Le cumul accéléré des menaces pesant sur les démocraties, des conflits et guerres, des crises climatiques économiques et sociales, n’incite guère à penser les systèmes politico-économiques dits « dominants », ni adaptés ni éternels. La prétention du capitalisme à demeurer l’unique système de régulation globale suscite une contestation croissante.
Guerre entre Israël et Palestine avec ses extensions (Iran, Liban, …), au Yémen, en Éthiopie, au sein ou entre des États Africains, entre Russie et Ukraine, … En 2024, 61 conflits entre 36 pays ont été enregistrés dans le monde.
Avec, suivant les cas, des milliers ou des centaines de milliers de morts – chiffres auxquels il faudrait ajouter ceux des déplacés : plus de 10% de la population mondiale est concernée, touchée par cette amplification des affrontements.
Tout ceci sans ajouter au tableau ce qui a trait au narcotrafic qui, d’une façon bien particulière, calque ses méthodes sur celles d’entreprises internationales classiques parfaitement honorables.
Les origines de ces conflits, guerres, sont évidemment fort diverses. Les nouvelles « guerres de religions » en font partie, cachant mal d’autres objectifs. Mais on ne peut être que frappé par le caractère de certaines propositions, trahissant un intérêt économique et financier des proposants, soi-disant pour y mettre fin. La proposition de Donald Trump pour faire de Gaza une zone touristique, les marchandages autour des ressources minières rares, en sont des exemples alarmants.
Plus largement d’ailleurs, l’époque n’est plus à la « colonisation », mais à de formidables « stratégies d’emprises » sur des terres, des minerais, des forêts, des voies terrestres ou maritimes, … L’expansion change de méthode, de nom (parfois habillée du nom de Soft Power), mais ne diverge pas de la volonté bien ancrée de mettre la main sur des moyens, des richesses, de peser sur des dirigeants, sur des États. Au minimum avec des objectifs commerciaux annoncés (Nouvelle Route de la Soie), souvent en fait avec des objectifs d’influence, de domination diffuse. Cette évolution plus ou moins rampante, plus ou moins vantée, est un fait. Le capitalisme, paré ou non d’impérialisme, n’est jamais bien loin. Il se manifeste d’ailleurs ouvertement en matière d’accaparement de terres productives via des véhicules financiers spécifiques permettant aussi de spéculer. Les populations locales sont les premières à en souffrir. Ces phénomènes sont certainement, pour l’avenir, la source de nouvelles révoltes, d’autres conflits.
La pauvreté a certes régressé dans le monde depuis 30 ans mais selon la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour le Développement, 95 millions de personnes sont dans l’extrême pauvreté. Si l’on regarde ce qu’il en est en termes d’accessibilité à l’eau, l’électricité, l’éducation, … le chiffre de personnes ni ayant pas accès, en tout ou partie, se monte à 1,3 milliard de personnes. Les raisons sont souvent cumulatives : les conflits déjà cités, les effets du climat (sécheresses, …), les pandémies, le manque d’infrastructures, … Situation qui n’empêche pas certains pays très développés de suspendre les aides en direction des pays pauvres, ou d’autres de se contenter de montants d’aide limités, stagnants. Le capitalisme n’est jamais très loin.
Combien faudra-t-il encore de déchirements, de dérives, de périls pour que des conclusions en soient tirées ? Or les supporteurs têtus du capitalisme en restent là où ils en ont toujours été … à quelques aménagements près. Leur lobbying aussi puissant que permanent ne fléchit pas, comme si les secousses mondiales n’étaient pas porteuses de mauvaises nouvelles quant aux effets du capitalisme, pas donc suffisantes pour une prise de conscience des responsabilités que portent le système et ses avatars.
Il faudrait, bien sûr, compléter ce panorama, par l’instabilité du monde « avancé » provoquée par les foucades d’un capitalisme exacerbé et avide d’une concurrence qui est encore plus faussée que libre. La globalisation tous azimuts succède à des injonctions nationalistes et des renvois de balles plus ou moins proportionnés.
Alors n’est-il pas urgent de poser la question : le capitalisme est-il obligatoire ?
Le temps est venu de sortir du fatalisme du type : « il n’y a pas d’autre voie possible » (sans vouloir en chercher d’autres), des affirmations « tout autre système ne durerait pas longtemps », « le retour au capitalisme serait toujoursautomatique » ou encore « il suffit d’apporter des correctifs au capitalisme » (au moment même où le capitalisme, dans plusieurs États, tente d’effacer les compensations sociales à ses effets négatifs). Sortir également du prétexte que le « capitalisme a toujours été en état de se réformer » (sans doute, mais en faveur de qui ?).
Il devient de plus en plus inacceptable d’entendre que le capitalisme doit continuer seul à gérer le monde.
Le temps est, dans une même perspective, d’examiner comment remplacer les systèmes d’échanges commerciaux et financiers (tentaculaires) par d’autres systèmes, d’autres références intégrant les Objectifs Démocratiques, ceux de Développement Durable et non en les maintenant dans une position quasi accessoire.
Le temps est aussi venu de se demander comment réconcilier non plus les « blocs » mais les « occidentaux » avec les autres parties du monde et réciproquement. Exercice impossible ? Il faut en tous les cas tenter d’avancer en ce sens, les vieux modèles ne pouvant plus être considérés comme pérennes. L’ESS porte en elle les notions de respect réciproque comme d’équité et de partage qui correspondent à une vision pacifique y compris des relations Internationales , notamment commerciales, mais pas seulement .
Le temps est donc venu pour l’Économie Sociale et Solidaire qui, déjà, progresse sur les différents continents, de se renforcer par des alliances opérationnelles entre ses propres acteurs mais aussi avec d’autres forces territoriales, d’Organisations Non Gouvernementales, syndicales. Sa reconnaissance reçue de l’Assemblée Générale de l’ONU, puis de l’OIT, l’OCDE est essentielle. Les membres de l’Alliance Internationale de l’ESS sont à l’action : ESS-Forum International (qui va tenir ses Rencontres du Mont-Blanc à Genève en janvier 2026), GSEF Forum Villes/ESS (qui va tenir son forum à Bordeaux en octobre 2025), Alliance Coopérative Internationale (2025 est l’Année Internationale des Coopératives), Association Internationale de la Mutualité, Fédération Internationale des Coopératives et Mutuelles d’Assurance, …, l’ESS s’organisant également de plus en plus au niveau des continents notamment avec la naissance cette année du FORA-ESS, Forum Africain de l’ESS.
L’ESS doit absolument accélérer et innover dans ses méthodes et fonctionnements, mettre au point des stratégies internationales comme locales de son développement. Elle doit aussi se positionner plus ouvertement en présentant ses solutions face aux crises multidimensionnelles qui traversent le globe, en n’hésitant pas à démontrer ce qu’elle fait, à interpeller les institutions, les gouvernements, les autres acteurs continentaux et mondiaux. L’heure de la timidité est passée.
Thierry Jeantet
Président d’Honneur d’ESS-Forum International
Member of the GSEF-Advisory Committee
Le Capitalisme est-il obligatoire ?, Thierry Jeantet, Institut ISBL juillet 2025
- Version en anglais : Is Capitalism mandatory ?
- Version en espagnol : ¿Es obligatorio el capitalismo?
- Version en portugais : O Capitalismo é obrigatório?
- Version en polonais : Czy kapitalizm musi obowiązywać ?
En savoir plus :
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