A la lecture de la lettre de mission du Député VERCAMER, la politique volontariste du Gouvernement visant à promouvoir l’Economie sociale et Solidaire (ESS) ne peut qu’être saluée.
Incontestablement, elle devrait répondre aux attentes des associations, coopératives et mutuelles relayées par leurs instances représentatives.
Certes, les délais imposés pour réaliser de tels objectifs nous laissent quelque peu rêveur. D’autant plus que ce soudain volontarisme politique apparaît en totale contradiction avec la situation du moment, laquelle se caractérise avant tout par la mise en oeuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) entraînant des coupes budgétaires importantes pour le secteur associatif notamment (baisse des subventions) et la publication d’une circulaire du 18 janvier 2010 (1), actuellement en proie à une vive contestation de la part de certains milieux associatifs.
Mais admettons.
Que faut-il retenir de ce rapport ?
– En premier lieu, il confirme l’importance du poids économique d’un secteur d’ESS (2) résistant plutôt mieux à la crise actuelle que le secteur privé classique (3).
Il souligne que les emplois liés à ce secteur d’ESS possèdent des caractéristiques qui tranchent avec le secteur privé : le taux de féminisation y est élevé (4) et les salariés généralement plus âgés (5). Toutefois, le rapport souligne qu’en moyenne le niveau des rémunérations est plus faible que celui du secteur privé et que la précarisation des emplois est en assez forte augmentation (6).
Enfin, l’état des lieux de l’ESS confirme les limites des données disponibles en matière de connaissance et de mesure d’« un secteur pas connu et donc pas reconnu » (en dépit du formidable travail statistique accompli par l’INSEE, les CRESS, le dispositif CLAP et l’ADDES depuis de nombreuses années déjà). Cependant, au niveau européen, la mission VERCAMER fait état d’un certain nombre d’initiatives permettant aux Etats membres « d’améliorer la visibilité des institutions sans but lucratif et des organisations de l’économie sociale » (7).
– En second lieu, le rapport fait trois grands constats :
- Premier constat : l’existence d’une grande diversité de la famille de l’ESS (sectorielle, taille et préoccupations, dépendance à l’égard des financements, formes statutaires…) : Incontestablement, cet « éclatement » des composantes de l’ESS nuit à son émergence en tant que « force économique ». Plus positif, le rapport met cependant l’accent sur la naissance d’un certain nombre d’éléments majeurs d’unité, tels que la manière d’entreprendre et la finalité (sociale) poursuivie, ou encore le fort ancrage de l’action de proximité de l’ESS dans les territoires.
- Deuxième constat : une aspiration du secteur de l’ESS à ce que ses spécificités et ses préoccupations soient mieux prises en compte par les pouvoirs publics : Les différentes composantes de l’ESS « ont globalement le sentiment de ne pas être suffisamment aidées et accompagnées par les pouvoirs publics » générant « une certaine frustration » et « une forte attente envers l’Etat et les pouvoirs publics ». Elles revendiquent un besoin que ceux-ci les aident à préserver leurs spécificités et les reconnaissent comme d« es acteurs à part entière de la vie économique ». Cela passe par des réponses concrètes apportées en matière de financement, d’assistance accrue en termes d’expertise, de soutien et d’accompagnement à l’élaboration et la mise en oeuvre de projets conçus dans la durée, d’aide et d’appui à la formation des bénévoles et de reconnaissance des instances représentatives, notamment dans le domaine de la négociation collective et de la concertation.
Le rapport fait également état d’un certain nombre d’inquiétudes qui se sont exprimées notamment au regard de la capacité des financeurs territoriaux à mettre en oeuvre sur le terrain les mesures annoncées par la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 et de la montée en puissance des réglementations européennes et internationales en matière de droit de la concurrence.
- Troisième constat : des atouts et des potentialités réelles de l’ESS insuffisamment pris en compte en appelant à des approches renouvelées : le secteur de l’ESS considère qu’il constitue « un modèle alternatif qui pourrait permettre de surmonter la crise » et constituer « un nouveau modèle de développement à concevoir pour les décennies à venir ». Sur ce dernier point, le rapport « n’entend pas se prononcer » (8), se contentant de prendre acte des évolutions que connaît l’ESS dans notre pays. Toutefois, les acteurs de l’ESS considèrent que les atouts et potentialités de l’ESS sont « insuffisamment pris en compte par l’Etat et les pouvoirs publics » en général et dénoncent « la dispersion de l’action publique » et « l’absence de concertation » avec ce secteur.
Des constats partagés par beaucoup depuis pas mal de temps déjà.
Qu’en est-il des propositions formulées concrètement ?
La plupart des 50 propositions formulées doivent incontestablement permettre de répondre aux aspirations légitimes des différents acteurs de l’ESS. A ce titre, il convient de citer, à titre d’exemple, celles visant à combler les lacunes statistiques précédemment évoquées par l’intermédiaire des travaux réalisés par les CRESS ou encore l’encouragement du recours à la pratique du bilan sociétal, l’augmentation du plafond maximum de réduction d’IS pour les PME désireuses d’investir en matière de mécénat (actuellement limité à 5 pour mille du chiffre d’affaires de l’entreprise), la promotion de l’enseignement et de la formation à l’ES au sein de l’Education nationale, ou encore la création du statut d’association européenne… La contractualisation dans les CPO du principe de non reprise des subventions non entièrement utilisées nécessitera un aménagement législatif préalable. La création d’une fondation dédiée à l’ESS nécessite la réunion de moyens mis à disposition. Favoriser le développement de titres associatifs pose incontestablement des questions de fond mais se révèle être un bon moyens de renforcer les fonds propres de ces entités sans but lucratif.
Concernant spécifiquement le projet de loi relatif aux opérations de fusion et d’apport partiel d’actifs contenu en fin de rapport ?
La proposition de loi proposant d’apporter aux opérations de fusion, scission et apports partiels d’actifs et cessations une sécurité juridique supplémentaire est manifestement incomplète. Le rapport traduit, là, une absence de connaissance en la matière.
En effet, le souci bien légitime de renforcer l’ESS par la possibilité offerte à ses acteurs de se regrouper est partagé. Toutefois, le projet de loi versé à l’appui du rapport ne nous semble pas être de nature à régler l’ensemble des
difficultés rencontrées à l’occasion de la mise en oeuvre de ces opérations.
Certes, il impose un degré d’information des tiers n’existant pas jusque là en organisant une obligation de publication de ces opérations dans un journal d’annonces légales. Lorsque l’association absorbée sera bénéficiaire de subventions publiques ou d’une habilitation, d’une autorisation administrative ou d’un agrément, le projet de loi soumet l’opération à une autorisation administrative préalable (9). Mais, pour la plupart, les dispositions contenues dans le projet de loi ne fait que confirmer la pratique existante (définition de la fusion et apports partiels d’actifs, effets juridiques), tandis que le recours à un commissaire aux apports ou à la fusion est d’ores et déjà habituellement pratiqué en application (subsidiaire) du droit des sociétés (certes, le rapport propose de rendre obligatoire ce recours à partir d’un certain seuil de valeur totale de l’ensemble des apports).
Mais, force est de constater que les mesures annoncées ne permettent pas de solutionner l’ensemble des problématiques que pose ce type d’opérations de restructuration :
– En effet, le projet de loi est annoncé comme étant destiné à sécuriser les contrats de travail concluent par l’association : or, l’article L 1224-1 du code du travail permet déjà de s’assurer que ces contrats seront bien maintenus dans l’association absorbante. Sur ce point, la clarification des notions de fusion et d’apport partiel d’actifs ne devrait pas apporter grand chose ;
– Par ailleurs, il est regrettable que le projet de loi n’apporte aucune clarification du régime fiscal applicable à ce type d’opérations de restructuration dans la mesure où le bénéfice du régime de faveur « mère – fille » (sur le fondement de l’article 210- A du CGI) n’apparaît pas garanti à coup sûr.
Concernant la proposition de labellisation privée :
Enfin, s’agissant des propositions de labellisation destinées à compenser le « déficit de visibilité externe des entreprises de l’ESS » – vieux serpent de mer – cette piste s’annonce plus aventureuse, en particulier si ce processus de dépend d’organismes extérieurs, c’est-à-dire autres que les acteurs de l’ESS eux-mêmes.
Ainsi, on le voit, le Rapport VERCAMER se caractérise par un contenu extrêmement riche et relativement novateur.
Il ne reste plus qu’à le mettre en oeuvre.
Une conclusion sensiblement identique que nous avions déjà eu l’occasion de faire à la sortie des rapports parlementaires DECOOL en (mai 2005), LANGLAIS (juin 2008) et MORANGE (octobre 2008)…
Directeur des publications ISBL consultants
En savoir plus :
Rapport VERCAMER sur l’Economie Sociale et Solidaire « L’Economie Sociale et Solidaire, entreprendre autrement pour la croissance et l’emploi », avril 2010 : Consultez
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS du 19/11/2010 Restructuration et rapprochement des associations (aspects juridiques et fiscaux) Intervenant : Colas AMBLARD, Docteur en droit, Avocat associé, Société d’avocats NPS CONSULTING, chargé d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon III (Licence Pro Droit et gestion de l’entreprise associative) : pour s’inscrire.
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS du 17/12/2010 Restructuration des associations (aspects sociaux) Intervenant : Philippe RICHARD, Avocat associé, société d’avocats CAPSTAN, chargé d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon III (Licence Pro Droit et gestion de l’entreprise associative) : pour s’inscrire.
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Notes:
[1] Circulaire Fillon du 18 janvier 2010 relative aux relations financières entre les associations et les pouvoirs publics, (JO du 20)
[2] Rapport Vercamer, avril 2010, p. 12 : « L’Economie sociale représente entre 7% et 8% du PIB et emploie un salarié sur dix »
[3] Soulignant l’importance du secteur associatif au sein de l’ESS, le rapport Vercamer, préc., p. 15, souligne que : « Dans un contexte de crise économique, le secteur associatif continue de créer des emplois, y compris au cours du premier semestre 2009, alors que l’ensemble du secteur privé en perd nettement. »
[4] 65,5% de femmes dans l’ESS à comparer à 39,4% de femmes dans le secteur privé.
[5] La part des salariés de + de 60 ans de l’ESS dans l’emploi privé s’élève à plus de 17% (alors que le secteur représente un peu moins de 10% des emplois).
[6] La proportion de contrats courts est passée de 61% en 2000 à 75% en 2008
[7] Rapport préc., p. 19 : « Le Parlement Européen a adopté en janvier 2009 un rapport d’initiative sur l’Economie sociale (http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do ?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6+TA-2009-0062+0+DOC+XML+V0//FF) dans lequel il préconise une reconnaissance statistique de l’économie sociale ».
[8] Rapport, préc., p. 31
[9] L’état actuel du droit prévoit le principe d’incessibilité et d’intransmissibilité des autorisations, habilitations et agréments administratifs