Posée de façon abrupte, la question de la rémunération des dirigeants associatifs ne va pas de soi, tant elle paraît déroutante voire même déplacée pour certains. En effet, le secteur associatif est historiquement un terrain d’expression du bénévolat. Pour autant, le contexte associatif et la situation complexe de certaines associations obligent à s’interroger sur de nouvelles pratiques qui peu à peu se développent depuis la réforme fiscale de 1998.
RAPPEL DU DISPOSITIF FISCAL APPLICABLE
– Tolérance associative des ¾ de SMIC
L’instruction du 15 septembre 1998[1] relative au régime fiscal des institutions sans but lucratif (ISBL) a ouvert une brèche en permettant à des dirigeants associatifs de percevoir une rémunération, sans que cette pratique ne vienne remettre en question le régime de non-assujettissement du groupement associatif. A l’origine, il s’agissait pour le gouvernement de Martine Aubry d’« offrir » un complément de rémunération aux personnes choisissant de se consacrer à des tâches profitables à la collectivité. Libérées d’une partie de leur temps de travail individuel (en application de la loi des 35 heures), ces personnes pouvaient envisager une rémunération de complément en contrepartie des responsabilités qu’elles exercent au sein d’associations, de fondations ou, depuis peu, de fonds de dotation. A ce titre, la nouvelle doctrine entérinait la possibilité de cumuler une activité salariée avec cette « indemnisation de complément » pour l’exercice de fonctions dirigeantes au sein de tels organismes.
Mal comprise, cette tolérance administrative a été en définitive peu pratiquée par les associations, y compris lorsque celles-ci disposent de la surface financière pour supporter cette nouvelle charge de fonctionnement. Pourtant facile à appliquer – au sens où il n’entraîne aucune contrainte particulière pour les organismes concernés – ce régime dérogatoire comporte cependant quelques contraintes dès lors que technique l’association souhaite conserver son statut fiscal d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, taxe sur la valeur ajoutée et contribution économique territoriale) :
– En premier lieu, la rémunération ne doit pas déguiser une distribution de bénéfices, pratique qui sur le plan juridique demeure totalement prohibée en application de l’article 1 de la loi du 1erjuillet 1901. Par conséquent, la rémunération versée doit être la contrepartie de l’exercice d’un travail effectif au bénéfice de l’association (exercice du mandat social et/ou d’une mission technique spécifique) ;
– En second lieu, le seuil de rémunération ne doit pas dépasser le seuil des ¾ de SMIC brut mensuel (soit 1.140,91 € par mois à compter du 1er janvier 2019) et, en tout état de cause, revêtir l’apparence d’une dépense somptuaire ou d’une rémunération « hors normes » au regard de l’investissement réellement déployé par le dirigeant bénéficiaire ou des usages pratiqués (notamment en application des conventions collectives applicables pour des postes équivalents) ;
– Enfin, aucun cumul n’est autorisé concernant l’exercice de cette pratique au sein de plusieurs ISBL. Mais un même dirigeant, engagé dans différentes fonctions associatives, peut percevoir plusieurs fractions de ¾ de SMIC au sein de ces mêmes organismes.
– Dérogation légale limitée à 3 fois le plafond de sécurité sociale
En 2002, une dérogation légale[2] au principe de gestion désintéressée viendra pourtant compléter le régime fiscal des ISBL. Pour les « grandes » associations, c’est-à-dire celles qui dégagent durant 3 exercices consécutifs des ressources privées (uniquement) dépassant les seuils de 200.000, 500.000 et 1 million d’euros, il est désormais possible de rémunérer 1, 2 ou 3 dirigeants en respectant le seuil de 3 fois le plafond de la Sécurité Sociale (soit 10.131 € par mois à compter du 1er janvier 2019). Au-delà de ces seuils, l’administration fiscal exige également des garanties en termes de transparence financière, de gestion démocratique… afin que ce dispositif dérogatoire puisse trouver à s’appliquer de façon sécurisée pour le groupement.
POURQUOI REMUNERER DES DIRIGEANTS ASSOCIATIFS ?
Même si le secteur des ISBL demeure viscéralement attaché au bénévolat, certaines situations peuvent en pratique expliquer des changements profonds dans le mode de gouvernance des associations :
– En premier lieu, il a été fait le constat d’une crise profonde concernant les dirigeants associatifs. En effet, et même si le volume de bénévolat[3] ne cesse d’augmenter (+5%), année après année, les changements enregistrés dans la pratique bénévole indiquent que l’engagement durable dans une seule et même structure se fragilise. Ainsi on constate que les dirigeants associatifs relèvent majoritairement d’une classe d’âge élevée voire même très élevée (+75 ans) pour certains secteurs associatifs (sanitaire et social en particulier) après un nombre d’années d’engagement lui aussi très important (+ 20 ans). Ce constat révèle une problématique simple : la relève n’est pas encore prête ! Ou plus simplement, elle tarde à se révéler ! Or, à moyen terme, des pans entiers du secteur associatif risquent d’être menacés. La raison est aisément compréhensible : il ne peut pas exister d’associations sans dirigeants associatifs ;
– En second lieu, il n’est pas rare qu’une ISBL se dote d’une structure filiale[4] dans le cadre de sa stratégie de développement de ses ressources privées. En effet, compte tenu de la baisse des financements publics, l’heure est à la diversification ! Ainsi, une association peut vouloir se doter d’un fonds de dotation[5] en vue de développer une politique de mécénat et/ ou de créer une filiale sous forme de société commerciale (SASU, SARL…) ou autre (coopérative, SCIC) aux fins d’optimiser la gestion de ses activités lucratives. Or, la mise en œuvre de ces modèles économiques complexes a pour effet d’impacter les modes de gouvernance associatifs. De ces situations, il en résulte que les dirigeants associatifs multiplient les fonctions de représentation légale et se retrouvent à la tête de plusieurs entités formant un véritable groupe associatif. Dans ces conditions, envisager de rémunérer ces dirigeants peut avoir un sens : si le président associatif demeure le plus souvent bénévole en sa qualité de mandataire social, il peut également souhaiter percevoir une rémunération dans le cadre de ses fonctions de dirigeant de structures filiales. Or, en application de la doctrine fiscale actuellement en vigueur[6], une telle rémunération reste soumise aux limites et conditions ci-avant décrites dans la mesure où la notion de gestion désintéressée concerne les éventuelles rémunérations ou avantages perçus au titre de l’association comme de ses filiales. Soumis à une charge de travail importante au quotidien, exposés aux risques de mise en jeu de leur responsabilité en qualité de mandataire social comme à titre personnel (notamment en cas de faute de gestion), les dirigeants associatifs doivent en outre demeurer des interlocuteurs crédibles face aux sollicitations permanentes des salariés. Ce qui veut dire que, pour éviter toute situation de gestion de fait (par un glissement progressif des pouvoirs de gestion des administrateurs élus entre les mains des salariés), ceux-ci doivent en permanence être disponibles et réactifs, disposer et surtout maintenir un bon niveau de compétences techniques, être vigilants dans leurs fonctions de représentant légal, etc. Ainsi, devant un tel niveau d’exigence et d’engagement, il devient aisément compréhensible que les dirigeants associatifs soient « socialement intéressés », c’est-à-dire non pas placés dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la structure associative qu’ils représentent, mais suffisamment déchargés de contraintes financières quotidiennes pour s’engager durablement dans l’aventure associative. Disponibles, compétents (ce qui suppose d’être régulièrement formés) et réactifs, ceux-ci pourront ainsi se consacrer pleinement à la gouvernance de ces entreprises associatives dont la finalité demeure sociale même si cela suppose de mettre en œuvre de véritables activités économiques[7](ex. services à la personnes).
Par conséquent, si le monde associatif et des ISBL en général demeure viscéralement attaché au bénévolat, les pratiques de gouvernance évoluent. Sur ce plan, nous avons vu que la doctrine fiscale ne remet pas automatiquement en question le statut fiscal des associations souhaitant rémunérer toute ou partie de ses dirigeants.
Pour ces organismes, il importe de savoir que ces modes de gouvernance alternatifs existent. Après libres à eux de se saisir ou non de cette opportunité.
Colas Amblard – Docteur en droit
Avocat associé Cabinet NPS consulting
Directeur des publications ISBL MAGAZINE
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Notes:
[1]BOI 4 H-5-98 du 15 sept. 1998
[2]L. de finances rectificatives pour 2001
[3]V. Tchernonog, Le paysage associatif, mesures et évolutions, éd. Juris associations Dalloz, mai 2019
[4]C. Amblard, Association holding : l’entreprise du future ? Juris associations n°525, 1eroct. 2015 p. 37 et s.
[5]C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, Lamy coll. Axe Droit, 2èmeéd. mai 2015
[6]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 07 juil. 2017, § 140
[7]C. Amblard, Activités économiques et commerciales des associations, Lamy associations, étude n°246