Par deux fois, les tribunaux de l’ordre judiciaire administratif se sont récemment prononcés sur les conséquences fiscales pour les associations – potentiellement applicables plus généralement à l’ensemble des organismes sans but lucratif (OSBL) – lorsque ces structures entretiennent des relations avec des entreprises du secteur lucratif. A l’heure de l’hybridation socio-économique, particulièrement prisée dans le secteur de l’ESS, ce mode de recherche de moyens supplémentaires doit être parfaitement maîtrisé si l’on veut limiter les risques de remise en question du statut fiscal de ces OSBL (association, fondation, fonds de dotation).
Deux jurisprudences récentes, l’une en provenance du Conseil d’Etat en date du 17 octobre 2022[1]CE 17 oct. 2022 n°453019 et l’autre du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 janvier 2023[2]TA Cergy-Pontoise 10 janv. 2023 n°1915799, viennent alerter les OSBL dans le cadre des relations qu’ils peuvent entretenir avec des entités du secteur lucratif (sociétés commerciales voire même OSBL assujettis aux impôts commerciaux). Dans les deux cas, les juges administratifs ont conclu à un assujettissement des associations aux impôts commerciaux « par contamination » et ce, même si le critère de gestion désintéressée est parfaitement respecté et que ces organismes relevant du secteur de l’ESS ne s’inscrive pas dans une démarche lucrative pour eux-mêmes.
- Les relations privilégiées entre associations et entreprises lucratives : attention danger !
Ce faisant, ces juridictions ont appliqué la doctrine de l’administration[3]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30 du 12 sept. 2012 stabilisée depuis l’instruction fiscale du 15 septembre 1998[4]Instr. fisc. 4 H-5-98, à savoir qu’un OSBL « est en principe soumis à l’impôt sur les sociétés, à la cotisation foncière des entreprises (ainsi que, le cas échéant, à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE]) et à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’il entretient des relations privilégiées avec des organismes du secteur lucratif qui en retirent un avantage concurrentiel, étant précisé que tout organisme qui exerce des activités au profit d’entreprises n’entretient pas pour autant systématiquement des relations privilégiées avec les entreprises. »
Par conséquent, est donc lucratif un organisme « qui permet de manière directe aux professionnels de réaliser une économie de dépenses, un surcroît de recettes ou de bénéficier de meilleures conditions de fonctionnement », quand bien même cet organisme ne rechercherait pas de profits pour lui-même et qu’il répondrait en tout point aux critères de non assujettissement définis par la doctrine fiscale[5]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 07 juin 2017.
D’autres applications jurisprudentielles de cette limite posée dans les relations entre associations et sociétés commerciales avaient déjà fait l’objet de commentaires lorsqu’elles avaient pour objet de faciliter l’exploitation commerciale de membres[6]CE, 20 juillet 1990 « Association pour l’action sociale », Req. 84846 ; CE, 6 novembre 1995 « Service médical industriel de la Mayenne », Req. 153024 « Association patronale des … Continue reading.
Dans sa décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’Etat transpose ce cadre d’analyse à la TVA à propos de l’exercice d’une activité d’initiation au ski, qui représentait 70% de ses recettes et constituait donc l’activité principale d’une association, celle-ci faisant appel à des moniteurs de ski qui exerçaient une activité commerciale pour laquelle ils étaient notamment soumis à la TVA et, surtout, qui étaient membres de la structure à but non lucratif[7]Loi 1901, art. 1.
Dans celle du 10 janvier 2023, une association avait été créée par des sociétés en consortium pour répondre à un appel à projets dédié à l’émergence de projets urbains innovants. Elle se présentait comme porteuse d’une démarche originale de coopération entre des acteurs publics et privés de la ville de Cergy-Pontoise pour expérimenter et produire des solutions innovantes. En l’espèce, des indices de lucrativité ont été mis en lumière par l’administration à l’occasion du dépôt d’un rescrit fiscal « mécénat »[8]LPF, art. L 80 A et B : d’une part, un certain nombre de dons reçus par l’association en question avaient pour vocation à être reversés aux entreprises adhérentes comme contreparties aux dépenses qu’elles avaient engagées dans le cadre de travaux d’études et de recherches menés par l’association ; d’autre part, si l’association avait pour objet principal de faire émerger des projets innovants, les entreprises membres de cette même association étaient susceptibles de se porter candidates pour la réalisation de ces projets et ainsi bénéficier de ressources liées à leur réalisation.
Dans cet ordre d’idées, un certain nombre d’OSBL est par nature assujetti aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés et TVA) tels que par exemples, les groupements de commerçants ou d’employeurs, les associations de gouvernance de pôles de compétitivité, les couveuses d’entreprises, les associations inter-entreprises de médecine du travail, ou encore les associations de gestion et de comptabilité ainsi que les centres de gestion agréés [9]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 préc. par. 80 à 240.
- Mais toutes les relations entre associations et entreprises lucratives ne sont pas forcément à risque
La doctrine fiscale nous enseigne par exemple que « la circonstance qu’un organisme sans but lucratif réalise à titre accessoire des prestations au profit d’entreprises ne suffit pas à considérer que celui-ci entretient des relations privilégiées avec ces entreprises et à entraîner l’assujettissement de l’ensemble de l’organisme aux impôts commerciaux. En effet, la relation privilégiée avec les entreprises doit s’apprécier au regard du fonctionnement global de l’organisme. »[10]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30, préc., par. 40
De la même façon, le fait pour une association de créer une filiale commerciale n’est pas, par nature, susceptible d’entraîner une remise en question du régime fiscal de l’OSBL. L’administration rappelle en effet sur ce point que « de façon générale, un organisme qui entretient avec une société du secteur lucratif des relations privilégiées caractérisées par une complémentarité économique est considéré comme lucratif pour l’ensemble de ses activités, sans possibilité de sectorisation. Tel est notamment le cas lorsqu’il existe entre eux une complémentarité commerciale, une répartition de clientèle, des échanges de services, une prise en compte par la société de charges relevant normalement de l’activité non lucrative, etc. » Elle précise par ailleurs que « la notion de complémentarité commerciale désigne à la fois la situation dans laquelle l’activité non lucrative tend à développer l’activité de la société commerciale, et celle dans laquelle cette dernière confère à l’activité non lucrative de l’organisme, par contagion de ses propres buts et pratiques commerciales, tout ou partie des avantages liés au recours au marché. ».
Mais la doctrine indique également de façon extrêmement claire qu’ « « il n’y a pas lieu de relever l’existence d’une telle complémentarité du seul fait de l’existence d’une filiale ou d’un lien entre l’activité non lucrative de l’organisme et celle, lucrative, de la filiale. »
Enfin, les relations entretenues entre un OSBL et une entreprise mécène[11]BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 par. n°160 : sous réserve de contreparties proportionnées au don octroyée à l’entreprise mécène par l’OSBL, tout comme la perspective de voir une même entreprise intervenir au sein de la gouvernance de ce type de structure, ne suffit pas, en soi, à caractériser ce « lien privilégié » qui, par certains aspects, peut se révéler extrêmement dangereux ; en effet, non seulement l’OSBL en question peut être soumis aux impôts commerciaux, mais aussi, par contrecoup, se verra privé du bénéfice du régime de mécénat et ne relèvera plus du régime des subventions publiques[12]Circ. n°5811-SG du 29 sept. 2015 mais de celui des aides d’Etat, beaucoup plus contrôlé et contraignant.
- Reste des situations qu’il convient d’aborder avec précautions
Tel est, par exemple, le cas des activités suivantes qui doivent être analysées au regard de règles spécifiques[13]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 :
- Les activités relevant d’un rôle fédératif (unions, fédérations) ;
- Les activités relevant de la défense collective des intérêts moraux ou matériels des membres autres que des professionnels ;
- Les services rendus aux membres pour les besoins de leur activité non lucrative.
Etant entendu que le régime fiscal des syndicats professionnels fait pour sa part l’objet de développements particuliers[14]BOI-IS-CHAMP-10-50-30-50-III.
- En définitive, que nous enseigne cette « vague » jurisprudentielle ?
Plusieurs éléments :
- En premier lieu, que les associations et de façon plus générale les OSBL, peuvent entretenir des relations avec des entreprises du secteur marchand, sous différentes formes possibles (partage de gouvernance, création et gestion de filiales, mécénat, etc.) dans un cadre parfaitement sécurisé d’un point de vue fiscal, dès lors que les limites ci avant évoquées sont respectées ;
- En second lieu, que ces mêmes organismes doivent être extrêmement vigilants sur la nature des relations qu’ils entretiennent avec des professionnels soumis aux impôts, et particulièrement lorsque ces professionnels sont membres de ces structures ou souhaitent tout simplement le devenir ;
- Enfin, qu’il convient régulièrement de procéder à une analyse précise de ce type de relations par des professionnels avertis, particulièrement lorsque ces OSBL font partie de groupements solidaires ou complexes mêlant organismes non lucratifs et lucratifs et, en tout état de cause, préalablement à tout engagement d’un rescrit fiscal (LPF, art. L 80 A et B).
A bon entendeur !
Colas Amblard, docteur en droit, avocat
En savoir plus :
Conseil d’Etat, 17 octobre 2022
Tribunal administratif Cergy-Pontoise, 10 janvier 2023
« L’association « holding » ou comment concilier intérêt général et efficacité économique ? »– Colas Amblard, éditorial ISBL MAGAZINE mars 2018
- Engagement associatif : petit lexique juridique - 27 novembre 2024
- Présider une association : la vigilance est de mise - 29 octobre 2024
- Association et dirigeant de fait : attention au retour de bâton ! - 29 octobre 2024
References
↑1 | CE 17 oct. 2022 n°453019 |
---|---|
↑2 | TA Cergy-Pontoise 10 janv. 2023 n°1915799 |
↑3 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30 du 12 sept. 2012 |
↑4 | Instr. fisc. 4 H-5-98 |
↑5 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 07 juin 2017 |
↑6 | CE, 20 juillet 1990 « Association pour l’action sociale », Req. 84846 ; CE, 6 novembre 1995 « Service médical industriel de la Mayenne », Req. 153024 « Association patronale des services médicaux du travail », Req. 153220 et « Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise », Req. 147388. |
↑7 | Loi 1901, art. 1 |
↑8 | LPF, art. L 80 A et B |
↑9 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 préc. par. 80 à 240 |
↑10 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30, préc., par. 40 |
↑11 | BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 par. n°160 : sous réserve de contreparties proportionnées au don octroyée à l’entreprise mécène par l’OSBL |
↑12 | Circ. n°5811-SG du 29 sept. 2015 |
↑13 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 |
↑14 | BOI-IS-CHAMP-10-50-30-50-III |