L’INSTITUT ISBL vous propose une interview de Viviane TCHERNONOG, chercheuse au Centre d’économie de la Sorbonne de l’Université Paris 1, dans lequel elle développe des recherches portant sur l’analyse socio-économique des associations.
Ses enquêtes permettent de dresser des états périodiques du monde associatif dans ses différents aspects : profil, financement, emploi salarié, travail bénévole, gouvernance.
Elle est l’auteure de nombreux ouvrages et publications dont « Le Paysage associatif français – Mesures et évolutions » 3ème édition co-écrit avec Lionel Prouteau et paru aux Éditions Juris Associations Dalloz le 9 mai dernier.
ISBL – Vous en êtes à la 3èmeédition de votre ouvrage Le Paysage associatif, selon vous quelles sont les évolutions les plus marquantes qu’a connu ce secteur dans les dernières années ? Pourquoi ?
VT – La dernière édition de l’ouvrage Paysage associatif est la troisième éditée aux éditions Juris associations de Dalloz , et la 5èmeédition de l’état du monde associatif que nous conduisons tous les 6 ans avec une méthodologie comparable de manière à permettre de repérer et de mesurer les évolutions du secteur.
La période récente , portant sur les années 2011-2017, est marquée par de nombreuses évolutions, mais parmi elles trois évolutions sont de nature à transformer le paysage associatif et présentent des enjeux majeurs pour l’avenir.
– Le développement du bénévolat . Le nombre de créations d’associations s’est maintenu à un niveau élevé – 70 000 créations par an, et a eu pour conséquence un important développement du nombre d’associations : celui-ci est passé de 1 300 000 associations en 2011 à 1 500 000 en 2017 , soit une augmentation 15% en 6 ans. Ce rythme élevé d’augmentation du nombre d’associations est uniquement dû à la croissance du nombre de petites associations sans salarié, le nombre d’associations employeuses s’étant maintenu à son niveau de 2011. C’est le développement soutenu du bénévolat qui a porté cette croissance du nombre d’associations : les indicateurs du travail bénévole ont en effet enregistré une croissance soutenue, de l’ordre de 30% dans la période 2011-2017 pour les participations bénévoles, et de 33% pour le volume horaire du travail bénévole. Le secteur compte aujourd’hui, selon l’enquête de Lionel Prouteau, 22 millions de bénévoles ayant réalisé l’équivalent en ETP de 1 425 000 emplois .
– Le secteur a en outre connu d’importantes transformations de ses ressources qui semblent avoir débuté dès la fin des années 90. Si la croissance des financements publics s’était déjà considérablement ralentie, les résultats tirés de notre dernière enquête montrent que désormais le volume des financements publics a amorcé une baisse, résultat d’un double mouvement de baisse des subventions publiques et de stabilisation de la commande publique. Les financements publics qui étaient encore majoritaires dans les budgets associatifs en 2005 ne représentent plus désormais que 44% du financement des associations. La baisse des financements publics, leur transformation et l’incertitude qui pèse eux ont conduit les associations à augmenter les ressources provenant des usagers, le plus souvent par la vente de services. La participation des usagers est ainsi passée de 32% des ressources en 2005 à 42% en 2017.
– Les évolutions intervenues dans les financements et le développement du travail bénévole en outre progressivement conduits le secteur à se concentrer autour de deux pôles . Les petites associations de bénévoles qui animent la vie locale et les quartiers voient leur nombre augmenter régulièrement et concentrent une part croissante du travail bénévole. Les plus grandes associations, qui le plus souvent mettent en place les politiques publiques, ont vu à la fois leur nombre baisser et leurs poids augmenter, résultats des fusions ou rapprochements opérés dans les dernières années : ainsi les quelque 19000 plus grandes associations réalisent aujourd’hui à elles seules 71% du budget cumulé du secteur. Cette évolution s’effectue au détriment des associations de taille intermédiaire, souvent très ancrées dans les territoire, actives dans tous les secteurs d’activité et reposant sur un engagement citoyen fort, qui n’ont eu ni la taille suffisante ni les ressources humaines nécessaires pour accéder aux commandes publiques et qui voient leur nombre et leur poids baisser de façon importante au cours des années.
ISBL – Le secteur associatif apparaît de moins en moins dépendant des financements publics et de plus en plus actif sur le marché par la vente de biens et de services à ses membres. Une telle évolution vous semble-t-elle comprise par les différentes parties prenantes de ce secteur ?
VT – Les pouvoirs publics encouragent depuis de nombreuses années les associations à diversifier leurs ressources. De leur coté, quelques associations ont vu dans cette diversification de leurs ressources le moyen d’une indépendance plus grande. Dans les faits, les associations n’ont pas eu d’autres recours pour stabiliser et sécuriser leurs ressources que de développer leurs recettes d’activité, notamment en direction des usagers. Pour autant, les acteurs en présence mesurent-ils l’impact de ces transformations ? Les changements intervenus dans les ressources ne sont pas neutres et modifient les fondamentaux du secteur. La transformation des subventions publiques en commandes a par exemple pour effet de cantonner de plus en plus les associations à une fonction prestataires de services auprès des collectivités au détriment d’une fonction d’innovation qu’elles ont toujours remplies dans le passé. L’augmentation de la participation des usagers, à partir de la vente de prestations ou des cotisations perçues par les associations, a en outre pour effet de sélectionner les clientèles sur des critères financiers et eut conduire les associations à infléchir leur projet associatif en direction d’actions de publics permettant de satisfaire plus facilement les enjeux financiers.
ISBL – Concernant la mesure du secteur associatif avez-vous l’impression que ce sujet est de mieux en mieux pris en compte par les universitaires, les pouvoirs publics ?
VT – Les universitaires ont de longue date analysé les associations principalement sous l’angle de l’engagement associatif. Les travaux universitaires se développent aujourd’hui en plusieurs directions et comblent un certain nombre de lacunes. Ce sont principalement les données chiffrées sur le sujet qui ont longtemps fait défaut. D’importants progrès ont été réalisés par la statistique publique pour développer la connaissance du monde associatif, à la fois par le développement de travaux spécifiques comme l’enquête auprès des associations, ou par la mise à disposition de bases de données. La mission d’observatoire de la vie associative confiée à l’Injep (Institut national de la Jeunesse et de l’éducation populaire) va dans ce sens et permet d’espérer la production de données régulières sur le sujet. Des acteurs variés produisent de plus en plus de données chiffrées, et d’une certaine manière, il y a aujourd’hui une profusion de données chiffrées qui posent ,pour un certain nombre, des problèmes de méthode et de qualité et ont parfois davantage créé de la confusion qu’apporté les éclaircissements souhaitables. Il convient d’être attentif à la qualité des données produites ou simplement diffusées et sur les méthodologies utilisées.
ISBL – Concernant les suites à donner à la dernière édition de votre étude Le Paysage associatif français, quels seraient selon vous les points d’analyse qu’il conviendrait de développer dans le futur ?
VT – Si les données et notamment celles qui concernent la mesure de l’activité des associations se développent, elles portent pour l’essentiel sur le niveau national. Il devient maintenant important et urgent que l’on puisse disposer de mesures et d’analyse des tissus associatifs des territoires, d’autant que les transformations récentes intervenues en matière de ressources semblent avoir accru encore les inégalités existantes.
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