Adopté en assemblée plénière le 25 mai 2016, le rapport du HCVA sur la notion d’intérêt général fondant l’intervention des associations formule des propositions de changement important à partir de la question suivante : « Entre l’État et le Marché, quelle place reste-t-il pour les associations comme acteur de l’intérêt général ? » Reste à savoir si cet énième rapport débouchera sur des réformes concrètes.
Après avoir défini en introduction les enjeux liés la notion d’intérêt général et rappelé en première partie que « ce concept en construction est bien adapté aux enjeux associatifs », le HCVA formule dans la seconde partie de son rapport un certain nombre de propositions permettant d’identifier les critères et indices de nature à révéler le concept, les effets induits par la reconnaissance d’intérêt général ainsi qu’en ce qui concerne les procédures susceptibles de bénéficier aux associations, fondations et fonds de dotation.
I. Propositions formulées par le HCVA
1.1– En matière d’identification des critères et indices
Après avoir rappelé que « la modalité de mise en œuvre du principe de subsidiarité lié à la défaillance du marché n’était pas la plus propice à produire, ni le bien-être du consommateur, ni l’intérêt général » et le caractère nécessaire évolutif du concept, le HCVA tente d’identifier un certain nombre de critères et d’indices nécessaires à la reconnaissance d’intérêt général des associations, fondations et fonds de dotation. Le HCVA précise qu’ « il a semblé pertinent de commencer par présenter les critères se rapportant à la structure, puis ceux se rapportant aux activités », sans oublier la nature des populations auxquelles s’adresse l’organisme.
- Critères liés à la structure :
-Aspects juridiques (statuts) : associations, fonds de dotation organismes sans but lucratif, en dehors de l’utilité sociale au sens de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’Économie sociale et solidaire qui peut inclure des sociétés civiles ou commerciales
-Organisation et gouvernance : ouverture à tous, fonctionnement démocratique, bénévolat. Bien entendu, ce critère ne sera pas retenu dans le cadre d’une fondation voire même d’un fonds de dotation dans la mesure où ces structures n’ont pas a priori vocation à intégrer des membres.
-Gestion désintéressée : interdiction de partage des excédents ou tout autre élément du patrimoine entre les membres, absence de rémunération des dirigeants élus, sauf cas particulier prévu dans les statuts et conforme à la loi.
-Non-lucrativité : présentée comme un critère déterminant.
-Transparence vis-à-vis des membres et du public : en particulier quand l’organisme fait appel à des financements publics ou à la générosité privée.
-Autres éléments : notamment en cas d’existence de financements publics, d’agréments délivrés par l’administration, de participation à des instances ou au débat public (fonction de plaidoyer) ainsi que la référence aux politiques publiques (notamment en cas d’expérimentation par délégation expresse d’une collectivité territoriale).
- Critères liés aux activités
S’il liste une série de champs d’intervention (culture, défense de l’environnement, développement économique, sport…), le HCVA énonce que « vouloir les répertorier tous serait une erreur », notamment parce que ces organismes sont souvent des « défricheurs » à l’écoute des besoins des populations, tendant constamment vers l’innovation.
- Critères des populations auxquelles s’adresse l’organisme
Mixité des publics, ouverture à tous, fragilité des populations sont également des critères qui viennent renforcer, dans un second temps, l’appréciation faite de l’organisme au regard de son caractère d’intérêt général.
Par conséquent, le HCVA précise que ces critères sont à prendre en considération selon un ordre décroissant, les critères du statut juridique et des activités étant prépondérants dans l’analyse.
1.2- En matière d’effets induits par la reconnaissance d’intérêt général
Le HCVA a souhaité avant tout recenser les différents avantages susceptibles d’être procurés aux organismes en contrepartie de leur reconnaissance d’intérêt général, en précisant toutefois que cette reconnaissance :
- n’avait pas vocation à se substituer aux agréments, habilitations actuellement en place et qui répondent à des considérations spécifiques ;
- n’était donc pas susceptible d’ « ouvrir toutes les portes.»
Par contre, pour le HCVA, un organisme agréé par la puissance publique bénéficiera d’une reconnaissance d’intérêt général « de fait » lorsque les critères de l’agrément seront remplis à partir d’un tronc commun :
- un objet d’intérêt général ;
- un mode de fonctionnement démocratique ;
- le respect des règles de transparence financière.
Par ailleurs, les organismes reconnus d’intérêt général (sauf les fonds de dotation) sont éligibles aux subventions publiques[1] (qui restent néanmoins, un droit discrétionnaire pour le financeur public) et, pour celles disposant de cette reconnaissance depuis au moins 3 ans, elles se voient désormais reconnaître la possibilité de bénéficier de libéralités (dons et legs) et de posséder et administrer des immeubles de rapport[2].
Le HCVA liste un certain nombre d’avantages spécifiques susceptibles de bénéficier aux organismes d’intérêt général, comme le droit d’émettre des reçus fiscaux à l’attention de leurs mécènes, le droit d’exercer des activités lucratives accessoires ou non prépondérantes, de participer à des instances de consultation, de concertation en partenariat avec les pouvoirs publics, de faire bénéficier à leurs membres bénévoles de congés de représentation ou de formation notamment, enfin, la possibilité d’apparaître dans les médias dans le but de sensibiliser le public sur les causes qu’ils défendent.
1.3. – En matière de procédure débouchant sur une reconnaissance d’intérêt général
C’est peut-être sur ce point que le HCVA est le plus innovant. En effet, il part du constat – partagé par tous les observateurs – que l’approche du concept d’intérêt général est extrêmement divergeant d’un ministère à un autre ou d’une collectivité à une autre, voire même entre les services de ces entités mêmes.
Les exemples de différence de traitement entre associations exerçant pourtant la même activité dans des conditions identiques, mais pas dans un même espace géographique, sont légion. Selon lui, « cette situation est de nature à nuire gravement à la sécurité dont les associations ont besoin pour mener à bien leurs missions d’intérêt général. »
Il s’agirait par conséquent de « réunifier l’approche des différentes administrations étatiques ou décentralisées. »
Le mécanisme retenu s’entend de la recherche d’un consensus entre les acteurs chargés d’en appliquer le concept, à savoir :
- Les administrations de l’État, les services instructeurs ou de contrôle étatique ;
- Les collectivités territoriales qui, en fonction de la réforme en cours, devront être associées le plus tôt possible au processus de reconnaissance, en particulier lorsque des financements importants seront en jeux ;
- Des représentants du monde associatif : sur ce dernier point, le HCVA s’appuyant sur la circulaire VALLS du 29 septembre 2015 et les discours du Président de la République rappelle « on ne peut à la fois arguer que l’intérêt général ne relève plus d’aucun monopole et ne pas en tirer les conséquences s’agissant du processus conduisant à sa qualification et à sa reconnaissance.»
Concernant la mise en œuvre, le HCVA préconise le recours à cette procédure facultative et préconise 3 scénarii en demandant à l’autorité publique, voire même au législateur, de se prononcer sur la pertinence de chacun d’eux au regard de l’objectif recherché de sécurisations des groupements d’intérêt général en tenant compte des contraintes publiques.
Les 3 scénarii sont les suivants :
- Scénario 1 : Une reconnaissance accordée à la demande de l’association par une commission composée de façon plurielle (représentants des ministères concernés, des collectivités territoriales et des organismes d’intérêt général). L’avis rendu par une commission nationale ou régionale pourrait faire l’objet d’un recours gracieux devant une commission nationale dont la composition serait identique ;
- Scénario 2 : Une reconnaissance accordée à la demande de l’association par une administration. Cette approche est quasiment identique à celle du scénario précédemment sauf que la procédure ressemble à celle d’un rescrit et l’instruction aurait lieu part un « chef de file » tenu de s’entourer de l’avis d’autres services que celui de l’administration fiscale, voire de consulter des représentants associatifs du domaine concerné. Une procédure de recours telle que celle évoquée ci-avant pourrait être prévue.
- Scénario 3 : L’association respectant les critères est d’intérêt général a priori. Dans cette hypothèse, la démarche nécessiterait d’édicter une référence législative qui actuellement fait défaut et les services de l’État pourraient, en tout état de cause, tout ou partie des avantages consentis lors d’un contrôle a postériori. Bien entendu, les services qui contesteraient cette reconnaissance devront motiver leur décision que les associations pourront contester dans un certain laps de temps après avoir introduit un recours gracieux disposant de l’effet suspensif.
II. – Observations
- Position exprimée par ISBL consultants
Incontestablement, en se saisissant de la problématique liée à la reconnaissance d’intérêt général, le HCVA aborde une question cruciale du devenir du secteur associatif, précisément au moment où le mécénat d’entreprise connaît une montée en charge très importante. Parfaitement au fait des choses, cette instance semble vouloir prendre à bras le corps les problématiques de financement que connaît actuellement le secteur associatif du fait de la diminution constante des financements publics.
La proposition la plus novatrice porte sur le scénario 1 qui est la procédure privilégiée du HCVA : le consensus doit faire loi ! Théorisée dans de nombreux travaux, en particulier ceux de Jean Gadrey[3], ISBL consultants avait à de nombreuses reprises[4] milité en faveur de la mise en œuvre d’une telle procédure de reconnaissance et dans de nombreux écrits[5] depuis 2009 (voir notamment – > « Intérêt général, utilité publique ou utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? « et « Pour une véritable transition démocratique » ).
En effet, si les propositions du HCVA sont louables en ce qu’elles tentent de mettre fin à l’hégémonie de l’administration fiscale en matière de reconnaissance d’intérêt général, il nous semble que celui-ci doit désormais faire preuve de plus d’audace et aller au bout de sa réflexion et, ainsi, proposer un processus débouchant sur un véritable droit à subvention. Après tout, qui mieux que les citoyens pour décider quels financements publics doivent être attribués à des projets d’intérêt général ?
A ce titre, nous écrivions encore récemment[6] : « En matière de subventions attribuées aux associations, il en résulte que bon nombre de procédures d’attribution sont entachées de clientélisme et de népotisme débouchant sur une véritable gabegie en matière de gestion des finances publiques. Les exigences de démocratie réelle obligent à en finir avec ces dérives d’un autre temps. Pour cela, des solutions existent. À titre d’exemple, il pourrait être envisagé d’instaurer un véritable droit au subventionnement pour les institutions sans but lucratif (ISBL) dont l’action d’utilité sociale [ou d’intérêt général] est reconnue par une commission ouverte et représentative de l’ensemble des parties prenantes, mesurable dans le temps (en intégrant les externalités positives) et modélisable (pour, à terme, en faire bénéficier le plus grand nombre). Pour cela, il suffirait de généraliser un processus d’ores et déjà utilisé dans le secteur social et médico-social qui veut qu’un projet innovant porté par un établissement reconnu expérimental soit obligatoirement financé de façon pérenne par l’État. Exit la notion d’intérêt général versus articles 200 et 238 bis du code général des impôts (CGI). À l’instar de la méthode de reconnaissance d’utilité sociale préconisée par l’instruction fiscale du 18 décembre 2006, il convient de partir des besoins exprimés par les citoyens ou de la nécessité d’agir positivement en faveur d’un public justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale ».
- Un rapport qui doit rapidement recevoir une traduction concrète
Aussi louable soit-elle, la démarche proposée par le HCVA ne risque-t-elle pas de rester lettre morte durant de nombreuses années encore. Ce nouveau paradigme portant sur le processus de reconnaissance de l’intérêt général recevra-t-il une traduction concrète à court terme ? Sur cette question, les rapports parlementaires ou ministériels[7] se succèdent et les déclarations politiques[8] fleurissent régulièrement sans déboucher sur de réelles transformations.
Ainsi, il semble bien que, comme nous l’avons déjà souligné à de nombreuses reprises, à l’instar du CNVA[9] lors des débats de l’époque portant sur la reconnaissance d’utilité sociale en 1995, le problème qui se pose n’est pas d’ordre technique, il est avant tout politique.
Colas AMBLARD Directeur des Publications
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Documents joints:
HCVA_RapportNotes:
[1] L. 2014-856 du 31 juillet 2014, art. 59
[2] Ibid, art. 74
[3] J. GADREY, 2003, L’utilité sociale et organisations de l’économie sociale et solidaire, rapport de synthèse pour la DIES et la MIRE, version provisoire 133 pages ; Journée d’études organisée sous l’égide de l’EHESS, du LASMAS et du GREE du 11 janvier 2005, La reconfiguration de l’action publique entre l’Etat, associations et participation citoyenne ; X. ENGELS (Dir.), M. HELY, A. PERRIN, H. TROUVE, De l’intérêt général à l’utilité sociale. La reconfiguration de l’action publique entre Etat, associations et participation citoyenne, L’Harmattan, 2006
[4] Voir not. XXIIeme colloque ADDES, «Gouvernance et performance : quelles exigences de l’économie sociale ? Paris, 10 mars 2009
[5] C. AMBLARD, Intérêt général, utilité publique ou utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? RECMA, n°315, 2010
[6] C. AMBLARD, Circulaire Valls : pour une véritable transition démocratique, Juris-associations, ed. Dalloz, n°533, 15 févr. 2016
[7] Dans un compte rendu de réunion du 24 janvier 2005, le Conseil d’Orientation de la Simplification Administrative (COSA) faisait part de ses observations quant aux mesures proposées en matière de sécurisation de la fiscalité et estimait « qu’il fallait proposer une définition plus claire de la notion d’intérêt général de l’article 200 du CGI et si possible étendre le champ des activités visées par l’article 200 du CGI » ; v. égal. Rapport au premier ministre J.P. Decool, mai 2005, p.47 ; P. Morange, Rapport d’information sur la gouvernance et le financement des structures associatives, n°134, assemblée nationale, 1er octobre 2008, p.41 et 42 64 ; J.L. Langlais, Pour un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations, rapport ministériel, juin 2008, p. 26
[8] C. Amblard, « Présidentielles 2012 : les engagements pris en faveur du secteur associatif », www.isbl-consultants, edito, mai 2012.
[9] CNVA, « L’utilité sociale des associations et ses conséquences en matière économique, fiscale et financière » Rapport et avis adoptés en session plénière le 15 juin 1995