Réfléchir au soutien à la vie associative nous amène à examiner comment il a été pris en charge par les politiques étatiques, ainsi que le rôle des acteurs privés dans cette dynamique, souvent perçue comme complexe et peu transparente.  Une enquête qualitative, basée sur 42 entretiens réalisés entre 2019 et 2022 avec diverses entités gouvernementales, fédérations et experts, vise à décrypter les interactions complexes entre ces différents acteurs et leur contribution à cette dynamique collective dans 14 domaines de politiques publics distincts (voir rapport p.40). Chaque entretien a été enrichi par l’examen de documents fournis par les répondants à la fin des entretiens (rapports d’activités, politiques de financement, appels à projets, etc.). 

 

Une analyse sociohistorique du soutien national à la vie associative

Ce travail de recherche offre une analyse socio-historique de l’ancrage des politiques de soutien dans les mécanismes de reconnaissance par l’État du rôle crucial du secteur associatif dans l’action publique. En France, le discours sur les associations évoque souvent la liberté et l’engagement, depuis la loi emblématique de 1901 jusqu’à l’affirmation progressive du monde associatif en tant qu’ « acteur de la société civile ». Toutefois, cette reconnaissance n’a pas toujours été évidente, particulièrement dans les années 1970, où le nombre croissant de créations associatives ne s’accompagnait pas nécessairement d’une prise en compte étatique adéquate. Ce n’est qu’au tournant des années 1970-1980, avec l’émergence de politiques culturelles et de jeunesse plus affirmées, que le secteur associatif a commencé à être sérieusement considéré.

Des domaines comme l’éducation populaire, l’environnement et la culture ont alors vu une professionnalisation croissante, ce qui a contribué à leur reconnaissance en tant qu’acteurs sociaux importants. Les années 1980 ont été marquées par la mise en place de dispositifs de soutien et de dialogue, illustrés par la création du Fonds national pour le développement de la vie associative (FNDVA) en 1985. Parallèlement, le rôle de l’État a évolué, passant d’une simple reconnaissance à une prise en charge plus active, notamment à travers des pratiques d’accompagnement et de soutien à la professionnalisation, portées par les services déconcentrés de la jeunesse et des sports. Cette période a également vu la consolidation de principes fondamentaux de soutien aux associations, tels que la reconnaissance de leur utilité sociale, et les débats autour du statut des élus associatifs. Ces principes, issus de consultations du monde associatif, ont souligné les enjeux majeurs de la vie associative et continuent d’être pertinents pour comprendre les défis actuels du secteur. La reconnaissance croissante du travail associatif a conduit le ministère de la jeunesse et des sports à être parfois qualifié de « ministère des associations », en raison de son rôle central dans l’analyse et le soutien multiforme (juridique, financier, formation, etc.) des projets associatifs sur le territoire. Cette reconnaissance a abouti à des directives gouvernementales en faveur du développement de la vie associative, notamment la nomination de délégués départementaux à la vie associative (DDVA) chargés d’accompagner et de soutenir le secteur au niveau local. Au fil des années, cette dynamique a évolué vers une vision plus large de l’engagement associatif, allant au-delà de la structuration du bénévolat pour devenir un moteur du développement socio-économique. La loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire a symbolisé cette évolution en intégrant les associations dans un cadre plus vaste comprenant d’autres acteurs de l’ESS, soulignant ainsi leur rôle essentiel dans la construction d’une société plus solidaire et inclusive.

 

Une tentative de typologie des formes de soutien et de relation avec le secteur associatif au niveau national

L’analyse a également conduit à identifier quatre principaux types de soutien et de relation au monde associatif dispensés par les services ou bureaux ministériels examinés.

  • Soutien multiforme : Cette approche implique un soutien varié, comprenant la structuration des associations, le développement de leurs compétences, le financement (visant l’accompagnement du fonctionnement), l’animation de réseaux, et la production de connaissance sur le secteur. On y retrouve l’ensemble des grands objectifs de soutien de l’Etat mis en évidence dans l’enquête : volonté de consolidation des organisations, articulation des activités associatives, observation et production de connaissance sur le secteur, reconnaissance des associations et/ou de leur projet. La relation est caractérisée par la négociation et la réflexion, avec une implication significative des acteurs associatifs dans l’élaboration et le suivi des politiques publiques. On y retrouve par exemple certains bureaux du Commissariat général à l’Égalité des territoires (devenu ANCT).
  • Soutien institué, mais partiel : ce type de soutien repose sur des relations établies à long terme entre les ministères et les associations. A ce titre, il est possible de parler de « relation de compagnonnage ». Il vise principalement le renforcement et l’articulation des activités, mais il est partiel car il ne couvre pas tous les objectifs de soutien (objectifs de consolidation et articulation principalement). On y retrouve par exemple la délégation à la sécurité routière.
  • Soutien pour qualifier la légitimité à intervenir : ici, l’objectif principal est la reconnaissance et la légitimité des associations dans un domaine spécifique des politiques publiques. Ce soutien se fait souvent à travers des procédures réglementaires et administratives, avec un accent sur l’accompagnement dans le processus de demande de reconnaissance (label, agrément). La relation est ici presque strictement réglementaire. On y retrouve par exemple l’une des divisions juridiques de la direction générale de la santé.
  • Soutien pour renforcer la politique publique : ce type de soutien vise à consolider les organisations associatives, principalement par le financement de projets en lien avec les politiques publiques. Il s’agit d’un soutien indirect au secteur associatif, avec une priorité accordée à la réalisation des objectifs de la politique publique, plutôt qu’à la structuration du secteur lui-même. La relation apparaît davantage comme « intéressée ». On y retrouve par exemple un bureau du Ministère des Armés.

On notera qu’au sein d’un même Ministère ou d’un même organisme d’Etat, il coexiste diverses formes de soutien.

Cette enquête présente toutefois quelques limites : tout d’abord, la suspension du terrain pendant toute la durée de la crise sanitaire, et la répartition temporelle de l’enquête sur deux périodes distinctes (2019-2020 et 2021-2022), créent des défis pour la comparaison des discours recueillis. De plus, il nous a été difficile d’entrer en contact avec certains bureaux ministériels. Ainsi, dans certains cas nous avons pu réaliser un entretien avec la tête de réseau (ex : Citoyens et justice), sans qu’il ne soit possible d’avoir un entretien en miroir par le Ministère en question (ou l’un de ses bureaux). Enfin, tous les domaines des politiques publiques étatiques n’ont pu être couverts.

Cette enquête est également un préalable pour étudier plus en détail la structuration du soutien au niveau local. Nous invitons ainsi les acteurs de la recherche (au sens large) à comprendre comment les politiques nationales interagissent avec leurs adaptations locales et sont appropriées par les acteurs au fil du temps.

 

 

 

Mathilde Renault Tinacci, docteure en sociologie, chargée de recherche à l’INJEP, chercheure associée au CERLIS/CNRS à l’Université Paris Cité, chargée d’enseignement à l’Université Paris Cité et à Sciences Po Grenoble

 

 

 

 

Accéder au rapport complet ICI                                                         Accéder à la synthèse ICI

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Mathilde Renault Tinacci





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