Le marché de la seconde main a fait son entrée dans l’esprit des consommateurs français[1]https://theconversation.com/recyclage-les-entreprises-sociales-et-solidaires-face-a-un-marche-de-plus-en-plus-concurrentiel-217205, devenus plus pro-environnementaux : friperie, plateforme de vente de vêtements, ressourceries, etc. Ce changement de comportement se retrouve également dans l’achat sur label : Agriculture Biologique (AB), Haute Qualité Environnementale (HQE), Max Havelaar, entre autres. Au point où « La part des Français déclarant avoir, au cours du dernier mois, acheté un ou plusieurs produits portant un label écologique est passée de 43 % en 2010 à 59 % en 2020 »[2]Scribe Ch., Calatayud Ph., Gauche M., Nauroy F., 2021, p. 18 Indicateurs clés pour le suivi de l’économie circulaire. Éditions 2021. Paris, Editions DATALAB-SDES, Ministère de la Transition … Continue reading. Cette bifurcation est soutenue par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 (art.70) qui a abouti à l’article L.110-1 du Code de l’environnement, modifié par l’article 2 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 10 février 2020. L’idée consiste à faire transition « vers une économie circulaire (qui) vise à atteindre une empreinte écologique neutre dans le cadre du respect des limites planétaires et à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits, et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets ». En résumé, un modèle économique qui contienne l’empreinte écologique des activités humaines sur les autres vivants et la planète : le Capitalocène !

En même temps, les opportunités d’affaires sous couvert de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), attirent de plus en plus de sociétés commerciales. Quelles sont les conséquences sur les organisations d’ESS qui en France, depuis les années 1990, ont développé des activités de collecte, de réemploi et de revalorisation des « res delictae »[3]Glémain P., 2013, « Économie des res delictae et gestion solidaire des déchets. Les écocyleries, des entreprises d’appropriateurs solidaires », Management & Avenir, 2013/7, n°65, … Continue reading, dans le cadre d’un modèle économique solidaire respectueux de l’environnement et offrant de nouvelles perspectives pour les personnes privées durablement d’emploi (PPDE), pour reprendre l’appellation de l’expérimentation TZCLD ?

 

Un écosystème de gestion des déchets devenu concurrentiel …

Le contexte législatif du Code de l’environnement et la mise en place des écotaxes avec une incitation à développer un marché secondaire des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (D3E) basé sur l’un des trois « R » ou sur une combinaison des « 3R », défini(s) ainsi (Scribe et al., 2021)  :

  • le « Recyclage » et valorisation des déchets : toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins. Les opérations de valorisation énergétique des déchets, celles relatives à la conversion des déchets en combustible et les opérations de remblaiement ne sont pas qualifiées d’opérations de recyclage.
  • le « Réemploi » : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus.
  • la « Réutilisation » : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau.

En France, l’Union pour le Réemploi Solidaire caractérise les activités de collectage, de valorisation et de filiarisation[4]Émission B-SMART: https://www.bsmart.fr/video/23969-smart-impact-10-avril-2024. Cette Union rassemble Emmaüs France, le Réseau National des Ressourceries-Recycleries, l’Heureux Cyclage, le réseau ENVIE et le COORACE. Il en appelle à la mise en place des Assises Nationales du Réemploi. Selon l’Observatoire National des Ressourceries et Recycleries (2023)[5]Réseau National des Ressourceries-Recycleries (RNRR), 2023, Rapport de l’Observatoire des RR-Chiffres de 2021., le réseau national comptait 205 adhérents en 2021 dont 158 structures en activités. Depuis les années 1990, ces organisations d’ESS ont innové dans le cadre d’un partenariat avec les collectivités locales pour accéder aux déchetteries afin d’y collecter une partie des encombrants qui peuvent connaître une seconde vie. Elles ont également été les premières à proposer des boutiques solidaires afin non seulement de recevoir les dons des particuliers mais, également en proposant à « juste prix » les objets, livres, équipements divers et vêtements, à destination des ménages à faible niveau de vie. Mais, avec la mode du vintage et des objets recyclés, ce qui était une activité économique réservée aux personnes éloignées de l’emploi et souvent en difficultés socio-économique, résidant loin des métropoles et des centres-villes, est devenue une opportunité d’affaires attirant les sociétés commerciales sur ce marché de la seconde main, du réemploi et du recyclage. Montsaingeon (2017)[6]Montsaingeon B., 2017, Homo Detritus. Critique de la société des déchets. Paris, éditions Du Seuil. souligne d’ailleurs : « après avoir enfoui les déchets, la pratique est devenue celle de leur réduction mais surtout de leur recyclage et de leur réutilisation. Avec l’économie circulaire, l’idéal d’un monde sans déchets, sans rebus, a créé un certain marché de la vertu écologique ».

Les organisations d’ESS se trouvent sur un marché concurrentiel qui fragilise leurs activités économiques de collectage, de tri, de revalorisation par le nettoyage ou upcylcing, ou de réemploi via la filière de production d’isolant et peuvent se retrouver à nouveau en situation d’exclusion socio-économique. En outre, les biens et objets qui leur sont donnés en dépôt ou disponibles dans les déchetterie sont de moins bonne qualité, et par conséquent plus difficiles à valoriser. Face à ce nouveau marché de la vertu du verdissement et de l’éthique des affaires (capitalisme moral), elles doivent à nouveau innover !

 

… qui innove face à une multiplication des acteurs privés lucratifs de l’économie circulaire !

Le textile, selon les chiffres 2023 du Réseau National des Ressourceries-Recycleries, représente 23 % du total des déchets collectés et 26 % du total des ventes des biens revalorisés. L’activité Textiles-Linge de Maison-Chaussures (TLC) repose sur trois niveaux selon le Réseau National des Ressourceries-Recycleries[7]2023, p.77 (RNRR) : la valorisation de niveau 1 (tri, nettoyage) dans lequel 87 % des entreprises sociales se sont spécialisées ; la valorisation de niveau 2 (petites réparations) qui concerne 6 % des organisations d’ESS ; la valorisation de niveau 3 (valorisation créative, upcycling) pour lequel 12 % des organisations d’ESS sont investies. La justification de cette ventilation est donnée par l’Observatoire : «les Ressourceries/Recycleries se positionnent en très grande majorité sur une valorisation textile de niveau 1. La réparation d’un vêtement n’est que très peu rentable, sauf sur des vêtements de marque. Ainsi, le vêtement en bon état peut être réemployé, le vêtement un peu sale ou qui nécessite une reprise est très rarement remis en état pour être réemployé, il est la plupart du temps envoyé dans la filière TLC (au mieux pour être recyclé). Aussi, si l’on veut accroître les taux de réemploi, il est absolument nécessaire que le coût financier des ressources humaines sur la valorisation des textiles soit pris en compte. Sur la manière d’accroître le flux de TLC valorisés, les structures ont relevé, comme pour la valorisation des Déchets d’Eléments d’Ameublement (DEA) ménagers, la nécessité de disposer d’espace supplémentaire, de ressources humaines dédiées et de moyens matériels suffisants ».

Les défis des organisations d’ESS concernent à la fois :

  • leur structure des coûts dans les activités liées aux textiles de moindre qualité en tentant d’améliorer leurs compétences de tri des fibres pour développer de nouvelles opportunités de production d’isolants ;
  • leurs ressources via les soutiens financiers publics au service du réemploi dans l’activité TLC ;
  • leur stratégie partenariale dans le cadre de la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) selon l’éco-organisme Refashion.

La logique managériale sociétale des organisations, les conduit à expérimenter de nouvelles niches portant utilité sociale. C’est ainsi qu’en 2015, ENVIE en Anjou – membre du réseau national ENVIE – crée ENVIE AUTONOMIE pour développer une offre solidaire de matériel médical. Lauréat du « French’Impact » en 2018, il est devenu Société Commerciale d’intérêt Collectif Nationale (SCIC.N) ENVIE autonomie pour développer la collecte, la revalorisation des matériels et équipements médicaux inutilisés afin de les remettre à disposition à prix solidaire tout en respectant des conformités réglementaires.

L’élargissement du périmètre de l’ESS aux sociétés commerciales sous agrément « ESUS » lors de la Loi ESS n’était peut-être pas nécessaire. Car, les entreprises de marché qui interviennent en économie solidaire savent bien, à partir d’innovations incrémentales, développer un modèle d’affaires. En revanche, les organisations d’ESS œuvrent en économie de projet et cherchent en permanence à soutenir une innovation de rupture. Elles ont autant de la suite dans les idées qu’elles ont des déchets !

 

 

 

Pascal GLÉMAIN, Maître de conférences (HC) – HDR en Sciences de Gestion-Management, Université Rennes 2, chercheur à ESO-Rennes UMR6590 du CNRS

 

 

Promouvoir le réemploi solidaire face au secteur lucratif

 

 

 

 

 

 

En savoir plus :

Émission B-SMART: https://www.bsmart.fr/video/23969-smart-impact-10-avril-2024

Le Printemps (Européen ?) du Réemploi Solidaire, Rodérick Egal, éditorial ISBL magazine avril 2024

Fiscalité : éléments stratégiques des modèles socio-économiques associatifs, Colas Amblard, Institut ISBL mars 2024

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Pascal Glémain

References

References
1 https://theconversation.com/recyclage-les-entreprises-sociales-et-solidaires-face-a-un-marche-de-plus-en-plus-concurrentiel-217205
2 Scribe Ch., Calatayud Ph., Gauche M., Nauroy F., 2021, p. 18 Indicateurs clés pour le suivi de l’économie circulaire. Éditions 2021. Paris, Editions DATALAB-SDES, Ministère de la Transition Ecologique.
3 Glémain P., 2013, « Économie des res delictae et gestion solidaire des déchets. Les écocyleries, des entreprises d’appropriateurs solidaires », Management & Avenir, 2013/7, n°65, p.154-168.
4 Émission B-SMART: https://www.bsmart.fr/video/23969-smart-impact-10-avril-2024
5 Réseau National des Ressourceries-Recycleries (RNRR), 2023, Rapport de l’Observatoire des RR-Chiffres de 2021.
6 Montsaingeon B., 2017, Homo Detritus. Critique de la société des déchets. Paris, éditions Du Seuil.
7 2023, p.77





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