IGWE, c’est ainsi que nous nous redonnions du « cœur au ventre » pour poursuivre nos travaux et retrouver la force collective de notre réflexion à Yaoundé où près de 2.000 participants se sont retrouvés pour le 1er forum africain de l’ESS : FORA’ESS, du 28 au 31 mai 2024.

 

Après le FORUM MONDIAL DE L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE organisé par le GSEF (Global Social Economy Forum (GSEF), à Dakar du 1er au 6 Mai 2023, nos amis camerounais, et particulièrement Pauline EYEBE EFFA, coordinatrice de l’ONG Partenariat France et Afrique et véritable pèlerin infatigable de l’ESS sur le continent africain, se sont engagés à organiser le premier forum africain de l’ESS.

Yaoundé a accueilli, durant trois jours de réunions et un jour de visite d’une organisation de l’ESS, une foule de représentants, d’acteurs, de partenaires de l’ESS, mais aussi représentants institutionnels et gouvernementaux, tant du Cameroun que de nombreux pays africains, dans le cadre du Palais des Congrès.

 

FORA’ESS une rencontre riche pour tous

Dès la séance d’ouverture, la finalité de cette rencontre était posée : « FORA’ESS veut toucher toute l’Afrique », montrer la capacité transformatrice de l’ESS et réfléchir à sa mise en œuvre.

Cette rencontre s’est déroulée avec de nombreux jeunes (surtout le premier jour dédié à la place des jeunes dans l’ESS, Parmi eux, beaucoup sont qualifiés à Bac+5 et ne trouvent pas de travail), des experts, des professionnels de différents pays.

Les propos sur l’ESS sont les même que ceux que l’on peut entendre dans des colloques ou conférences d’autre pays. Cela montre que le concept est bien compris et se répand.

Il convient maintenant de le faire vivre, de trouver les contextes politiques, économiques et sociaux qui permettent que, sur tous les continents, l’ESS se mette en place.

Mais dans le continent africain, plusieurs intervenants s’interrogent sur l’implantation de l’ESS par rapport à l’économie traditionnelle de l’Afrique.  Comment les coutumes, le tribalisme, la sorcellerie peuvent être pris en compte et devenir une force dans le développement de l’ESS ?

La relation entre ESS et pratiques ancestrales doit être réfléchie. L’ESS place l’être humain au centre, ce qui veut dire respecter ses droits, donc avoir des devoirs vis-à-vis de la personne, respecter la personne dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle pratique.

Pauline EYEBE EFFA considère que la tribalité est une richesse. Il faut construire l’ESS en Afrique comme une tribu qui permet d’agir ensemble et de retrouver un ancrage territorial.

Il ne faut pas, sous le prétexte du modernisme, rejeter ce qui fait les fondements de la vie ensemble.

L’ESS est ancrée dans nos territoires, ancrée dans nos valeurs, dans nos traditions. Il faut valoriser ce que l’on est pour construire une ESS ancrée dans les territoires.

Les jeunes doivent retrouver les valeurs pour cela. Ce qui compte est la question de l’identité.

L’ESS est une économie qui doit s’organiser à la base.

 

L’ESS au Cameroun : les réseaux têtes de file du développement de l’ESS par des citoyens et des élus

Le Cameroun a organisé, dès à présent, le développement de l’ESS par le vote de la loi de 2019 sur l’ESS au Cameroun qui permet de faire travailler ensemble les 4 composantes de l’ESS : coopératives, associations, mutuelles et fondations mais ce qui prime, ce sont les coopératives car, selon la présentation qui en est faite, ce sont les seules qui peuvent « faire de l’économie ».

L’ensemble des structures sont organisées localement au sein d’un réseau local de l’ESS (RELESS)[1]RELESS : réseaux locaux d’économie sociale et solidaire (un dans chaque commune) pour améliorer la qualité de vie des habitants grâce à une meilleure prise en charge des problèmes locaux, … Continue reading, puis des créations de réseaux regroupant les RELESS au plan départemental (REDESS), puis régional (RERESS), et enfin national (RENESS). Dans cette élaboration, la relation acteurs/élus est essentielle, elle est au cœur de la construction des RELESS.

294 RELESS sur les 360 communes. Il s’agit, dans chacun de ces territoires, de trouver des acteurs locaux prêts à s’impliquer dans la création d’une structure permettant de regrouper les activités de ce territoire, en lien avec la commune (qui est souvent moteur de cette création). « Le rôle de la commune est d’aider au développement de coopératives. »

Ainsi, le maire de Languina (commune proche de Yaoundé) considère que l’implication des communes est importante comme « communes de production » et dans certaines communes rurales, c’est le pastoralisme qui est pris en compte par les communes.

Le développement de l’ESS passe donc avant tout par la capacité de mobilisation de la population de la commune. Un travail d’éducation , de conviction, de compréhension est nécessaire pour éviter la perte de biens par les populations (mais dans cette présentation, manque la dimension de l’implication d’autres acteurs /citoyens que les communes).

C’est bien ainsi que le développement de l’ESS est avant tout un développement territorial qui a besoin de se faire entendre.

Lors de la réception par le Premier Ministre (nous y reviendrons), Pauline EYEBE EFFA a indiqué à celui-ci qu’il y avait besoin d’un accompagnement du gouvernement pour le développement de l’ESS au Cameroun et que « l’ESS est une alternative pour la résilience face à la crise que nous venons de traverser : il faut consolider les écosystèmes locaux ». Il faut créer des réseaux pour le développement de l’ESS. Il est d’ailleurs, compte tenu du nombre important de coopératives (en particulier les SCOOPS : sociétés coopératives simplifiées dont le concept même et à la fois proche et éloigné de ce que nous connaissons) de créer un mouvement coopératif à part entière.

 

L’ESS, des concepts proches dans de nombreux pays

On fait le constat que le concept de l’ESS est de plus en plus prégnant dans de nombreux pays, mais certains intervenants soulignent qu’il convient de ne pas en faire qu’un projet économique. L’ESS est porteuse d’un projet politique avec une vision différente de l’économie. Elle est A-capitaliste.

L’ESS est pour un changement de société, de paradigme économique. Ce n’est pas une économie de la perte, mais une économie de l’équilibre.

Nous prendrons quelques interventions parmi les nombreuses présentations qui ont été faites, tant en séances plénière qu’en ateliers.

Le représentant de la Côte d’Ivoire considère qu’il faut mettre en commun nos valeurs, nos actions par la coopération. Il faut mutualiser les efforts. Pour lui, l’ESS est l’économie qu’on pratique dans le respect de certains principes et valeurs alors que l’économie capitaliste est celle des grandes entreprises qui misent seulement sur l’enrichissement. Il rappelle que l’ESS met l’humain au centre.

Pour la Mauritanie, il faut un accompagnement systémique des écosystèmes soulignant que : « Le développement, c’est clé en tête, ce n’est pas clé en main, on ne développe pas, on se développe ».

Le représentant du Sénégal nous a apporté un éclairage sur la place de l’ESS : 95% des entreprises du Sénégal sont dans l’économie populaire (informelle).

Prenant l’exemple de la mairie de golf sud (banlieue de Dakar), il indique qu’elle est très investie dans l’ESS par la création de coopératives de distribution et le regroupement des initiatives individuelles pour donner une dimension coopérative.

Depuis l’élection du nouveau président de la République, tous les arrêtés concernant l’ESS ont été pris rapidement et l’ESS est inscrite clairement dans le programme gouvernemental.

Aminata DIOP SAMB (ville de Dakar) parle d’une dynamique de construction, de financements en lien avec la formation, de l’implication des élus locaux, des difficultés de mise en place d’innovations en raison de difficultés juridiques.

Un universitaire du Sénégal développe le concept de « citoyen bâtisseur » qui est une personne compétente dans son domaine, disponible pour aider l’aspirant citoyen bâtisseur qui, lui, identifie des projets ESS d’envergure. Il travaille alors avec le politique développeur qui soutient le citoyen et son aspirant. « Il reste à trouver les financements : il faut démontrer la démarche pour rechercher des financement au travers d’un incubateur panafricain (au Sénégal) ».

Pour le Maroc, la directrice de l’ESS au Maroc (Mme Saloua) indique que le Maroc définit 4 axes prioritaires : les jeunes, les femmes la garantie de la santé de la population, les territoires. Pour les territoires, il y a une ouverture vers des expériences (partenariat, coopération internationale, surtout sud/sud) et un travail sur la citoyenneté bâtisseuse. Le Maroc veut développer 500.000 emplois dans l’ESS d’ici à 2035, à partir de l’ESS qui est pour eux une économie locale et de la diversité, autour de 3 priorités : structuration des activités et réorganisation des actions (les 4 familles de l’ESS), développement avec les jeunes et les femmes, création de la cohésion sociale et 3 axes stratégiques : impulser, structurer et organiser, diversifier et orienter.

La ministre de la promotion de la femme au Congo a fait une intervention brillante (Mme INES NEFER Bertille INGANI VOUMBO YAZO) autour de la question de la transformation de l’économie informelle en ESS et la création d’une agence pour l’économie informelle. Elle a fait un ensemble de propositions, à la fois pour son pays mais aussi pour l’ensemble du continent africain, apportant une réelle nouveauté dans les orientations qui pourraient être prises. Elle rappelle l’importance de la culture de solidarité, d’entraide et de travail collectif de son pays comme faisant partie des traditions et des pratiques des populations locales.

Le Canada, pour sa part, a rappelé que pour développer l’ESS, il faut travailler ensemble, mais aussi avec l’extérieur, tout en sachant travailler en autosuffisance. Pour lui, il est crucial de partager des expériences entre le continent africain et les afro-descendants (en particulier avec ceux du Canada).

Enfin, pour le représentant de l’OIT, les entreprises de l’ESS ne devraient pas travailler en vase clos pour amplifier leur action en gardant leur ADN, la dimension locale est essentielle pour faire des innovations : l’économie sociale et solidaire est une économie qui supporte les valeurs d’inclusion, elles ont une adaptabilité aux crises et font preuve de non-discrimination.

 

Soulignons que, si nous avons trouvé intéressant, voire interrogeant (au bon sens du terme) les interventions qui nous ont été présentées, un certain nombre des exemples présentés sont sur le modèle de l’entrepreneuriat social : initiative individuelle, mesure d’impact, modélisation, business monitoring, approche économétrique (revenue à de nombreuses reprises), … Cela veut dire que les tenant de ces entreprises libérales qui se parent des atours de l’ESS, sont présentes fortement sur le continent africain (l’exemple des SCOOPS, tel qu’il nous a été présenté par une responsable d’une SCOOPS tourisme social, au Cameroun n’est pas sans nous interroger lorsqu’elle nous a indiqué que le poids des coopérateurs dans la gouvernance est fonction de leur apport initial : « plus j’apporte, plus j’ai de pouvoir au sein de la structure »).

Beaucoup d’initiatives sont prises dans les pays africains, avec une construction en particulier autour de la démarche coopérative. Il y a tentative de développement de coopératives transfrontalières.

 

La richesse des échanges et la volonté d’aller plus loin

32 pays africains étaient présents. 2200 participants à cette manifestation (tout compris). Des débats, des échanges (de cartes de visite et de numéros WhatsApp aussi !), des découvertes de gens et de cultures, mais surtout une conviction commune de la place de l’ESS dans le développement économique du continent africain comme des autres continents et de l’importance de construire autrement un mode d’entreprendre. Chacun convient qu’il faut promouvoir le modèle camerounais et partager les approches entre les différents pays.

Pauline EYEBE EFFA affirme que l’Afrique est le continent le plus jeune donc l’ESS a un véritable vivier par la participation de cette jeunesse et elle souligne le rôle essentiel des femmes pour le développement économique en Afrique : « Les femmes disent allons-y tandis que les homme font une étude de faisabilité puis se retournent vers les femmes pour mettre en place »

S.E. Achille BASSILEKIN III, ministre des PME, de l’ESS et de l’artisanat du Cameroun est intervenu pour indiquer qu’il faut susciter une réflexion continentale (africain) multi-acteurs pour développer les relations entre les acteurs de l’ESS. Il a aussi affirmé l’importance de la place des femmes et des jeunes dans le développement africain de l’ESS

Ces trois jours se sont conclus en présence de membres de gouvernements africains, (Sénégal, Congo, Côte d’Ivoire,  …). Le moment était solennel. 4 déclarations ont été faites : les jeunes, les maires, les gouvernements locaux, les acteurs de l’ESS donnant lieu à trois documents marquant l’investissement de tous les participants à la fois au forum africain de l’ESS et les volontés que cela perdure et se développe :

Il est proposé la création d’un observatoire africain de l’ESS, la mise en place des citoyens bâtisseurs, la création d’un comité de suivi de la charte de Yaoundé et IGWE (allons-y !).

Le ministre a conclu en disant vouloir constituer un réseau des jeunes de l’ESS, rappelant que les maires sont les mentors du développement local et qu’ils doivent permettre l’accession à la commande publique locale, que le rôle des états africains est de favoriser le modèle de l’ESS, et qu’il faut mettre en place un mécanisme africain de politique de l’ESS.

Yaoundé a servi de socle pour une politique durable de l’ESS en Afrique. Il s’agit de mettre en place une solidarité agissante par la création d’un agenda 2063 de l’union africaine.

La poursuite des travaux se fera en passant le témoin à la République du Congo qui organisera le FORA’ESS 2026 à Brazzaville.

 

Ensuite, les délégation étrangères ont été reçues par le Premier Ministre du Cameroun, Joseph DION NGUTE, à la demande du président de la République du Cameroun, Paul BIYA, pour échanger sur l’ESS. A cette occasion, le Premier Ministre a réaffirmé la place importante de l’ESS dans le développement de son pays, le rôle essentiel des RELESS et sa conviction que cela peut permettre un développement économique nouveau. Il a rappelé que l’ESS est une partie intégrante de l’économie du Cameroun. C’est une économie qui touche tous les ministères

Trois jours pleins qui ont permis de mesurer à la fois l’audience de l’ESS, mais le chemin qu’il nous reste encore à parcourir pour que l’ESS devienne une économie partagée dans tous les continents. Ce n’est qu’une étape qu’il conviendra sans doute de renouveler, à la fois mondialement par la réunion du GSEF à Bordeaux en 2025, mais aussi dans d’autres pays et d’autres continents pour que nous partagions les mêmes valeurs, les mêmes convictions qu’il peut exister une autre économie plus porteuse de valeurs humanistes.

Il faut souligner la convergence d’analyse dans les différents pays qui ont apporté leur expérience, mais aussi la conviction forte que l’ESS gagne du terrain et les interventions citant les différentes résolutions (ONU, OIT, …) sont autant de témoignages d’une parole commune qu’il convient maintenant de regrouper. Car, en creux, ce que l’on note est la diversité des organisations qui agissent pour le développement de l’ESS au plan européen et international, mais il serait temps, plus que jamais, que tous se retrouvent autour d’une organisation fédératrice pour que la voix des acteurs de l’ESS soit mieux entendue.

IGWE !

 

 

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

 

 

En savoir plus : 

Cet article a fait l’objet d’une publication dans la La Lettre du CIRIEC – France n° 188 – juin 2024

Communiqué du MINPMESSA (S.E. ACHILLE BASSILEKIN III, Ministre des Petites et Moyennes Entreprises de l’Économie Sociale et de l’Artisanat)

 

References

References
1 RELESS : réseaux locaux d’économie sociale et solidaire (un dans chaque commune) pour améliorer la qualité de vie des habitants grâce à une meilleure prise en charge des problèmes locaux, une meilleure visibilité de leur territoire par les élus locaux et en faisant participer les administrés aux décisions et aux actions qui les concernent. Le projet est donc bien multi-acteurs et, par le développement des coopératives dans la filière agricole, crée autant de lieux d’apprentissage de la démocratie





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