À la lumière des deux articles publiés par Localtis les 22 et 23 juillet 2025, un constat s’impose avec force : les finances locales s’enfoncent dans une spirale critique, annonciatrice de coupes sévères dans les services publics, d’un recul de l’investissement local et d’un avenir assombri pour le monde associatif. Moins d’argent pour les collectivités, des choix budgétaires contraints, une austérité qui ne dit pas son nom : le pays s’avance vers un appauvrissement organisé de ses territoires.

 

Les collectivités en chute libre : un effet de ciseaux fatal

Le rapport 2025 de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) tire un signal d’alarme inédit. Pour la première fois, les départements pourraient clôturer l’année avec une épargne nette négative : -0,61 milliard d’euros. Cette situation résulte d’un effet de ciseaux désormais chronique entre recettes stagnantes et dépenses en hausse, notamment sous le poids de la dette. Le solde de fonctionnement (3,06 milliards d’euros) ne suffira pas à couvrir les remboursements d’emprunts (3,68 milliards). En conséquence, l’investissement départemental, levier essentiel de développement local, devrait reculer de 9,6 % par rapport à 2024.

Du côté des régions, la situation n’est guère meilleure. L’épargne nette devrait plonger de 22,4 % en 2025. Les investissements suivront la même pente descendante (-9,4 %). Autrement dit, les marges de manœuvre des exécutifs territoriaux fondent à vue d’œil, compromettant des politiques publiques majeures : infrastructures, mobilités, transition écologique, soutien au tissu économique local, et bien sûr accompagnement des associations.

 

Une « saignée » budgétaire pour 2026 : l’étranglement s’accélère

Et 2026 ne s’annonce guère plus clément. Derrière l’objectif affiché de ramener le déficit public à 4,6 % du PIB, le gouvernement par l’intermédiaire de Madame Amélie De Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, prévoit de ponctionner entre 4,6 et 8 milliards d’euros sur les collectivités, soit bien plus que les 5,3 millions précédemment annoncés. C’est le président du Comité des finances locales (CFL), André Laignel, qui le révèle : il chiffre à 9 milliards les mesures déjà identifiées, auxquelles viendront s’ajouter « quelques centaines de millions supplémentaires. »

Ces ponctions massives prennent plusieurs formes : gel de la TVA, baisse des dotations pour les Outre-mer, les missions « Cohésion des territoires », « Collectivités territoriales » ou encore « Insertion et égalité des chances », révision du FCTVA[1]fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) (forçant les intercommunalités à recourir à l’emprunt), hausse de 3% des cotisations vieillesse pour les employeurs territoriaux… Le tout sans réelles concertations ni contreparties durables.

Ces choix politiques, sous couvert de « responsabilité » et de « rigueur budgétaire », augurent une cascade de désinvestissements locaux et un ralentissement brutal de l’activité économique, notamment dans les secteurs du BTP et de l’ingénierie territoriale. Le projet de loi de Finances 2026 prévoit une baisse de 5% des dépenses d’investissement dans les territoires au moment où les départements et les communes sont en grande difficulté.

Dans ces conditions, les collectivités locales qui supportent l’obligation de présenter un budget en équilibre risquent de restreindre encore davantage leur soutien aux associations, dont beaucoup dépendent des subventions publiques et qui sont essentielles dans la réalisation des activités d’utilité sociale dans les territoires[2]Dossier Institut ISBL, Utilité sociale et territoires : zone d’influence, Juris Associations 14 sept. 2025, n°724.

 

Le secteur associatif en sursis

En effet, si les départements gèlent leurs dépenses et si les régions voient fondre leurs recettes, les premières victimes seront les associations œuvrant dans le champ social, culturel, éducatif ou environnemental. Avec moins de financement public, les services à la population seront rationnés, les emplois aidés supprimés, l’innovation sociale freinée.

Déjà, en 2024, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ressource essentielle des départements, avaient chuté de 13,6 %. En 2025, les réserves de péréquation sont épuisées. Le monde associatif, qui joue pourtant un rôle pivot dans la cohésion sociale et l’adaptation des territoires aux grandes transitions, s’apprête à subir de plein fouet la double peine : désengagement de l’État et effondrement des budgets locaux.

Le 11 octobre dernier, le Mouvement associatif a appelé les associations à dénoncer cette situation intenable sous le slogan « ça ne tient plus » et, pour seule réponse, le gouvernement « Lecornu 2 » a présenté un organigramme ministériel où l’ESS n’est même plus représentée !

 

Une colère sourde et des mobilisations à venir

Face à cette mécanique d’austérité programmée, les élus locaux, jusque-là prudents, haussent le ton. André Laignel évoque ouvertement le recours à la censure parlementaire et prédit une « mobilisation très puissante » des territoires, notamment lors du prochain congrès des maires prévu les 18, 19 et 20 novembre 2025. Le cri d’alarme est lancé : « Il n’y a plus que Monsieur Le Cornu qui, depuis Molière, croit que c’est en pratiquant la saignée qu’on peut guérir le malade. »

Ce n’est pas seulement la santé financière des collectivités qui est en jeu. C’est un modèle de société basé sur la solidarité territoriale, la démocratie de proximité et l’action publique locale qui vacille. En réduisant les capacités d’agir des collectivités, c’est la République tout entière qui se fragilise. Et dans ce paysage institutionnel de plus en plus aride, ce sont les plus fragiles, les invisibles, les éloignés, qui seront laissés pour compte.

 

La réponse à cette crise n’est pas la résignation, mais la mobilisation de toutes et tous pour une refondation complète du « logiciel » gouvernemental. Il est encore temps d’exiger un nouveau pacte républicain entre l’État, les territoires et les corps intermédiaires, fondé sur la confiance, l’équité et la justice sociale.

 

 

Colas Amblard, président de l’Institut ISBL

 

En savoir plus :

Dossier Institut ISBL, Utilité sociale et territoires : zone d’influence, Juris Associations 14 sept. 2025, n°724

Enquête FAS septembre 2025 – Associations de solidarité en voie de disparition

Budget 2026 : un tour de vis budgétaire sévère pour les collectivités locales, Fondation Jean Jaurès, 23 oct. 2025

References

References
1 fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA)
2 Dossier Institut ISBL, Utilité sociale et territoires : zone d’influence, Juris Associations 14 sept. 2025, n°724





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