Nous le disions le mois dernier, nous pensions avoir touché le fond en matière de propositions et de décisions relatives aux questions de solidarité, de justice sociale, d’intérêt général, mais nous nous sommes trompés. Ils peuvent faire encore mieux (ou pire) !
Nous n’aborderons pas ici la proposition faite par Daniel Labaronne, député dépitant, de supprimer le CESE (Conseil Économique Social et Environnemental) comme l’ont déjà fait avant lui Jean-Louis Masson, sénateur, en 2023, ou les députés Philippe Juvin et Virginie Duby-Muller en 2024, appartenant tous au même registre politique. Cela mérite un article à part entière pour leur expliquer, au contraire de leurs arguments, combien cette institution constitutionnelle est essentielle et son rôle important (tout comme celui des CESER dans les régions).
Non, cette fois le fond est touché par un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) qui préconise plusieurs mesures afin que l’État réalise des économies dans les dépenses publiques pour les associations. Un rapport ne fait pas une loi (heureusement dans certains cas, malheureusement dans d’autres), mais là, une fois de plus ce rapport touche directement les associations qui sont dans une situation de plus en plus inquiétantes entre la restriction voire l’arrêt des financements de l’État, une commande publique de plus en plus prégnante qui rend les associations totalement dépendantes des pouvoirs publics, des collectivités locales et territoriale en retrait. Il reste encore la possibilité de faire appel aux dons, au mécénat, à la générosité publique. C’est cette possibilité que proposent de toucher les rapporteurs.
On pourrait avoir l’impression de ballons d’essai constants, sur des sujets divers, en direction de tout ce qui est non lucratif dans notre société (et particulièrement les associations) afin de mesurer les réactions que cela peut susciter et, selon ces réactions, avancer ou reculer pour que se mette de plus en plus en place une société libérale délaissant la solidarité sous toutes ses formes.
La loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations
Soutenir les associations, c’est être acteur du lien social, de la cohésion des territoires, c’est prendre en compte tous les besoins des citoyens, et la loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations présentée par le ministre de la culture et de la communication de l’époque, Jean-Jacques Aillagon, le dit clairement dans l’exposé des motifs : « L’implication de tous les citoyens dans des actions d’intérêt général est plus que jamais nécessaire dans notre société, afin de renforcer le lien social et la solidarité. Il faut valoriser l’envie de créer et la générosité de nos concitoyens.
En soutenant le mécénat, le gouvernement souhaite encourager le travail des associations et des fondations, favoriser les initiatives prises par les particuliers et les entreprises dans les domaines qui touchent à l’intérêt général. L’action de la société civile est indispensable aux côtés des politiques publiques.
De plus, le cadre juridique et fiscal du mécénat est un élément essentiel de l’attractivité de notre pays et de son rayonnement dans le monde, notamment dans les domaines de la culture, de la recherche, de la santé, du sport et de la solidarité.
(…) l’objectif du projet de loi proposé à la représentation nationale est de favoriser une plus grande implication des citoyens, des entreprises et de l’ensemble de la société civile, dans l’exercice de missions d’intérêt général, aux côtés de l’Etat et des autres pouvoirs publics.
Pour cela, il est proposé d’améliorer très significativement les avantages fiscaux destinés à encourager la générosité publique, dans le respect de la philosophie des dispositifs actuels, avec le souci de simplifier les textes et les procédures.
Les avantages fiscaux proposés bénéficieront à l’ensemble des citoyens et des entreprises ainsi qu’à l’ensemble des causes d’intérêt général – culturelles, sociales, environnementales, etc… »
Réduire les déductions fiscales liées aux dons
Alors, 22 ans après, les moyens mis en œuvre pour que les associations puissent intervenir dans les territoires n’aurait plus de sens, un avantage fiscal n’aurait plus à exister parce que « Bercy » l’aurait décidé sur la base d’un rapport qui proposerait :
- De limiter à 2 000 euros la réduction d’impôt sur le revenu de 66 % du montant des dons effectués par le contribuable,
- De supprimer le dispositif spécial pour les dons aux associations venant en aide aux personnes en difficulté,
- De faire passer le taux de réduction d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) de 75 % à 50 %, dans une limite de 20 000 euros de dons contre 50 000 euros à ce jour,
Les acteurs de l’ESS ne s’y sont pas trompés et ont réagi pour dire leur désaccord avec cette mesure qui risque de venir compléter l’arsenal de celles prises (volontairement ou non !) pour empêcher les associations d’être ce qu’elles sont : de véritables outils de progrès et d’innovation.
Nous ne prendrons que quelques réactions (collectives et individuelles) qui marquent bien cette stupéfaction quant à cette proposition :
La Coalition Générosité[1]La Coalition Générosité réunit un collectif informel d’organisations à but non-lucratif engagées pour la promotion de la générosité en France : Admical, l’Association … Continue reading : « la Coalition Générosité rappelle que la stabilité fiscale de la générosité est essentielle à la préservation de la capacité d’agir des associations et fondations d’intérêt général. (…) La Coalition Générosité exprime donc fermement son opposition aux recommandations envisagées par le rapport de l’IGF et de l’IGESR et appelle le Gouvernement à ne pas modifier la fiscalité de la générosité dans le Projet de Loi deFinances 2026. »23
Régis AUBRY[2]Régis Aubry est chef de l’unité de médecine gériatrique et du département de médecine palliative à l’Hôpital Universitaire de Besançon et membre du Comité national … Continue reading : « Je suis chercheur et aujourd’hui, je ne peux nier que sans les fondations, les mécènes et les donateurs particuliers, nos recherches ne pourraient être menées. Grâce à leur engagement, des équipes peuvent explorer, tester, soigner.
Aujourd’hui, un projet de loi menace de plafonner ces soutiens. Les conséquences seraient immédiates : Des projets arrêtés, des découvertes perdues, des patients privés de solutions.
Ce n’est pas une simple coupe budgétaire, mais bien plutôt un recul pour la santé publique. On ne peut toucher au mécénat. Préservez ce qui fait avancer la médecine. Soutenez la recherche. Vraiment. ».
Le Centre Français des Fonds et Fondations : « Il est urgent de rappeler qu’il faut soutenir, et non pas fragiliser, ce secteur privé non lucratif qui œuvre dans un contexte difficile pour l’intérêt général. C’est une force vive, créatrice de solutions, d’emplois et de lien social. Indispensable, irremplaçable, et qui appartient aux françaises et français. Il ne faut pas se tromper de combat. Réduire les mécanismes qui permettent aux particuliers et aux entreprises de contribuer à l’intérêt général, c’est oublier que la générosité n’est pas une dépense mais un investissement qui crée de la richesse collective. »
Benjamin Blavier[3]Benjamin Blavier est délégué général du Centre Français des Fonds et Fondations – https://www.linkedin.com/in/benjamin-blavier/ : « Au fait, petite remarque au passage : s’attaquer à la générosité des français, ce n’est pas seulement mettre à mal les associations et fondations, c’est aussi viser directement certains services publics ! (…) Dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche : Les universités et grandes écoles bénéficient du mécénat pour financer des chaires, bourses et équipements de pointe. (…) Pour la Culture et le Patrimoine : Le mécénat est vital pour nos institutions culturelles publiques. (…) Pour la Santé Publique : Le mécénat est crucial pour des investissements spécifiques au sein de l’Hôpital public. (…) C’est encore un exemple frappant du peu de prise en compte de l’impact de telles mesures : qui, à Bercy, a chiffré le coût réel de cette baisse des incitations aux dons pour le service public ? »
Eric Chenut[4]Éric Chenut préside la Fédération nationale de la mutualité française : « Un rapport IGF-IGESR remis au Gouvernement formule une série de recommandations dangereuses pour nos organisations et notre cohésion sociale. Alors qu’il reconnait l’importance des organisations … il propose des mesures qui auraient pour conséquence de diminuer de 1 à 1,5 milliard le montant des dons qui leur permettent d’agir. Les associations, fonds et fondations, secteur privé non lucratif, œuvrent pour l’intérêt général. Ce sont une force vive, créatrice de solutions, d’emplois et de lien social. Il ne faut pas se tromper de combat ! A l’heure où notre société polarisée a besoin de cohésion, de solidarités et d’entraide, nous ne pouvons pas nous payer le luxe de fragiliser la générosité !) »
Restons mobilisés et vigilants !
Et puis, au bout du compte, après avoir alerté tout le monde associatif, le Premier Ministre François Bayrou rassure les associations sur les déductions fiscales liées aux dons – Un rapport d’inspection rendu au gouvernement comporte des propositions pour limiter les déductions d’impôts auxquelles ouvrent droit les dons. Cette révélation du Parisien a suscité une levée de bouclier parmi les associations. Interrogé, François Bayrou a assuré qu’il n’y aurait pas de remise en cause du cadre fiscal lié à la générosité. Cela concerne aussi bien les associations reconnues d’utilité publique que les autres. (…) « Le cabinet du Premier ministre nous a confirmé que le projet de loi de finances pour 2026 ne contiendra aucune mesure remettant en cause la fiscalité de la générosité : ni celles évoquées dans le rapport IGF-IGESR, ni d’autres », s’est réjoui le syndicat France générosités dans un post publié sur le réseau social LinkedIn. « Le gouvernement ne proposera pas d’évolution du cadre fiscal lié à la générosité, ni pour les associations reconnues d’utilité publique, ni pour les autres, comme nous le précise France générosités. ».
Alors, s’agit-il d’une tempête dans un verre d’eau ou d’une de ces manières d’agir de plus en plus courante qui consiste à lancer une idée pour voir les réactions et confirmer ou démentir en fonction de l’opinion publique ?
A ce jour, seuls ceux qui s’amusent à véhiculer ces informations le savent, mais cela doit nous amener, plus que jamais à être mobilisés et actifs face aux attaques incessantes contre le monde associatif. Le rôle des associations est essentiel pour notre société, ne laissons personne les malmener.
Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE- Délégué général du CIRIEC-France
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (juillet 2025)
L’austérité selon Bayrou, ou l’art de gouverner contre le peuple, Colas Amblard, éditorial ISBL magazine juillet 2025
Budget 2026 : le monde associatif s’apprête à se mobiliser à la rentrée
- Comment continuer à vivre si les sources se tarissent ? - 24 juillet 2025
- Quel partenariat pour l’insertion et l’emploi entre l’Etat et les associations ? - 26 juin 2025
- « Sans les associations, la société ne tiendrait pas ! » - 28 mai 2025
References
↑1 | La Coalition Générosité réunit un collectif informel d’organisations à but non-lucratif engagées pour la promotion de la générosité en France : Admical, l’Association Française des Fundraisers, le Centre Français des Fonds et Fondations, France générosités, l’Institut IDEAS, l’Institut des Dirigeants d’Associations et Fondations et le Mouvement Associatif. La coalition est soutenue par Don en Confiance, Un Esprit de famille, Les Entreprises pour la Cité. |
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↑2 | Régis Aubry est chef de l’unité de médecine gériatrique et du département de médecine palliative à l’Hôpital Universitaire de Besançon et membre du Comité national d’éthique français (CCNE) |
↑3 | Benjamin Blavier est délégué général du Centre Français des Fonds et Fondations – https://www.linkedin.com/in/benjamin-blavier/ |
↑4 | Éric Chenut préside la Fédération nationale de la mutualité française |