dépendance APA » représente actuellement 2 % de la population et continue de s’accroître sous la pression de la « gérontocroissance » : le pourcentage de la population (2) de plus de 75 ans va doubler en 40 ans passant de 9 % en 2010 à 16 % en 2050 (3) . Pour sa partie reposant sur la solidarité nationale, l’APA était financée, en 2008, à hauteur de 30 % par l’Etat, via la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, le reste étant à la charge des départements, qui sont toujours mis davantage à contribution (4) . Or, ces derniers connaissent de graves difficultés financières, sous l’effet conjugué de la crise économique et des ajustements liés aux réformes institutionnelles et fiscales, dix d’entre eux allant même à se déclarer en faillite. Dès lors, les conséquences sur la collaboration entre les pouvoirs publics et les associations du secteur des services d’aide à la personne âgée, qui semblait jusqu’alors un secteur « préservé », ne se font pas attendre.
(1) La « Prestation Spécifique de la Dépendance » a été mise en place en 1997, année de passation de pouvoir entre le gouvernement Juppé et Jospin. L’objectif était d’étendre le nombre de bénéficiaires. Or, en raison de la récupération sur succession, peu de personnes âgées ont recours à la PSD (à peine 135 000 personnes âgées en bénéficient deux ans après le vote de la Loi).
(2) En 2010, 1,2 million de personnes sont bénéficiaires de l’APA. Source : Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, C. Debout, « Caractéristiques sociodémographiques et ressources des bénéficiaires et nouveaux bénéficiaires de l’APA », Études et résultats, DREES, n°730, juin 2010.
(3) Source : rapport d’information de la mission pour la prise en charge des personnes dépendantes, Commission des Affaires Sociales du Sénat, juin 2010.
(4) Source : dossier spécial « les relations entre l’Etat et les départements », Acteurs publics n°69, décembre 2010.
Le service à la personne âgée dépendante, un secteur préservé de la politique de rigueur budgétaire. Oui, mais pour combien de temps encore ?
L’étau de la rigueur budgétaire ne semble pas encore affecter l’activité du secteur des services d’aide à la personne dépendante : le montant moyen de remboursement par le Département de l’heure d’intervention d’un salarié auprès d’une personne dépendante, qui oscille entre 18 et 20 euros, a augmenté en 2010 ; les associations du secteur n’ont pas enregistré, sur cette même année, de baisse du montant des subventions qui leur sont octroyées par les collectivités départementales (1). Par ailleurs, les Conseils généraux restent vigilants quant à la qualité de leur partenariat avec les associations, lesquelles participent à la définition de leur plan d’actions (appelés « schémas départementaux »), contribuent à la construction de projets collectifs (tels que la mise sur pied de centres d’hébergement) ou prennent part aux actions sociales de proximité (en étant, par exemple, les correspondantes privilégiées des plateformes d’accueil téléphonique dédiées aux seniors). Cependant, depuis le 1er janvier 2010, la responsabilité de l’action médico-sociale, dont les personnes âgées, a été confiée aux Agences Régionales de Santé (2). A partir de 2013, les schémas départementaux devront donc s’inscrire dans ceux des ARS. Or, les ARS ont pour mission d’adapter les priorités nationales sur les territoires. Ce bouleversement dans le jeu des responsabilités et des acteurs du secteur médico-social risque donc, à terme, de priver les associations de la flexibilité d’un interlocuteur, le Département, qui avait la possibilité, malgré le caractère obligatoire de la dépense sociale, d’adapter l’action sociale aux spécificités locales.
Les conséquences de la crise des finances publiques sur le tissu associatif sont de plusieurs ordres.
- La « mutualisation » ou « regroupement de structures »
Dans les autres secteurs d’activité financés par des fonds publics, rares sont les structures qui échappent au phénomène de « mutualisation », perçu comme une possibilité d’assainissement de leur situation financière. Concrètement, la mutualisation se traduit par des fusions dont on espère à moyen terme des économies d’échelle, par des changements de statut juridique visant une plus grande flexibilité en terme de droit du travail, ou encore par la diversification des sources de financement. Dans le secteur de l’aide à la personne âgée dépendante, il convient alors de distinguer les associations d’aide à domicile des associations gestionnaires d’établissements, les premières étant, en se démultipliant sur le territoire, à contre courant de la mutualisation, tandis que les secondes, comme les EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), connaissent une première vague de mutualisation.
- Un contrôle financier accru
Le Département exerce, par application de la Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, dite « Loi 2.2. », en tant que financeur, un droit de regard sur la gestion financière des associations. A ce jour, ce droit de regard dépasse la simple négociation sur le montant de remboursement de l’heure ou de la journée d’intervention. En effet, le Département mandate des audits auprès des associations provoquant par ailleurs des situations de conflits d’intérêt pour les conseillers généraux occupant la place de présidents de l’association. Il scrute le compte administratif, il demande des comptes sur la gestion globale, notamment auprès des associations qui exercent en parallèle des activités « lucratives » et « non lucratives ». Et ce, sous la pression du législateur, qui n’a de cesse, dans ce secteur désormais ouvert à la concurrence, de vouloir maintenir les règles – communautaires- d’une concurrence loyale entre les acteurs privés et les associations, les deux acteurs économiques devant coexister afin de préserver leurs fonctions communes, bien qu’exercées dans des proportions inégales, de pourvoyeur d’emplois et de ciment de la cohésion sociale (3).
- La démultiplication des procédures
La collaboration entre les collectivités et les associations du secteur des services à la personne âgée dépendante s’inscrit dans un cadre juridique de plus en plus contraignant, car l’arsenal juridique à la disposition des collectivités s’étoffe. Si certains projets du secteur des services à la personne échappent encore à l’obligation de mise en concurrence par la procédure de l’appel à projet (4), les associations doivent toutefois satisfaire à des conventions d’objectifs exigeantes. Les exigences portent à la fois sur le coût et la qualité des prestations. Pour s’assurer du respect de la convention, les pouvoirs publics renforcent les contrôles, notamment auprès des associations gestionnaires d’établissements, auxquelles ils demandent de conjuguer, telle une entreprise, une grande rigueur de gestion et telle une association de quartier, la qualité d’un service de proximité. Face à cette difficulté et afin de préserver la qualité de leur relation avec l’association, certains départements ont fait le choix de confier à l’Etat, par le biais d’une convention tripartite, le rôle d’autorité de tutelle (5).
En réaction à ces évolutions qui caractérisent leur relation avec les pouvoirs publics et par souci d’anticipation, les associations du secteur des services à la personne âgée dépendante se mobilisent.
En premier lieu, elles s’opposent, à juste titre, à la vague de mutualisation, dont la logique, exclusivement économique, suppose que des structures regroupées coûtent moins cher que des structures éparpillées. D’une part, ce principe de centralisation est antinomique avec l’exercice même de leur activité, à savoir le service de proximité. D’autre part, à prestations de service équivalentes, le coût des déplacements induits par une centralisation peut s’avérer supérieur aux économies escomptées. Pour les collectivités, l’émiettement sur le territoire de ces associations peut, à première vue, apparaître comme une difficulté liée au manque de visibilité ou au manque de contrôle. A contrario, ces multiples associations doivent être considérées comme autant d’appuis locaux. Les associations retirent en effet leur pouvoir de leur degré « d’influence locale » et non de la taille de leur structure.
Pour satisfaire à l’exigence de rigueur gestionnaire, les associations du secteur des services à la personne âgée dépendante « professionnalisent » leurs personnels, en formant leurs salariés et en sensibilisant leurs bénévoles. S’appuyant sur ces profils mieux formés, elles ont, en parallèle, entamé « leur révolution technologique » en adoptant des outils informatiques qui leur permettent de lutter contre l’isolement géographique des différentes structures. Ces outils, dès lors qu’ils sont adaptés aux missions spécifiques des associations, simplifient le déroulement des activités sans altérer la richesse humaine qui caractérise ces associations et qui est au cœur de leur mission de lien social (6).
Les associations du secteur des services à la personne âgée dépendante assainissent également leur situation financière en incluant dans leur offre de services des prestations destinées à tous les publics, sous réserve de respecter la stricte sép
aration comptable et fiscale entre les activités « lucratives » et celles qui ne le sont pas. Cette double activité leur permet de préserver une autonomie financière nécessaire à l’innovation sociale.
Enfin, nombre d’associations tentent aujourd’hui de diversifier leurs sources de financement, en recourant, par exemple, à des dispositifs tels que les fonds de dotation, lesquels les autorisent à intégrer des fonds privés. Au-delà du débat idéologique sur le risque de corrompre leurs valeurs « sociales et solidaires » au bénéfice d’intérêts privés, il apparaît que ces dispositifs, en rendant ces structures en partie dépendantes de fonds privés, peuvent fragiliser leur situation financière et les contraindre dans la mise en œuvre de leurs missions. La plus grande prudence s’impose donc lorsqu’il s’agit de recourir à ces nouveaux outils financiers.
Pour conclure, sur le plan « managérial », le défi est de taille pour le responsable de l’association qui doit permettre à sa structure de dépasser ces obstacles en gardant le cap sur l’intérêt collectif. Garant du respect, dans la pratique, des valeurs déontologiques, il doit en parallèle assurer la pérennité de son institution, maintenir un climat social propice au développement de l’individu et à celui de la structure et s’assurer qu’aucun élément ne contrevienne aux nécessaires adaptations. Enfin et surtout, il doit entretenir avec les pouvoirs publics une relation partenariale fragile, puisque celle-ci est basée à la fois sur la dépendance financière et sur l’autonomie d’action dans la vie sociale locale.
Elodie Lestrat, consultante
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Notes:
[1] Source : DGCL, les finances des départements, 2010.
[2] Loi du 21 juillet 2009 La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
[3] Confer la dernière circulaire du 18 janvier 2010 relative aux modalités de financement des associations par les pouvoirs publics, qui découle directement des directives européennes relatives aux Services Sociaux d’Intérêt Général.
[4] Circulaire du 28 décembre 2010 relative à la procédure d’appel à projet et d’autorisation pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux
[5] L’Etat intervient par l’intermédiaire de ses unités territoriales, les « DIRECCTE », garantes de l’agrément nécessaire aux établissements accueillant des personnes âgées.
[6] A titre d’exemple, les outils dits de « télégestion » permettent aux salariés de l’association de communiquer en temps réel l’objet, le lieu et la date de leur intervention.