Le statut de Scic, société coopérative d’intérêt collectif, né en 2002, est en vogue dans les milieux de l’ESS et dans les territoires, à commencer par les collectivités locales. Mais la promesse du multi-sociétariat qui inclut toutes les parties prenantes concernées par un projet dans une dynamique démocratique et inclusive, se heurte à des défis de financement.

 

« Société coopérative d’intérêt collectif », la promesse est belle : transcender le clivage historique entre sociétés à but lucratif et associations à but non lucratif pour concilier entreprise et bien commun. Sur le papier, la Scic est l’outil qui traduit la RSE dans le droit en incluant toutes les parties prenantes dans un projet d’intérêt « collectif » – autrement dit d’intérêt général ou d’utilité sociale pour un territoire ou une communauté. De la parution du décret en 2002 jusqu’en 2011, la Scic n’a pas intéressé grand monde : la création était suspendue à un agrément préfectoral. Conscients de la difficulté, les promoteurs de la Scic, à commencer par la Confédération générale des Scop qui a porté le développement des Scic depuis la genèse de l’idée en 1997 et accompagne aujourd’hui la plupart des porteurs de projets, ont obtenu la suppression de cet agrément préfectoral quitte à sacrifier la possibilité pour eux de contrôler les créations de Scic et avoir une visibilité statistique.

 

Des Scic toujours plus nombreuses

Depuis la suppression de l’obligation d’agrément en 2012, le nombre de Scic a décollé et progresse chaque année. Selon la CG Scop, « elles sont au nombre de 1 417 à fin 2024 (+3 % par rapport à 2023), pour un total de 15 720 salariés  également en progression de même que le chiffre d’affaires (1,6 milliard € en hausse de 14 %) ». Chaque année, on compte une bonne centaine de nouvelles Scic en France. Le modèle intéresse les associations à but non lucratif qui sont en recherche d’un statut de société commerciale tout en pérennisant leur finalité non lucrative, soit pour se développer, soit pour se relancer. Mais la Scic intéresse aussi voire surtout les collectivités locales et en particulier les municipalités. Pendant longtemps en effet, une collectivité territoriale en France n’avait que deux solutions pour soutenir le développement local en cadre privé : soit la subvention pour les associations, soit l’entrepreneuriat en SEM, société d’économie mixte, aujourd’hui appelée EPL (entreprise publique locale).

Mais la SEM pose une contrainte : pour garantir que l’entreprise priorise la mission d’intérêt général tout en relevant du droit privé, la collectivité a obligation d’être majoritaire au capital. De ce point de vue, la Scic complète la SEM puisque les collectivités peuvent et sont même obligatoirement minoritaires. La collectivité a donc l’outil SEM si elle veut être majoritaire et l’outil Scic si elle veut rester minoritaire. Typiquement, la Scic peut être un bon outil pour un regroupement de municipalités autour d’un projet commun. Mais SEM et Scic relèvent d’une logique différente. Une SEM relève du droit privé classique avec des associés qui peuvent valoriser leur capital comme dans n’importe quelle société anonyme ; d’où l’obligation donnée à la collectivité d’y être majoritaire pour ne pas risquer de dévoyer l’objet social. La Scic, elle, relève du droit coopératif : un associé peut récupérer ses parts sociales à la sortie, mais pas faire de plus-value ; qui plus est, le poids à l’Assemblée générale est décorrélé du poids au capital selon le principe de vote 1 personne = 1 voix qui caractérise les organisations ESS.

 

Peu attractive pour les financeurs de métier

Or, quand on est financeur, on gagne sa vie sur ses investissements. Un financeur qui investit dans des projets sans pouvoir en tirer profit ne peut pas en faire son métier ! Cette logique vaut pour les banques, les business angels, les sociétés de capital-risque ou n’importe quel investisseur professionnel. Même les financeurs publics tels que BPI France, Banque des Territoires, ou fonds de développement régionaux ou internationaux opèrent dans cette logique. Résultat : les SEM intéressent les financeurs qui peuvent y valoriser leur investissement ; les Scic n’intéressent pas les financeurs car ils ne peuvent pas y valoriser leur investissement. Ceux qui financent les Scic sont principalement ceux qui en bénéficient en tant que clients ou acteurs du territoire ou de la filière métier concernée, éventuellement des acteurs citoyens individus ou collectivités.

La Scic est née et voulue à l’origine comme une « société à but non lucratif ». Dans les faits ou plutôt dans le droit, elle n’est pourtant pas totalement à but non lucratif : elle peut juridiquement comme toute coopérative verser sur ses bénéfices annuels sinon des dividendes, en tout cas des intérêts plafonnés comparables aux intérêts obligataires ou de livrets d’épargne. En apparence, le plafond est peu motivant : taux moyen de rendement des obligations (TMO) fixé chaque semestre par la puissance publique majorable de +2%. Mais depuis quelques années, le TMO s’est largement réévalué et dépasse légèrement les 3% à fin 2024. Autrement dit, sur les résultats 2024 qui seront présentés aux prochains AG de mai et juin, une Scic (ou autre coopérative) peut récompenser ses associés par un intérêt supérieur à 5%, à condition bien sûr d’être bénéficiaire. Une rémunération bien plus performante que bien d’autres formes d’épargne.

 

Une pratique 100% non lucrative

Et pourtant, ça ne va pas se produire et ça ne s’est jamais produit depuis la création des Scic. D’une part, une rémunération de 5% n’a d’intérêt que si le gâteau à partager est gros. Or la logique même d’une Scic est de privilégier sa mission d’intérêt collectif et par conséquent, les bénéfices sont rarement importants, leur priorité n’étant pas de gagner toujours plus. D’autre part, les acteurs des Scic eux-mêmes sont dans une culture non lucrative au point que dans la pratique, l’immense majorité des Scic réaffecte ses excédents pour l’entreprise et ne rémunèrent pas le capital. Enfin, les intérêts sur parts sociales plafonnés intéressent peu les financeurs de métier qui préfèrent la logique des dividendes non plafonnés en termes de rémunération et priorisent de toutes façons l’objectif de valorisation de leur mise. Les financeurs raisonnent sur le court et moyen terme : leur logique est d’aider un projet, puis d’en sortir pour aller en aider d’autres avec des plus-values au passage. Les coopératives, au contraire, raisonnent sur le long terme et l’objectif de pérennisation de leur mission de service. Elles peuvent rémunérer dans la durée avec une certaine sécurité, mais modérément et de toutes façons, sans valoriser. En clair : la Scic comme « société à but non lucratif » est décalée de la culture dominante du financement des entreprises.

Soit, remarquera le béotien. Mais en ce cas, comme leur but est non lucratif, sans doute peuvent-elles être aidées comme les associations loi 1901 sous forme de subventions, dons et/ou mécénat ? De fait, leur mission d’intérêt collectif s’apparente à celle des associations loi 1901 plus qu’à celle des sociétés commerciales. Mais en tant que sociétés, les Scic relèvent du droit commun en matière d’aides aux entreprises et donc notamment les subventions. Ce droit commun est désormais encadré par l’U.E au nom des pratiques de la « concurrence libre et loyale ». Elles ont donc accès aux mêmes subventions et dans les mêmes limites que les autres entreprises, ainsi que l’avait rappelé le Ministère de l’Economie en réponse à une question du député Gérard Leseul : pas d’aide spécifique pour les Scic en tant que société à but non lucratif. Pas de fiscalité spécifique non plus. Quant au mécénat, le fisc français a tranché : les Scic sont des sociétés et à ce titre, exception faite du secteur culturel, ne peuvent pas bénéficier de la fiscalité propre au mécénat comme les associations à but non lucratif.

 

Développement oui, mais faible et dans la durée

Les Scic subissent donc la double peine : pas d’attractivité pour les financeurs des entreprises en raison de leur non-lucrativité, et pas d’accès aux dons ou au mécénat comme les associations en raison de leur statut de société. Une Scic a tous les devoirs de citoyenneté et aucun droit en tant qu’acteur privé. Le lancement d’une Scic est donc adapté aux projets peu gourmands en capital ou au contraire dont les associés sont richement dotés, principalement personnes morales, collectivités ou entreprises. Post lancement, une Scic ne peut se développer que lentement et dans la durée, ce qui peut poser problème sur des marchés concurrentiels dans un monde qui change vite. La Scic d’auto-partage Citiz est née en 2002 et 23 ans plus tard, a su devenir un réseau national leader de son marché tandis que nombre de ses concurrents des débuts financés par des grands groupes ont mordu la poussière sur un marché difficile émergent et spécifique. Mais 23 ans après, Citiz est aussi une entreprise modeste avec moins de 50 000 utilisateurs sur toute la France et quelques 2 600 voitures mutualisées quand les grands loueurs traditionnels jouent sur des milliards de chiffre d’affaires : ce n’est pas demain que l’auto-partage rentrera dans les usages de mobilité comme la location de voitures. Même processus pour les fournisseurs d’électricité : la Scic Enercoop positionnée sur l’électricité d’origine renouvelable est née en 2005. Vingt ans plus tard, elle continue de se développer, mais au prix d’une énergie militante extraordinaire de ses artisans et avec un volume de clients encore insuffisant pour atteindre la masse critique permettant de proposer une électricité 100% verte accessible à tous. On peut donc saluer les formidables succès entrepreneuriaux de Citiz, Enercoop (ou d’autres Scic encore) pour avoir réussi à pérenniser et développer chaque année leur projet en toute autonomie par auto-financement. Mais encore s’agit-il des plus beaux fleurons des Scic. De même, on peut s’interroger sur la portée de ces projets coopératifs souvent positionnés sur une ambition de « changer la vie » sur des enjeux forts et qui au final, se battent en réalité pour essayer de sortir de leur « niche » de marché, voire de la marginalité.

Alors la Scic est-il un objet finalement mal conçu, trop hybride, trop utopique, pas assez pragmatique ? La réponse est comme souvent nuancée. Depuis 2002, la Scic continue de séduire nombre d’entrepreneurs de l’ESS ou collectivités animés par une forte énergie militante. De ce point de vue, elle répond à un besoin : celui de personnes qui cherchent un modèle pour des projets de territoire inclusifs et participatifs. La problématique du financement n’en reste pas moins entière : incapacité à séduire des investisseurs et interdiction d’accueillir des dons, alors même que l’argent afflue toujours plus dans les fondations comme en témoigne le bilan 2024 de la Fondation de France.

 

Une gouvernance se structure dans la durée

Alors quelles solutions pour ces projets ?

La première des réponses est de commencer, pour les réseaux d’accompagnement, par bien orienter les porteurs de projet : aussi séduisant soit-il, le statut Scic n’est pas la panacée pour tous et d’autres statuts existent pour développer un projet d’intérêt collectif ou d’utilité sociale dans un cadre de multi-sociétariat réunissant plusieurs catégories d’associés. L’association loi 1901 est le premier d’entre eux et bon nombre d’organisations développent des activités commerciales sur un champ concurrentiel sans jamais avoir quitté le statut associatif. Il suffit pour s’en convaincre de citer par exemple kyrielle d’ONG caritatives, reconnues ou non d’intérêt public, ou des associations de consommateurs qui développent des millions de chiffre d’affaires.

La coopérative dite loi 1947 est une autre option et qui n’interdit en rien d’organiser plusieurs catégories d’associés comme l’impose le modèle Scic. La Scop est une troisième option lorsque le projet semble voué à être porté dans la durée par ses équipes salariées. Là encore, la Scop n’interdit en rien d’avoir d’autres catégories d’associés. Elle n’interdit pas non plus d’avoir un « intérêt collectif ». La SAS est une quatrième option : pour le droit des sociétés, elle est le pendant de l’association à but non lucratif avec la même souplesse et la même simplicité, permettant à chaque projet de se structurer en toute liberté, d’agréger peu à peu ses parties prenantes et de structurer progressivement sa gouvernance et son financement. Enfin, le fonds de dotation est une cinquième option pas trop méconnue et pourtant très adaptée aux enjeux d’aujourd’hui (voir les différents  articles et le dossier THEMA Institut ISBL ).  En résumé : à chaque projet le statut adapté et la Scic n’est pas la solution pour tout. Et surtout, ne pas se jeter tête baissée dans un statut juridique aussi prometteur soit-il pour se retrouver ensuite coincé sans pouvoir accueillir ceux qu’on souhaite.

 

Au-delà de la Scic, des spécificités coopératives à mieux intégrer

La seconde réponse existe de longue date : si une coopérative ne peut pas attirer de financeurs « de métier », elle peut selon le projet créer une filiale de droit commun qui pourra elle les intéresser.

La troisième réponse est de mieux tirer parti de ce que permet déjà le droit et que par culture militante, bon nombre négligent. Le droit coopératif propose de longue date des financements alternatifs tels que les titres participatifs ou les certificats coopératifs d’investissement. Ces outils sont complémentaires, mais ils ont leur utilité et ils mériteraient d’être dépoussiérés et mieux valorisés pour mieux remplir leur fonction. Enfin, comme évoqué plus haut, les Scic peuvent rémunérer le capital de leurs associés et ne le proposent pas aujourd’hui, alors même que le taux de rémunération peut être très attractif sans pour autant rentrer dans une mécanique spéculative.

Enfin, le droit ne peut se satisfaire d’un outil juridique qui dans sa nature même, n’a pas pensé sa logique de financement. La question du financement des Scic autres que celles que porteraient des collectivités locales reste donc pleine et entière et de ce point de vue, le législateur doit prendre acte du bilan des Scic depuis 20 ans : des pratiques bel et bien non lucratives. Ce qui justifierait d’ouvrir ces Scic à la fiscalité du mécénat. En clair, si la loi a su adapter la fiscalité pour la partie lucrative des associations, elle est donc capable d’adapter celle des Scic en ouvrant au mécénat celles qui ont des pratiques 100% non lucratives. Quant à toutes celles qui souhaiteraient pouvoir intéresser des investisseurs de métier et les rémunérer, il convient de repenser plus globalement le cadre propre à toutes les coopératives et accepter qu’une part minoritaire du capital puisse s’inscrire dans les règles de rémunération et de valorisation qui répondent aux besoins légitimes de ceux qui vivent du métier de financeur.

 

 

Pierre Liret, entrepreneur, auteur, membre de Coopaname

 

 

En savoir plus : 

Dossier THEMA Institut ISBL

Replay : Les coopératives de service public

Pierre Liret





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