ENTRETIEN. Alors que la baisse du taux de défiscalisation pour les gros mécènes inquiète entreprises et associations, Gabriel Attal tente de rassurer.

 

Mieux encadrer le dispositif pour le pérenniser. C’est ce qu’attend le gouvernement de sa réforme du mécénat, portée par Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Les dons des entreprises dans le cadre de cette pratique donnent droit à une réduction d’impôt, à hauteur de 60 %, que le projet de loi de finances – les députés doivent l’adopter en première lecture ce mardi 19 novembre – va ramener à 40 % au-delà de deux millions d’euros de dons. Une manière de prévenir les excès potentiels d’un dispositif encore récent, qui a coûté environ 900 millions d’euros à l’État en 2017 selon la Cour des comptes, une somme multipliée par dix depuis l’instauration du dispositif fiscal en 2003.

Malgré la confiance du gouvernement, la réforme inquiète les entreprises et surtout les associations qui craignent de voir leurs ressources fondre sur le long terme. Pour Le Point, Gabriel Attal détaille les changements apportés au dispositif et tente de dissiper les inquiétudes.

Le Point : L’Assemblée a voté vendredi 15 novembre en faveur de l’article portant votre réforme de l’avantage fiscal du mécénat, intégré au projet de loi de finances 2020, qui va ramener le taux de défiscalisation de 60 à 40 % pour les dons supérieurs à deux millions d’euros. Pourquoi avoir voulu faire cette réforme ?

Gabriel Attal : C’est important d’adapter le cadre du mécénat aux usages qu’on constate depuis maintenant plusieurs années, parce qu’on veut le préserver. On a un très bel outil qui s’est beaucoup développé depuis la loi Aillagon et qui permet aux entreprises de s’engager financièrement en soutenant des causes d’intérêt général, mais aussi de créer du lien social, de permettre à des associations de monter en compétences et de se professionnaliser, tout en réduisant les fractures qu’on a pu avoir entre monde lucratif et monde non lucratif. Mais on a constaté qu’il y a eu des dérives, avec des défiscalisations très importantes dont on se demande si elles relèvent du mécénat ou pas. C’est important de poser un cadre. Le risque, sinon, c’est que les Français finissent par rejeter le principe même du mécénat, comme on a pu le voir au moment de Notre-Dame-de-Paris, et ce n’est pas mon souhait.

Vous aviez assuré que les associations d’aide aux plus démunis ne seraient pas concernées par cette baisse du taux de défiscalisation. Concrètement, comment cela va-t-il être mis en place ?

Toutes les aides aux associations qui relèvent de la loi Coluche, qui donne déjà un cadre dérogatoire à ces associations pour les dons des particuliers, seront exclues du calcul de ce seuil à deux millions d’euros que l’on crée avec la réforme. Ça nous semblait important parce que la lutte contre la pauvreté est une priorité pour nous, le président de la République a d’ailleurs présenté un plan en ce sens il y a un an.

Cette réforme s’attaque également au mécénat de compétences, en limitant le salaire des personnes mises à disposition à trois plafonds de la Sécurité sociale. Pourquoi ?

Le mécénat de compétences s’est également beaucoup développé. On soutient ce dispositif magnifique qui est bon pour les associations qui reçoivent des compétences qui viennent de l’entreprise, dont elles ont besoin et qu’elles ne peuvent pas forcément se payer – je pense notamment à l’informatique, au juridique, au fiscal… – et qui est bon aussi pour les entreprises qui permettent à leurs salariés de s’engager et de donner du sens à leur travail, une demande croissante des jeunes actifs. Mais là aussi, il y a des abus. S’ils ne résument absolument pas ce qu’est le mécénat de compétences aujourd’hui, il faut également les encadrer pour maintenir cet outil. On a donc décidé de plafonner la défiscalisation des salaires, mais on est autour de 9 000 euros, donc ça reste encore incitatif. La collectivité n’a pas à prendre en charge pour la solidarité des salaires de 20 000 euros par mois.

Cette réforme vise donc à réduire les abus, mais ne serait-elle pas aussi une bonne occasion de dégager des économies alors que la dépense fiscale pour le mécénat a été multipliée par dix depuis 2003  ?

Le sens, c’est vraiment d’adapter le cadre du mécénat à l’évolution des usages pour prévenir des abus, précisément pour qu’il reste un outil pérenne et qu’il ne soit pas remis en cause dans son principe. S’il y avait la volonté de faire des économies, on n’aurait pas rehaussé les plafonds de défiscalisation pour les PME-TPE. Avant, elles n’étaient pas incitées fiscalement à faire du mécénat, alors qu’elles ont envie de le faire et intérêt à le faire comme les grandes entreprises. Depuis cette année, elles peuvent déduire de leur chiffre d’affaires 10 000 euros pour faire du mécénat, et bientôt 20 000 euros avec cette nouvelle réforme [contre 0,5 % du chiffre d’affaires auparavant, NDLR], et ça, ça donne des marges de manœuvre supplémentaires très importantes.

Dans une période où les associations font déjà face à une baisse des dons des particuliers, ne prenez-vous pas avec cette réforme le risque de voir les entreprises réduire drastiquement leurs dons ?

J’ai la conviction, et en tout cas, c’est ce que je leur demande, que les entreprises concernées ne baisseront pas leur engagement. Je ne pense pas que la comparaison avec des particuliers peut être faite : une société qui s’engage, elle le fait publiquement et elle embarque ses collaborateurs dans ce projet, ça fait partie de son image de marque. La plupart des entreprises vous diront qu’aujourd’hui le levier fiscal est devenu presque annexe et n’est plus le seul moteur de l’engagement. L’entreprise s’engage parce qu’elle a une responsabilité, parce que c’est ce que les consommateurs, ses clients, ses salariés attendent. Je rappelle d’ailleurs que dans le même temps, on baisse de manière très importante l’impôt sur les sociétés, et toutes les simulations montrent que même avec la déduction fiscale qui diminue légèrement, le mécénat restera intéressant fiscalement pour elles.

Cette réforme peut-elle aussi donner envie aux entreprises de donner plus qu’avant ?

Je le crois profondément, notamment pour les PME-TPE. Au fond, aujourd’hui, on a un mécénat qui est très concentré sur les grandes entreprises nationales et sur des grandes associations et fondations nationales. Le but, c’est de faire en sorte que ça se développe et que ça innerve l’ensemble du pays, avec des petites associations et des petites fondations au niveau local. Parce qu’encore une fois, derrière le mécénat, il n’y a pas uniquement qu’un transfert de fonds, il y a un lien qui se crée entre des mondes qu’on a trop tendance à opposer. Pour moi, c’est aussi une réponse à ce qu’il s’est passé avec les Gilets jaunes : voir à l’échelle d’un bassin de vie qu’entreprises, fondations, associations, collectivités locales et État se rassemblent autour de l’intérêt général pour porter des projets, c’est un très beau message, profondément d’actualité. Je pense que ce travail qui est fait pour garantir que le mécénat reste pérenne et le territorialiser davantage, ça va lui permettre de se développer encore.

 

source : https://www.lepoint.fr/

 

 

 






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