De nombreuses associations sont actuellement confrontées à de lourdes difficultés économiques inhérentes à la crise sanitaire du Covid-19 : annulation d’évènements pour les associations culturelles, mise en retrait de certaines auxiliaires de vie sociale du côté des ménages bénéficiaires, impossibilité de mise en situation de travail pour les personnes « en situation de handicaps », mise au chômage pour les animateurs sportifs, etc. Ces difficultés économiques sont le résultat de la nécessaire période de confinement imposée par la pandémie, et générée par la mise en « distanciation sociale » de la population. Cette distanciation dite « sociale » est d’autant plus importante à comprendre, voire à préciser, que la dimension de proximité (sociale et géographique) est partie intégrante de leur modèle économique de production de solidarité et de lien social.

 

Ainsi, productrices de solidarité et de lien social, elles sont opposées aussi à l’impérative  « distanciation sociale » imposée par les décisions politiques dans le cadre de la gestion de la santé publique face à la pandémie Covid-19. Cette situation les contraint à ne plus pouvoir agir autant qu’il serait nécessaire pour produire de la solidarité et du lien social, donc de faire leur métier d’utilité sociale[1] Colas Amblard : Utilité sociale : l’avantage compétitif des associations  Éditorial  Institut ISBL février 2020 en particulier auprès de celles et ceux qui en auraient, actuellement, le plus besoin. Mais en quoi consiste cette « distanciation sociale » ?

Après avoir rappelé ce que traduit l’appellation « distanciation sociale » au regard des Sciences Humaines et Sociales, nous nous intéresserons à l’utilité sociale de la production de lien social et de solidarité en temps de crise pandémique.

 

« Distanciation sociale » : une autre manière d’appréhender l’usage (contraint) de l’espace !

Nombre de voix se sont élevées sur les réseaux sociaux au sujet du mauvais usage de la « distanciation sociale » pour traduire la « distanciation physique » utile, dans le contexte pandémique auquel nous sommes confrontés. En employant l’expression « distanciation sociale », les politiques ont voulu exprimer une coïncidence entre une distance physique et/ou sociale, telle qu’on la trouve dans les articles anglo-saxons. Mais, ce n’est pas aussi trivial qu’il n’y paraît. En effet, au regard de la Sociologie, la « distance sociale » correspond à une distance physique réelle ou perçue qui sépare les positions sociales entre des individus ou des groupes sociaux, de cultures, de religions, de confessions, différentes (Boudon et al.1993, p.74)[2]Boudon R., Besnard Ph. Cherkaoui M.,Lécuyer B-P., 1993, Dictionnaire de la sociologie.Paris, Éditions Larousse.. Ce qui n’est pas tout à fait le cas. En psychologie, cette « distance sociale » représente un « degré de compréhension sympathique » entre des individus ou des groupes sociaux dont les résultats sont soit de l’amitié, soit de l’inimitié, pouvant aboutir à des relations inclusives dans le premier cas, et d’exclusion dans le second cas. Le cadre épidémique traduit une certaine forme d’inimitié envers le virus transmissible entre individus en interaction sociale. Dès lors, reconsidérer l’usage de l’espace par les individus en société interroge la question des libertés individuelles vis-à-vis de celui-ci et appelle à une sollicitation critique de  la « dimension cachée » théorisée par les travaux de E.T.Hall (1966, 1971)[3]Hall E.T., 1966, The Hidden Dimension. New York, Doubleday & Co. ; Hall.E.T., 1971, La dimension cachée. Paris, Editions du Seuil..

 

Cet anthropologue s’est appliqué à comprendre, sous le seul angle des relations interculturelles, « la façon dont l’homme utilise l’espace, l’espace qu’il maintient entre lui et les autres, et celui qu’il construit autour de soi, à la maison ou au bureau » (Hall 1971, p.9). Il est bien évident que cette approche ne convient pas en contexte pandémique puisque l’utilisation de l’espace n’est pat choisie mais, est contrainte ! Mais, ce qui est intéressant à souligner, c’est que ces mesures de santé publique ont « enfermé » les individus dans leur propre territorialité domestique non pas pour se protéger d’autrui mais, contre le virus par risque de contagion. Une nouvelle forme de proxémie s’est imposée : la proxémie d’oïkos[4]d’oïkos : en grec, le foyer, la maison., soit : un autre usage de son propre espace de vie sans que celui-ci ne soit le résultat d’un processus culturel spécifique. Par conséquent, en rejoignant la transposition en géographie, la prise de distance dont il est question est une « distanciation spatiale ».

 

La distanciation spatiale peut-être qualifiée soit de « distanciation extrême », soit de « distanciation minimale » (Lussault 2003, p.271)[5]Lévy J., Lussault. M (dir.), 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris, Éditions Belin.. La distanciation spatiale traduite dans la proxémie d’oïkos est « extrême » en contexte pandémique de type Covid-19, aboutissant à une « insularité du foyer ». Mais, la distanciation spatiale des associations, dans ce même contexte épidémique, se doit d’être minimale aboutissant à un « coprésence ».

 

La « dimension cachée » de la distanciation spatiale des associations : la nécessaire co-présence.

La dimension de « coprésence » portée par le modèle interventionniste des associations conduit à mobiliser ici les travaux d’Elias (1993)[6]Elias N., 1993, Engagement et distanciation. Paris, Éditions Fayard.. En effet, ce ne sont pas les associations elles-mêmes en tant que personnes morales qui se trouvent concernées mais, celles et ceux qui les animent au quotidien : salariés et bénévoles. En effet, Elias convoque l’engagement, qui, selon lui, consiste en un investissement de l’affect et de la subjectivité dans un acte dont on ne peut pas se déprendre par la distanciation. Pour autant, le degré d’engagement en contexte pandémique se trouve lui-même en crise. Si les associations intervenant dans le sanitaire poursuivent une distanciation spatiale minimale en ce qui concernent les soins à domicile qu’elles offrent, leur engagement de produire de la solidarité et du lien en proxémie oîkos, n’est pas profondément bousculé hormis les gestes barrières et les protections portées. Il peut y avoir, cependant altération de la relation sociale.

 

En revanche, la coprésence des aidants naturels, bénévoles et/ou familles, est elle devenue problématique. En effet, la distanciation spatiale de précaution correspond à la distance sociale  « anthropologique » – mode proche (1,2 à 2,1 mètre(s)) – qui, dans le cas pandémique , peut devenir anxiogène car, les individus perdent tous contact avec leur propre groupe social de base : la famille, et, d’évolution : les collègues. C’est « une distance psychologique au-delà de laquelle l’anxiété commence à se développer » (Hall 1971, p.29) et qui, d’une part, fait renoncer un certain nombre de bénévoles à poursuivre leur action de solidarité sociale (distribution de repas, visite à domicile de personnes âgées et/ou handicapées), et, d’autre part, amène certains professionnels à faire jouer leur droit de retrait ou à les éloigner des bénéficiaires, ces derniers craignant l’importation du virus en leur foyer, pour ce qui est de l’aide à domicile en particulier.

 

Par conséquent, les associations produisant de la solidarité sociale et du lien social se trouve aujourd’hui face à un double défi : palier la crise économique qui les placent en distanciation spatiale de leurs bénéficiaires (solidarités sanitaires et sociales) ou de leurs clients (associations culturelles), et, trouver les moyens techniques et sanitaires de penser une nouvelle forme de coprésence (distanciation spatiale minimale) qui leur permette de renforcer leur utilité sociale au même titre que les professionnels de santé, les éboueurs, les techniciens et techniciennes de surface, les petits commerçants, les agriculteurs, entre autres.

 

De la question spatiale « ET » sociale !

Convoquons ici Davezies [7]Davezies L., 2004, « De la question sociale à la question spatiale », Lien social et Politiques – RIAC, n°52, pp.47-53.: « Un nombre croissant de phénomènes ne sont plus évoqués aujourd’hui seulement sous leur angle social, mais également sous celui de leur dimension spatiale. Pourtant, en dépit de ce que l’on pourrait penser, la traduction des questions traditionnellement sociales en termes spatiaux ne procède pas d’un simple changement de dimension ou d’angle de vue mais plutôt d’une véritable mutation de la nature de la question » (Davezies 2004, p.47). La crise sanitaire du Covid-19 invite les sciences humaines et sociales à participer à la mise en compréhension des distanciations spatiales à laquelle nous sommes, et nous allons continuer à être, opposés.

 

« Territoralité », « territorialisation », « territoires », sont autant de concepts spatiaux que les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), parmi lesquels les associations, ont à réinvestir pour repenser la coprésence de leur engagement et de leur modèle socio-économique. En effet, il ne s’agit plus d’une « simple projection au sol de phénomènes socio-économiques » (Davezies 2004, p.47), mais bien de la capacité à traiter de manière conjointe la question spatiale ET la question sociale.

Soutenir le modèle associatif, c’est aussi l’accompagner, en lui facilitant l’accès aux moyens humains et financiers[8]Par ailleurs le fonds de solidarité et  le dispositif Covid – 19 des Prêts Garantis par l’Etat (PGE), excluent toute association ou fondation non employeuse pour faire advenir un « nouveau » modèle de coprésence …

 

 

Pascal GLÉMAIN, 

Maître de Conférences-HDR Hors Classe en sciences de Gestion-management – Docteur-HDR en ESS – Université de Rennes 2

 

 

En savoir plus : 

Fonds de solidarité pour les associations

Mise en œuvre du dispositif de Prêts Garantis par l’Etat (PGE)

LIEN ACTUALISÉ : Les mesures du gouvernement en faveur des entreprises de l’Economie sociale et solidaire (ESS) – Situation Covid-19

Pascal Glémain

References

References
1  Colas Amblard : Utilité sociale : l’avantage compétitif des associations  Éditorial  Institut ISBL février 2020
2 Boudon R., Besnard Ph. Cherkaoui M.,Lécuyer B-P., 1993, Dictionnaire de la sociologie.Paris, Éditions Larousse.
3 Hall E.T., 1966, The Hidden Dimension. New York, Doubleday & Co. ; Hall.E.T., 1971, La dimension cachée. Paris, Editions du Seuil.
4 d’oïkos : en grec, le foyer, la maison.
5 Lévy J., Lussault. M (dir.), 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris, Éditions Belin.
6 Elias N., 1993, Engagement et distanciation. Paris, Éditions Fayard.
7 Davezies L., 2004, « De la question sociale à la question spatiale », Lien social et Politiques – RIAC, n°52, pp.47-53.
8 Par ailleurs le fonds de solidarité et  le dispositif Covid – 19 des Prêts Garantis par l’Etat (PGE), excluent toute association ou fondation non employeuse





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