« Il faut tout changer » ! C’est par ces mots que Jean-Pierre Louvel, Président des syndicats des clubs pro (1), réclame des comptes, suite à l’échec sportif de notre équipe nationale de football lors de la Coupe du monde organisée en Afrique du sud.

Ils étaient pourtant nombreux à louer le succès d’une formule fédérale qui a permis quelques années plus tôt, de consacrer l’élite de ce sport au premier rang des nations footballistiques.

Cependant, les annonces successives montrent une volonté des clubs professionnels de jouer un rôle déterminant et l’influence de l’Etat dans la gouvernance de la FFF, ce qui ne va pas sans poser des difficultés sur un plan juridique.

1. La volonté des clubs sportifs professionnels d’accroître leur emprise dans la gouvernance de la FFF

Par un communiqué en date du 28 juin dernier, Jean-Pierre Escalette (Président de la FFF) annonçait sa démission laquelle sera effective à l’issue du Conseil fédéral du 02 juillet prochain. Se pose ainsi la question de son intérim, dans un premier temps, puis de son remplacement définitif, dans un second temps.

En application de l’article 23.3. des statuts de la FFF, l’intérim ne peut être assuré que par un membre du bureau provisoirement élu par le Conseil fédéral jusqu’à la plus prochaine assemblée générale qui aura lieu en septembre prochain.

Par conséquent, la proposition hâtivement formulée par M. Louvel (2) d’organiser cet intérim sous la forme d’ « un triumvirat, avec par exemple le Président de la ligue de football amateur (Fernand Duchaussoy), celui de la ligue professionnel (Frédéric Thiriez) et le directeur général de la FFF (Jacques Lambert) », solution que les clubs professionnels soutiendraient selon ce dernier, serait parfaitement irrégulière en l’état actuel des statuts (3). Tout comme des demandes exprimées par certains sportifs professionnels pour nommer purement et simplement l’actuel directeur général Jean Lambert (ancien Préfet) en qualité de Président de la FFF.

Le choix du président intérimaire sera donc d’une importance capitale, comme tenu des États généraux du sport à préparer dans les tous prochains mois et des probables modifications statutaires à intervenir.

Vers quelles nouvelles propositions de gouvernance ces modifications pourraient-elles déboucher ?

Le renforcement du rôle joué par les représentants du monde sportif professionnel au sein de la FFF est souhaité par un bon nombre d’acteurs et, notamment, le très libéral Jean François Lamour (4), pourtant un pur produit du système fédéral « à l’ancienne » (5). Ce dernier prône « la création d’un conseil de surveillance » : « Ses membres seraient issus du monde du foot, à très grande majorité des bénévoles (…). Ils donneraient un mandat à un directoire, composé de membres rémunérés, dont plusieurs seraient issus du monde professionnel avec, pourquoi pas, des anciens joueurs professionnels. Ce directoire serait chargé de l’opérationnel. » (6).

Laisser les clefs de la FFF aux représentants du monde sportif professionnel relèvera d’un choix politique, que seule l’assemblée générale extraordinaire sera en mesure de prendre. En tout état de cause, il apparaît qu’une telle orientation n’est pas inéluctable.

Actuellement, les représentants du monde professionnel de football au sein du Conseil fédéral sont « ultra minoritaires » (6 membres sur 21, selon l’art. 14) et sont élus par une assemblée générale « composée des seuls représentants du football Amateur » (art. 11). L’offensive était donc à prévoir (Le « big four » à l’offensive pour avoir son championnat de foot).

De la même façon, la volonté de désigner un président désormais salarié à la tête de la FFF ne nécessite pas un tel bouleversement.

Certes, certains fustigent sans vergogne l’amateurisme à la tête de la fédération, n’hésitant pas à faire l’amalgame entre bénévolat et incompétence (7).

Nous ne sommes plus à une contradiction près.

D’autant plus que les statuts actuels de la FFF prévoient déjà la possibilité de rémunérer « certains membres du Bureau (…) dans le cadre de l’exécution de leur mandat électif » (8).

Nul besoin dans ces conditions d’envisager « la reconstruction d’un nouveau système de gouvernance pour le football de demain » (9) – rappelons que la FFF gère par ailleurs 2,2 millions de licenciés – quelques ajustements statutaires (Création d’une commission statutaire spécialement en charge de la gestion de l’équipe de France et directement rattaché au Conseil fédéral, par exemple) pourraient suffire à redorer le blason d’une équipe de France momentanément en berne.

2. L’influence du pouvoir politique sur les fédérations sportives délégataires

La déclaration de Roselyne Bachelot – Narquin, actuellement Ministre de la santé et des sports, jeudi 24 juin 2010, pour qui la démission de Jean Pierre Escalette est « inéluctable » (10) est symptomatique des tentations du pouvoir politique à s’ingérer dans les affaires internes d’une discipline sportive au fort potentiel médiatique.

Cela explique les auditions prévues ce jour à l’Assemblée nationale de Raymond Domenech et du Président de la FFF.

Fort heureusement, quelques personnalités politiques telles que notamment Marie Georges Buffet, ancienne Ministre des Sports de 1997 à 2002 (11), jugent la démarche totalement incongrue.

En tout état de cause, la relation entretenue entre l’État et le pouvoir sportif ne va pas sans poser des difficultés sur le plan juridique, en raison notamment de la spécificité du modèle sportif français.

En effet, soupçonnant une forme d’ingérence de l’État français – motivée il est vrai par la mauvaise image de la France renvoyée au plan international – au sein des instances dirigeantes de la FFF, la Fédération Internationale de Football (FIFA) a rappelé fermement que « personne ne peut demander à un dirigeant élu de démissionner. Il peut le faire de lui-même, s’il pense avoir failli. Avec le CIO, on se bat pour garder notre autonomie. On accepte que le politique travaille avec nous mais il faut maintenir cette frontière pour que la gestion du foot reste dans le foot » (Conférence FIFA, Jérôme Valcke, Secrétaire général français FIFA, 27 juin 2010) (12).

Le fondement juridique de cette intervention repose sur l’article 13 g des statuts de la FIFA pour lequel : les membres « ont l’obligation de diriger leurs affaires en toute indépendance et veiller à ce qu’aucun tiers ne s’immisce dans leurs affaires ». Par ailleurs, il est précisé que la violation de cette disposition entraîne également des sanctions. Les statuts FIFA prévoient la suspension (art. 14), voire même l’e
xclusion (art. 15), « même si l’ingérence du tiers n’est pas imputable au membre concerné ».

Or, c’est précisément là où réside la difficulté actuelle pour les fédérations dans une telle situation.

En effet, en droit français, la liberté d’association s’impose par principe aux autorités politiques (13). La tutelle que peuvent exercer ces autorités sur une association (et par conséquent, la FFF) constituant une limite à cette liberté, celle-ci ne saurait excéder le cadre fixé par le législateur (14).

S’agissant d’associations investies par la loi d’une mission de service public, le Conseil constitutionnel admet cependant qu’elles puissent faire l’objet de mesures spécifiques de contrôle en raison notamment de la nature particulière des missions qui leur sont confiées, de la nature et de l’importance des ressources qu’elles perçoivent et des dépenses obligatoires qui leur incombent (15).

Or, en l’espèce, tel est le cas pour la FFF agréée par l’État en application de l’article L 131-9 du Code du sport.

Il s’agit donc, au delà d’un simple réajustement statutaire à envisager sur le plan de la gouvernance, de faire en sorte que les règles internationales du football puissent coexister avec le modèle sportif français envisagé par notre Code du sport ce qui, au regard des développements précédents, dépasse de très loin le simple devenir de l’équipe de France de football.

Une question que les États généraux du sport prévus pour l’automne prochain ne manqueront pas d’évoquer.

Colas AMBLARD

Directeur des publications ISBL consultants

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Notes:

[1] L’Equipe, mardi 29 juin 2010, p. 2

[2] Ibidum

[3] S’agissant d’une fédération sportive agréée, l’article 131-8 du Code du sport dispose qu’un agrément peut être délivré par le ministre chargé des sports aux fédérations qui, en vue de participer à l’exécution d’une mission de service public, ont adopté des statuts comportant certaines dispositions obligatoires et un règlement disciplinaire conforme à un règlement type. Les dispositions obligatoires des statuts et le règlement disciplinaire type sont définis par décret en Conseil d’Etat pris après avis du Comité national olympique et sportif français.

[4] Député UMP de Paris et ancien ministre des sports de mai 2002 à mai 2007, M. Jean François Lamour a réformé la loi n°99-1124 sur les clubs sportifs du 28 décembre 1999 (C. Amblard, Des nouveaux cadres juridiques pour l’exercice du sport en France, Revue juridique et économique du sport, Dalloz, n°59, juin 2001) et a été récemment rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi sur la régulation des paris et jeux en ligne promulguée jeudi 13 mai 2010, soit quelques semaines avant le début de la coupe du monde

[5] M. Jean François Lamour a été champion olympique d’escrime individuel en 1984 et 1988 et champion du monde en 1987

[6] L’équipe, Dimanche 27 juin 2010, p. 8

[7] Pour M. Guy Roux (ancien entraîneur), cette solution "ouvrirait le champ des présidentiables. ça ne nous obligerait pas à avoir un président retraité, même s’il ya d’excellents retraités. Le dévouement total, c’est bien, mais cela a ses limites" (L’équipe, 27 juin 2010, p. 8).

[8] L’article 22 des statuts de la FFF prévoit même que leur nombre, les modalités et le montant de cette rémunération sont fixés par le Conseil Fédéral, conformément à l’article 261-7.1°d) du code général des impôts modifié par l’article 6-III de la loi de finances n°2001-1275 du 28 décembre 2001.

[9] F. Thiriez, Président de la ligue professionnel de football, L’équipe, Mardi 29 juin 2010, p. 2.

[10] Déf. "Qui ne peut être évité, empêché" (Larousse)

[11] Pour l’ancienne ministre des sports, cette initiative politique n’est pas adaptée : « Je ne serai pas à cette audition. J’estime qu’il faut être un peu sérieux. Il y a eu les résultats de l’équipe de France, il y a une situation dramatique du sport dans notre pays qui demande une réaction très forte du ministère pour obtenir des moyens publics et on nous amuse en nous disant qu’on va écouter M. Domenech et M. Escalettes. Il faut d’abord que le ministère rencontre la Fédération, qu’il fasse un premier bilan et puis ensuite si on estime qu’il faut auditionner telle ou telle personnalité, on le fera. J’ai l’impression qu’on est en train de faire des auditions spectacle. » (RMC, mardi 29 juin 2010)

[12] Le Président de la FIFA,Sepp Blatter, de son côté a été très ferme rappelant qu’’’en cas d’ingérence politique, la FIFA interviendra, quelle que soit la taille du pays’’ et précisant, par ailleurs, que ’’le foot doit rester entre les mains de la fédération française de football’’ tout en menaçant de "suspendre" cette dernière en cas d’ingérence prolongée

[13] Cons. cons. 16 juillet 1971 : AJDA 1971, p. 537

[14] CE 21 octobre 1959, Académie Vétérinaire de France : Lebon p. 528

[15] Cons. cons. 20 juillet 2000, n°2000-434 DC : JO 27 p. 11550 Colas AMBLARD Colas AMBLARD Publié : 30 juin 2010 Imprimer Envoyer Formations proposées par cet auteur Créer et animer sa fondation Optimiser le régime fiscal de votre association Dissoudre votre association Gérer les difficultés financières de votre association Votre association et la transparence financière

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