La législation européenne des aides d’Etat exerce, en droit interne, une influence directe sur la légalité des subventions versées aux associations, particulièrement lorsque ces dernières réalisent des activités économiques, lucratives ou non (sur la notion d’activité économique, voir Lamy associations, Etude 246, n°246-7 et s.). Récemment complétée par le « paquet Almunia », ces dispositions communautaires trouvent désormais à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2018.
I. LES NOUVEAUX OBJECTIFS POURSUIVIS PAR LE PAQUET «ALMUNIA»
Composé de quatre textes (une communication, une décision, un encadrement et un règlement), le paquet « Almunia » est entré en vigueur depuis le 31 janvier 2012 (à l’exception du règlement CE n°360/2012). D’application directe en droit interne, ces dispositions sont opposables aux collectivités publiques nationales et territoriales ainsi qu’aux acteurs bénéficiaires des aides publiques.
La parution de ces textes est l’aboutissement d’un processus de consultation des Etats membres de l’Union européenne (UE) initié en 2009, dans la perspective de l’échéance du paquet « Monti-Kroes » prévue fin 2011. Suite à ce processus, deux objectifs principaux de la réforme ont été énoncés par la Commission dans sa communication de mars 2011 (Communication CE C/2011/146 final, 23 mars 2011) : d’une part, il s’agissait de clarifier les textes applicables et, d’autre part, de proposer une approche « différenciée et proportionnée aux objectifs poursuivis par l’UE » :
-Concernant l’objectif de clarification : Le champ d’application des règles européennes sur le financement des SIEG, la définition d’un SIEG, ou encore les notions d’activité économique, de mandat, de bénéfice raisonnable et de compensation ont été précisés par la Commission européenne (Communication CE 2012/C 8/02 relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, JOUE C8 du 11 janvier 2012, p.4 et s) ;
-Concernant l’objectif de promotion d’une approche différenciée et proportionnée : La Commission européenne s’est attachée à assouplir l’application des règles européennes pour les SIEG de « petite envergure et de portée locale », c’est-à-dire ceux ayant « un impact limité sur les échanges entre États membres », ainsi que pour certains services sociaux. Par ailleurs, il s’agissait de s’assurer que la charge administrative liée à la mise en œuvre de la réglementation européenne incombant aux pouvoirs publics soit proportionnée à l’impact de la mesure en cause sur la concurrence au sein du marché intérieur : « la réforme a pour objectif de garantir un cadre juridique clair, simple et efficace qui permettra aux autorités locales et nationales de se conformer plus aisément aux règles, ainsi que d’encourager la prestation de SIEG allant dans le sens d’une économie intelligente, durable et solidaire. Elle ira pleinement dans le sens de l’objectif général du contrôle des aides d’État dans l’UE, qui est de veiller à ce que les États membres ne mettent à exécution que des mesures d’aides concourant à la réalisation d’objectifs clairs d’intérêt commun, qui soient bien conçues et proportionnées et ne faussent pas la concurrence et les échanges entre États membres » (Communication CE, préc. mars 2011). En effet, la consultation des pays membres avait mis en lumière les insuffisances du paquet « Monti-Kroes », lequel s’appliquait de manière uniforme et ne tenait pas compte de la taille et des particularités des différents SIEG. Nombreuses sont les associations qui risquaient ainsi d’être concernées par la législation européenne des aides d’Etat, en dépit d’un impact concurrentiel limité voire même inexistant. Dans un souci d’efficacité, la réforme s’est donc attachée à rendre lisibles les nouvelles normes européennes et à graduer leur caractère contraignant en fonction du degré d’influence qu’aura le SIEG sur le plan concurrentiel. Pour plusieurs observateurs, le résultat obtenu demeure contrasté (voir notamment C. Amblard, « Paquet Almunia : La nouvelle donne européenne, Rev. Juris-Associations », 1er mars 2012, n° 454, pp. 35 – 38). Pour le reste, la logique retenue par le paquet « Almunia » demeure conforme à la législation précédente.
II. CONFIRMATION DE LA LOGIQUE DU PAQUET « MONTI-KROES »
L’obligation pour la collectivité publique d’engager une procédure de mandatement en présence d’un SIEG est confirmée : cette procédure de reconnaissance consiste à en confier la gestion à un opérateur économique, après avoir défini préalablement la nature et la durée des obligations de service public, l’entreprise et le territoire concernés, éventuellement, la nature des droits exclusifs ou spéciaux confiés, la description des mécanismes de compensation, les paramètres de calcul, de contrôle et de révision de celle-ci, ainsi que les modalités de récupération des éventuelles surcompensations.
Par ailleurs, la célèbre jurisprudence « Almarck » du 24 juillet 2003 (CJCE 24 juillet 2003, Aff. C-280/00) demeure toujours la référence en matière de détermination des conditions dans lesquelles une compensation liée à la gestion d’un SIEG ne constitue pas une aide d’Etat :
- Les obligations de service public de l’entreprise bénéficiaire doivent être clairement déterminées (dans le cadre de la procédure de mandatement) ;
- Les paramètres sur la base desquels sera calculée la compensation (financement public) doivent être préalablement établis « de façon claire et transparente » ;
- La compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par la mission ainsi conviée ;
- Lorsque le choix de l’opérateur économique en charge de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requise.
III. TENTATIVE DE CLARIFICATION DES NOTIONS CLÉS EN MATIÈRE DE DROIT DES AIDES D’ÉTAT
La nouvelle communication 2012/C 8/02 tente d’expliciter plusieurs notions, reprenant pour une large part la jurisprudence constante de la Cour de justice de la communauté européenne depuis 1991 (CJCE 10 décembre 1991, Aff. C-179/90, Rec. CJCE-5889, pt 27 ; CJCE 17 juillet 1997, Aff. C-242/95, Rec. CJCE I-4449, pt 53 ; CJCE 18 juin 1998, Aff. C-266/96, Rec. CJCE I-3949, pt 45)
Ainsi, elle rappelle que :
- Une entreprise est « une entité économique exerçant une activité économique quel que soit son statut » : peu importe le statut juridique de cette entité, la qualification d’entreprise est liée à l’exercice d’une activité économique de nature concurrentielle ;
- L’activité économique consiste à « offrir des biens ou des services sur un marché donné ». C’est donc l’existence d’un marché qui conditionne l’application de la réglementation européenne en matière d’aides d’État. La communication se refuse à établir une liste exhaustive d’activités économiques et non économiques, car ce qui relève de l’économique ou non dépend des spécificités des États membres. Elle se contente de définir par la négative ce qui ne relève pas d’une activité économique : les activités liées à des prérogatives de puissance publique, le système d’enseignement public général, la sécurité sociale fondée sur un principe de solidarité.
De même, il apparaît que :
- La notion de SIEG « est évolutive et dépend, entre autre chose, des besoins des citoyens, des évolutions techniques et commerciales et des préférences sociales et politiques propre à chaque Etat membre » (Communication CE C/2011/9404 Final du 20 décembre 2011, § 45). En d’autres termes, la Commission européenne laisse aux Etats membres le soin de définir les SIEG, en application du principe de subsidiarité ;
- La durée de mandatement ne peut en tout état de cause « excéder la période nécessaire à l’amortissement comptable des principaux actifs indispensables à la prestation des SIEG » ;
- Les modes de calcul de la compensation sont déterminés par référence à des « critères objectifs » ;
- Par bénéfice raisonnable, il faut entendre « le taux de rendement du capital qu’exigerait une entreprise moyenne considérant l’opportunité de fournir un SIEG pendant toute la durée du mandat en tenant compte du niveau de risque » ; le taux de rendement du risque est, quant à lui, défini comme « le taux de rendement interne (TRI) que l’entreprise obtient sur la durée de vie du projet, c’est-à-dire le ration TRI/flux de trésorerie lié au contrat » ;
IV. EXEMPTION DE NOTIFICATION POUR LES SERVICES SOCIAUX
La décision 2012/21/UE relative à l’application de l’article 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (paragraphe 2, JOUE L7 du 11 janvier 2012, p.3 et s.) définit les conditions à partir desquelles une aide d’État ne sera pas soumise à l’obligation de déclaration préalable à la Commission européenne. En définitive, certaines aides pourront être présumées « euro – compatibles », sous réserve du respect des obligations imparties en matière de mandatement du SIEG. Respectant à la lettre les préconisations qu’avait formulé, en 2010, le rapport de Mario Monti intitulé « Une nouvelle stratégie pour le marché intérieur » (M. Monti, « Une nouvelle stratégie pour le marché intérieur », rapport au président de la Commission européenne, 9 mai 2010), cette décision intègrent deux réformes majeures :
-L’extension du champ de l’exemption de notification : certaines catégories de SIEG sont désormais exemptées de l’obligation supportée par les Etats de déclarer les compensations de services publics accordées à la Commission Européenne. Sont ainsi concernés, tous les services sociaux quel que soit le montant de la compensation perçue. Ces services doivent toutefois répondre « à des besoins sociaux dans le domaine de la santé et des soins de longue durée, de l’aide à l’enfance, de l’accès au marché du travail et de la réinsertion sur ce dernier, du logement social, ainsi que de l’aide aux groupes vulnérables et de leur inclusion sociale ». Cette extension du champ de l’exemption constitue l’avancée majeure du paquet « Almunia », dans la mesure où seuls le logement social et les hôpitaux publics bénéficiaient de l’exemption totale depuis 2005. Ce point de réforme répond ainsi à une demande constante d’un certains nombre d’Etats membres et d’acteurs de ces secteurs d’activité afin d’éviter l’amalgame avec d’autres activités économiques. Reste désormais à en définir précisément le contenu… ;
-L’abaissement du plafond d’application de la décision : Initialement, les Etats membres devaient notifier à la Commission toute aide publique dès lors qu’elle dépassait le plafond annuel de 30 millions d’euros par an et que le chiffre d’affaires de l’opérateur économique était supérieur au seuil de 100 millions d’euros. Sur ce plan, la réforme durcit les règles applicables dans la mesure où la décision fait passer son plafond d’application à 15 millions d’euros, même s’il ne fait plus référence au seuil de chiffre d’affaires. Par ailleurs, la Commission précise que plusieurs entités juridiques ayant entre elles des liens fonctionnels, économiques et organiques, au-delà des participations de contrôle propres aux sociétés de capitaux, pourront être considérées comme n’en formant qu’une, notamment dans l’appréciation de ce nouveau seuil. Tous les deux ans, les Etats membres devront transmettre un rapport sur la mise en œuvre de cette nouvelle règle. D’ores et déjà un certain nombre d’entre eux ont d’ores émis des réserves s’agissant de cette nouvelle mesure en indiquant « qu’elle ne va pas dans le sens d’une simplification des règles, d’autant qu’elle n’a été précédée d’aucune mesure d’impact » (Courrier adressé au DG concurrence le 16 no¬vembre 2011 par la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Espagne, et la Hongrie relatif à la révision du paquet » Monti-Kroes« ). Enfin, la durée du mandat relatif aux SIEG pour entrer dans le périmètre de la décision a été limitée à dix ans.
V. RENFORCEMENT DU CONTRÔLE COMMUNAUTAIRE POUR LES SIEG COMMERCIAUX
L’encadrement 2012/C 8/03 de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public précise, par ailleurs, que les compensations de SIEG non couvertes par la décision 2012/21/UE devront être notifiées à la Commission et pourront être déclarées compatibles avec le marché intérieur si elles satisfont préalablement à certains critères.
- L’aide octroyée doit concerner un véritable SIEG : sur ce point, il convient de souligner que le principe de subsidiarité des Etats membres est désormais contrebalancé par la vérification de « l’erreur manifeste d’appréciation » susceptibles d’être à tout moment caractérisée par l’autorité de Bruxelles ;
- Un mandat préalable doit préciser les obligations de service public et les méthodes de calcul de la compensation ;
- Les règles de l’UE en matière de marchés publics, de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent être respectées.
VI. AUGMENTATION DU PLAFOND DE MINIMIS POUR LES « PETITES » COMPENSATIONS
Enfin, dernier élément important du paquet « Almunia », qui vient de faire l’objet du règlement CE n°360/2012 du 25 avril 2012 relatif au seuil de minimis (JOUE du 26) : les « petites » compensations dont le montant est inférieur à 500 000 euros (au lieu de 200.000 euros en application du régime précédent) sur trois exercices budgétaires ne relèvent pas du contrôle européen des aides d’État. Par principe, ces aides sont considérées comme n’affectant pas les échanges entre Etats membres et/ou ne faussant pas ou ne menaçant pas de fausser la concurrence.
Toutes les aides, quelle qu’en soit l’origine, doivent être pris en compte y compris celles venant de l’Union dès lors qu’elles sont octroyées pour financer un SIEG. Celles dépassant le plafond de minimis ne peuvent être fractionnées en tranches plus petites pour entrer dans le champ d’application du présent règlement et ne doivent être cumulées avec aucune autre compensation liée au même service, que celle-ci constitue ou non une aide d’Etat en vertu de l’arrêt Altmark ou une aide d’Etat compatible avec le marché intérieur en vertu de la décision 2012/21/UE ou de la communication de la Commission concernant l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’Etat sous forme de compensations de service public (JOUE du 11 janvier 2012, p.15).
Dans une optique de transparence, d’égalité de traitement et d’application correcte du plafond de minimis, tous les Etats membres doivent avoir recours à la même méthode de calcul.
Pour les aides octroyées autrement que sous la forme de subvention, le montant doit être converti en équivalent-subvention brut. Cela ne concerne que les aides de minimis transparente, c’est-à-dire celles dont il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut : tel est le cas pour des subventions, des bonifications d’intérêts ou des exonérations fiscales plafonnées.
Le règlement précise que ce plafond spécifique de 500.000 euros ne s’applique pas aux aides octroyées aux entreprises en difficulté.
En application du principe de coopération (Traité de l’UE, art. 4, par. III), les Etats membres sont tenus de faciliter l’accomplissement de la mission de veille de la CE, en établissant les outils nécessaires pour faire en sorte que le montant total des aides de minimis octroyées à une même entreprise pour la prestation de SIEG n’excède pas le plafond général admissible. Lorsqu’un Etat membre envisage d’octroyer une aide de minimis à une entreprise, il l’informe par écrit du montant potentiel de l’aide exprimé en équivalent-subvention brut, du SIEG pour lequel elle est octroyée et du caractère de minimis de l’aide, en faisant explicitement référence au règlement n°360/2012 et en citant son titre et sa référence de publication au Journal Officiel de l’UE.
Avant l’octroi de l’aide, l’Etat membre concerné doit obtenir de l’entreprise une déclaration concernant les autres aides de minimis qu’elle a reçues au cours de l’exercice fiscal concerné et des deux exercices fiscaux précédents.
Le respect de ce plafond doit pouvoir être vérifié par l’Etat membre au moyen d’un registre central. Les dossiers concernant les aides de minimis individuelles doivent être conservés pendant dix exercices fiscaux à compter de la date d’octroi des aides.
Sur demande écrite de la CE, l’Etat membre concerné devra lui communiquer, dans un délai de 20 jours ouvrables ou tout autre délai plus long fixé dans cette demande, toutes les informations qu’elle considère comme nécessaires pour lui permettre de déterminer si les conditions du règlement n°360/2012 ont été respectées.
En augmentant le seuil de minimis d’une manière significative – certains acteurs, tel que le Comité des régions considèrent que celui-ci demeure encore insuffisant et proposent un rehaussement à 800.000 euros – ce nouveau règlement est déterminant pour les associations et les financeurs publics en ce qu’il soustrait du contrôle européen une partie des aides publiques dont le montant se situe en deçà du maximum requis. En attendant, le seuil actuel de minimis devrait permettre à de nombreuses associations de continuer à être subventionnées sans avoir à se préoccuper de règles communautaires bien loin de leurs préoccupations quotidiennes.
Colas Amblard
Directeur des publications
Cet éditorial a fait l’objet d’une publication aux éditions Lamy Associations dans le bulletin d’actualités de juin 2012 (n°205) : voir ici
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