Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire adopté en première lecture par le Sénat le 7 novembre 2013 sera discuté devant l’Assemblée nationale au printemps prochain. Il comporte de nombreuses dispositions à destination des associations, la principale composante de ce secteur aux côtés des autres acteurs historiques du mouvement : les mutuelles et les coopératives.
Après l’Espagne, le Portugal, la Wallonie et plus récemment le Québec, c’est désormais au tour de la France de vouloir se doter d’une loi reconnaissant l’existence d’un secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). L’analyse du projet montre que les enjeux dépassent de loin celui du devenir immédiat du secteur associatif : il s’agit avant tout de créer un socle juridique destiné à faciliter l’émergence d’un pluralisme économique et ainsi encourager le développement d’un « tiers-secteur » en complément de la sphère étatique et marchande traditionnelle.
À l’origine, seules les associations exerçant une activité économique ou commerciale – ce qui, en définitive, ne représente qu’une part infime de ce secteur – devaient être concernées par ce projet de loi. En l’état actuel du projet(1), plusieurs dispositions légales intéressent l’ensemble du secteur associatif, notamment à travers les nouveautés apportées au régime des ressources potentiellement mobilisables (subventions, titres associatifs et libéralités) et de la restructuration (fusion, scission et apport partiel d’actifs).
RECONNAISSANCE DU RÔLE ENTREPRENEURIAL DES ASSOCIATIONS
Grâce à cette loi, le secteur associatif devrait enfin accéder au rang d’entrepreneur économique à part entière (2). Ce sera donc l’occasion de découvrir que l’action associative ne se limite pas à une fonction réparatrice au sein de notre société, mais qu’elle peut également offrir « des activités de production, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services » dans « tous les domaines de l’activité humaine »(3), à l’instar des opérateurs économiques traditionnels. La différence entretenue par cette « autre façon d’entreprendre »(4) réside dans l’organisation de l’entreprise d’ESS(5) autour de deux principes fondamentaux : la propriété impartageable des bénéfices6 et la gouvernance démocratique(7). Il s’agit donc bien de faire prendre conscience à nos concitoyens que l’entrepreneuriat peut reposer sur des ressorts autres que capitalistiques tout en présentant des résultats positifs en termes de création de richesses et d’emplois : le secteur associatif représente 3,5 % du produit intérieur brut et 5 % du volume total de l’emploi public et privé en France, soit 1,8 million de salariés à temps plein ou à temps partiel(8). Bien que sérieusement impacté, ce secteur non marchand démontre en outre une forte capacité de résistance à la crise économique actuelle, grâce notamment aux emplois non délocalisables qu’il contribue à créer : au cours du premier trimestre 2013, la création d’emplois dans les secteurs non marchands a progressé (+0,6 %) tandis que l’emploi marchand connaissait un net recul (-0,7%). Ce dispositif législatif a donc pour objectif principal d’offrir un cadre juridique et institutionnel susceptible d’accompagner la montée en puissance de ce nouveau mode d’intervention économique.
PRÉSERVATION DE L’UNITÉ DU SECTEUR ASSOCIATIF
Si le projet de loi institutionnalise le rôle économique joué par certaines associations dans de nombreux secteurs d’activité tels que les services à la personne, le tourisme ou l’environnement, il ne s’agit pas pour autant de porter atteinte à la diversité du tissu associatif actuel. La plupart des associations continueront à exercer des activités situées en dehors de la sphère économique – à l’image des activités humanitaires, sportives ou encore d’animation culturelle –, contribuant ainsi à créer du lien social et/ou à animer les territoires. Pour ces organismes à but non lucratif, la loi du 1er juillet 1901(10) demeurera le cadre juridique de référence, voire la seule référence légale. La loi ESS se contentera à titre principal d’offrir un cadre juridique nouveau pour les associations désireuses d’exercer des activités de production de biens ou de services.
Cette superposition des dispositifs législatifs, applicables conjointement, présente deux avantages. D’une part, elle permet d’éviter le risque de dislocation du mouvement associatif en un secteur à deux vitesses avec, d’un côté, les « grandes » associations dont le statut risquait à terme de se confondre avec celui applicable au secteur concurrentiel (risque de banalisation) et, de l’autre, les « petites » associations qui auraient exclusivement vocation à intervenir dans la sphère sociale ou caritative (risque de marginalisation). D’autre part, elle propose un renouveau du cadre juridique d’« entreprise associative » dont l’efficacité économique est, au sein d’une même entité productive, mise au service d’un modèle de société.
NOUVELLES DISPOSITIONS APPLICABLES AUX ASSOCIATIONS
Définition légale de la notion de subvention
L’une des principales dispositions profitables à l’ensemble du secteur associatif consiste à sanctuariser la définition de la notion de subvention. Ce faisant, le gouvernement actuel semble avoir pris la pleine mesure de l’augmentation du recours à la commande publique au détriment de la subvention. Il est vrai qu’avec une augmentation de 73 % des procédures de mise en concurrence (marchés publics, délégations de service public) dans la part de financement public du secteur associatif pour la période 2005-2011 – contre une baisse de 17 % de celle des subventions(11) -, il y a désormais urgence. Pour Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative, il s’agit donc avant tout de « donner une assise juridique solide à la notion de subvention afin de conforter les collectivités territoriales à y recourir »(12). Pour autant, cette nouvelle définition légale suffira-t-elle à inverser la tendance ? Il est permis d’en douter dans la mesure où cette définition juridique se borne peu ou prou à reprendre des critères déjà consacrés par la jurisprudence administrative pour distinguer la subvention des autres formes de financement public. D’autre part, la construction de la réglementation européenne fait encore une part (trop) belle à la notion de concurrence(13), induisant chez les financeurs publics des réflexes dont il sera difficile de se départir avant longtemps. Sans parler de l’état de nos finances publiques qui limite les possibilités de financement sous cette forme(14)…
Fort heureusement, la nouvelle charte des engagements réciproques entre l’État, les associations et les collectivités territoriales(15) et le projet de réécriture de la circulaire du 18 janvier 2010, dite « circulaire Fillon »(16), pourraient rééquilibrer quelque peu la situation en faveur du subventionnement comme mode de financement incontournable du secteur associatif.
Cadre des restructurations associatives(17)
Alors même qu’aucune disposition légale spécifique n’encadrait ni les fusions ni les scissions ni les apports partiels d’actifs entre associations, le projet de loi relatif à l’ESS(18) propose de compléter la loi du 1er juillet 1901 par un article 9 bis, offrant ainsi un cadre juridique pour ce type d’opérations courantes dans le secteur associatif(19).
Un projet de t
raité de fusion ou de scission doit obligatoirement être établi entre les différentes parties prenantes et « décidé par des délibérations concordantes adoptées dans les conditions requises par leurs statuts pour leur dissolution »(20). C’est donc l’assemblée générale qui sera compétente pour entériner ce type d’opération, le plus souvent réunie en la forme extraordinaire, ce qui nécessite de respecter des conditions de quorum et/ou de majorité renforcée. Dans le cadre d’une fusion-création(21), l’adoption des statuts de la nouvelle structure absorbante par délibérations concordantes des associations absorbées suffira à entériner l’opération, sans qu’il y ait besoin de se prononcer une nouvelle fois sur le traité de fusion. Un apport partiel d’actifs pourra être entériné dans des conditions plus souples, même si le législateur semble également exiger la rédaction d’un traité d’apport(22). Dès lors, le transfert de l’activité d’une association vers une autre pourra résulter d’une simple décision de l’assemblée générale ordinaire, voire du conseil d’administration, le législateur se contentant pour ce type d’opération d’exiger le respect du cadre statutaire.
Lorsque la valeur totale des apports excédera un certain montant, déterminé par la voie réglementaire, le recours à un commissaire à la fusion, à la scission ou aux apports sera obligatoire. Désigné d’un commun accord entre les parties, ce dernier devra établir un rapport portant sur la méthode d’évaluation retenue, la valeur de l’actif et du passif faisant l’objet de la transmission ainsi que sur les conditions financières de l’opération.
À l’exception de l’apport partiel d’actifs, la fusion et la scission entraînent la dissolution sans liquidation de l’association préexistante et la transmission universelle de son patrimoine (actif et passif)(23). Pour les associations reconnues d’utilité publique, l’opération de fusion ou de scission devra cependant être approuvée par un décret en Conseil d’État. Dès lors, les membres seront automatiquement transférés dans la nouvelle structure – sauf manifestation contraire de leur part.
La date de prise d’effet de l’opération de restructuration pourra être déterminée soit contractuellement, soit conformément aux règles légales(24) prévues à cet effet. L’autorité administrative devra se prononcer sur les demandes de renouvellement des autorisations administratives, sur les agréments, sur les conventionnements ou les habilitations, lesquels sont par nature incessibles et intransmissibles.
À noter que le Sénat n’a pas retenu l’obligation de publicité légale prévue dans la première version du projet de loi, ce qui aurait eu pour effet d’augmenter sensiblement le coût de ce type d’opération – si l’on intègre le recours obligatoire au commissaire à la fusion, à la scission et à l’apport partiel d’actifs au-delà d’un certain seuil.
Autres mesures spécifiques annoncées
D’autres mesures spécifiques intéressant le secteur associatif sont annoncées, parmi lesquelles la mise en œuvre d’un agrément «entreprise solidaire d’utilité sociale» auquel pourront automati-quement prétendre les associations intermédiaires, d’insertion ainsi que les régies de quartier(25). Le projet de loi institutionnalise le rôle joué par le Conseil supérieur de l’ESS(26), les chambres régionales de l’ESS(27) et les dispositifs locaux d’accompagnement (DLA)(28). Le projet prévoit également une prise en compte de critères sociaux dans le cadre de la commande publique(29) ainsi qu’une définition de l’innovation sociale(30). Il modifie le régime du titre associatif destiné à renforcer les fonds propres des associations(31). Cette sorte d’obligation remboursable existant depuis 1985 n’était que très rarement utilisée par les associations. Pour la rendre plus attractive, sa rémunération est rehaussée de 3 % à 5,5 % à condition que les titres soient conservés pendant plus de sept ans. En outre, il est question d’étendre la capacité des associations d’intérêt général constituées depuis au moins trois ans(32) à recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires dans les conditions de l’article 910 du code civil et de les autoriser à posséder et à administrer des immeubles de rapport(33). Les règles applicables à la fermeture des établissements ou des services sociaux ou médico-sociaux sont modifiées (ESMS)(34). La capacité juridique des associations reconnues d’utilité publique (RUP) sera élargie pour permettre à ces dernières de posséder des immeubles de rapport(35). Enfin, le projet de loi prévoit de fixer par voie réglementaire le niveau minimal de dotation pour les fonds de dotation, dans la limite maximale fixée à 30 000 euros(36).
Avant de porter un regard définitif sur ce projet de loi, il convient d’attendre la fin des débats parlementaires. Il n’est donc pas trop tard pour tenter de faire évoluer le projet actuel dans un sens qui soit encore plus conforme aux intérêts du secteur associatif.
Colas AMBLARD, Directeur des publications
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°494 du 1 mars 2014 : Télécharger l’article
Formation atelier-débat ISBL CONSULTANTS du vendredi 6 juin 2014: « Secteur associatif : comment anticiper les changements découlant de la loi d’économie sociale et solidaire? », animée par Colas AMBLARD.
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Notes:
1. Sénat, projet de loi no 29 relatif à l’économie sociale et solidaire, 7 nov. 2013 ; pour une analyse du projet présenté lors du conseil des ministres du 24 juillet 2013, v. JA no 486/2013, p. 37.
2. Sauf à revoir le régime du fonds de commerce, de la location-gérance et de l’immatriculation des associations à caractère économique au registre du commerce et des sociétés.
3. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 1, I et II.
4. P. Lenancker et J.-M. Roirant, « Entreprendre autrement : l’économie sociale et solidaire », avis du CESE, janv. 2013.
5. Pour les structures organisées sous statut juridique d’association, de coopérative ou de mutuelle.
6. Sénat, projet de loi no 29, préc ., art. 1, I, 1° et art. 1, I, 3°, a) et b).
8. Ces chiffres sont issus de sources diverses dont les principales sont l’enquête CNRS-CES (V. Tchernonog – É. Archambault), les tableaux harmonisés de l’économie sociale 2009 de l’Insee, l’enquête « Vie associative 2010 » de BVA – DREES et son exploitation par L. Prouteau, Accoss Stat 2011 ainsi que diverses autres enquêtes et études.
9. « L’emploi marchand baisse modérément au premier tri- mestre 2013 », www.insee.fr.
10. L. du 1er juill. 1901 relative au contrat d’association, JO du 2.
11. V. Tchernonog, Le Paysage associatif français : mesures et évolutions, 2e éd., Éditions Juris / Dalloz, 2013, p. 176.
12. Conférence « Associations, subventions, collectivités : mode d’emploi », Paris, 27 juin 2013.
14. Selon Y. Ackermann, président du conseil général du Territoire de Belfort, « un tiers des conseils généraux ont des difficultés financières sérieuses » (conférence « Associations, subventions, collectivités : mode d’emploi », préc.).
15. C. Dilain et J.-P. Duport, « Pour une nouvelle charte des engagements réciproques entre l’État, les collectivi- tés territoriales et les associations », rapport remis à V. Fourneyron, 18 juill. 2013 ; v. JA no 484/2013, p. 9 et en p. 3 et p. 12 de ce numéro.
16. Circ. NoR PRMX1001610C du 18 janv. 2010, JO du 20 ; pour un dossier d’ensemble, v. JA no 432/2011, p. 18.
17. Pour un dossier d’ensemble, v. JA no 493/2014, p. 18.
18. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 41.
19. Le Paysage associatif français : mesures et évolutions, préc., p. 192 et s.
20. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 41 et 42.
21. La fusion-création consiste à procéder à la création d’une nouvelle association destinée à absorber l’ensemble des structures appelées à fusionner.
22. Si le législateur évoque à ce stade les trois types d’opérations de restructuration, l’article 41, alinéa 4 du projet de loi ne fait pas expressément référence à la nécessité de recourir à la rédaction d’un traité d’apport partiel d’actifs.
23. Les salariés attachés font l’objet d’un transfert automatique dans l’associa- tion absorbante ; C. trav., art. L. 1224-1.
24. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 41, III.
25. Ibid., art. 7, II, 1o et s.
32. Cette nouvelle disposition est étendue sans condition de délai aux associations ayant pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance ou la recherche scientifique.
33. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 43.
36. Sénat, projet de loi no 29, préc., art. 48.