L’expérimentation sociale « Territoires Zéro Chômeur Longue Durée » est née de la volonté d’un homme, Patrick Valentin[1]Valentin P., 1984,Le chômage d’exclusion …Comment faire autrement ? Lyon, Chronique Sociale., de lutter contre le chômage d’exclusion. Depuis 1975, il se consacre aux problèmes de l’emploi dans une quête d’une altérité aux politiques sociales, en particulier celles relatives à l’emploi. A partir de son expérimentation à Seiches-sur-Loire en 1995, il teste « l’emploi conçu comme un droit » en s’inspirant de l’article 5 du préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et d’obtenir un emploi ».  Pour ce faire, dès 2002, ce sont les entreprises Travailler et Apprendre Ensemble (TAE) qui prennent la forme d’une Entreprise Polyvalente Locale (EPL) au service des personnes les plus éloignées du marché du travail de manière à les accompagner dans une mise en situation de travail. Cependant, malgré le caractère innovant de cette expérimentation sociale TZCLD, il ne faut pas oublier qu’il existe un réel biotope dans le champ de l’insertion par l’activité économique. A la manière de Bourdieu[2]Bourdieu P., 1984, Questions de Sociologies. Paris, Les Éditions de Minuits, p.82 et pour compléter les multiples ouvrages de témoignages sur l’expérimentation[3]Hédon C., Goubert D., Le Guillou D., 2019, Zéro Chômeur. Dix territoires relèvent le défi. Paris, les Éditions de l’Atelier & Éditions Quart Monde., il semble qu’il convienne d’aller plus loin en développant sur ce sujet une approche à partir de la théorie des champs[4]Fligstein N., McAdam D., 2012, A theory of fields. Oxford, Oxford University Press..

 

 

Du « Territoire » …

Il serait bien présomptueux, voire cavalier, d’envisager de comprendre l’expérimentation sociale TZCLD à partir de l’économie écologique, c’est-à-dire selon Costanza (1991)[5]Costanza R., 1991, Ecological Economics : The Science and Management of Sustainability. Columbia, Columbia University Press. : « la Science et le Management de la soutenabilité », que nous appliquons au champ des politiques sociales de l’emploi. Il s’agit non seulement de comprendre la soutenabilité en emploi mais également, la manière de prévoir, d’organiser, d’activer et de contrôler, cette « autre » manière de créer des emplois à partir des Entreprises à But d’Emploi sur des territoires supports de l’expérimentation sociale. Possiblement, une approche en biogéographie serait envisageable.

En effet, De Martonne (1955)[6]De Martonne E., 1955, Traité de géographie physique. Tome 3. Paris, Armand Colin. la définit comme : « l’étude de la répartition des êtres vivants et des causes de cette distribution ». L’idée consisterait à conduire une étude de la répartition des personnes en situation de chômage de longue durée (chômeur n’est pas un statut, mais un état de fait), et des causes socio-économiques et territoriales de cette répartition entre les différentes structures d’accompagnement de ces personnes. Cela suppose de considérer l’écosystème des politiques sociales de l’emploi en considérant les territoires d’expérimentation comme des biotopes (environnements physique délimités géographiquement), et, les acteurs des politiques de l’emploi dans le cadre de l’insertion par l’économique, comme une biocénose. Ils coexistent dans le biotope et sont en interaction avec lui.

Dès lors, on retrouve bien l’idée de « territoire » au sens de Brunet et al. (1993, pp.29 et pp.480-481)[7]Brunet R., Ferras S. Théry H., 1993, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Paris, Éditions Reclus-La Documentation Française. : « le territoire est un espace approprié par un groupe social (ou un acteur) avec le sentiment ou conscience de son appropriation. C’est souvent un espace aménagé et géré par ce groupe ainsi qu’un espace d’identité ». Ici, ce sont bien le Comité Local pour l’Emploi (CLE) et surtout l’Entreprise à But d’Emploi (EBE) qui cherche à définir « son » territoire au sein du biotope. En effet, les relations situées (établissant le lien entre les acteurs et leur milieu) sont à prendre en considération car, elles précisent les interactions avec le même milieu mais sans qu’il y ait forcément de relation entre les acteurs de la biocénose : Associations Intermédiaires (AI), Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI), Entreprises de Travail Temporaire et d’Insertion (ETTI) ou GEIQ. Par conséquent, il peut en résulter soit des situations concurrentielles entre structure[8]Le décret n°2016-1027 du 27 juillet 2016 relatif à l’expérimentation TZCLD précise que le dispositif porte sur « des activités qui répondent à des besoins non satisfaits, adaptées aux … Continue reading sur ce champ de l’insertion par l’activité économique, soit des relations constructives si les personnes en situation de chômage ne sont pas les mêmes publics bénéficiaires de l’emploi comme un droit.

Il est important de souligner qu’il est du ressort du CLE de définir le périmètre du territoire où l’EBE va développer ses activités créatrices d’emploi et ce, toujours dans un esprit de non-concurrence avec les emplois publics et privés existants. TEZEA a expérimenté sur les territoires de Pipriac et de Saint-Ganton (soit 13 communes). C’est ainsi à l’échelle de ce construit social qu’est évaluée la portée de l’EBE par le CLE local.

 

… à la théorie des champs !

«  La notion d’insertion est symptomatique de l’évolution des objets et des concepts des sciences sociales contemporaines. Elle n’a pas été produite et développée par des recherches « désintéressées » des savants « désireux » de fournir un modèle explicatif aux phénomènes sociaux, mais dans une démarche pragmatique, politico-technocratique, pour exprimer ce qui apparaissait comme un problème social », l’expression d’une mauvaise régulation socio-économique » (Vatin 1991, p.83)[9]Vatin F., 1991, « Prière d’insérer. Des mots et des faits sociaux », pp. 83–93 dans De Queiros J-M. et Vatin F., 1991, Le renouveau de la question sociale. État et acteurs sociaux face aux … Continue reading. Cette citation semble tout à fait d’actualité, bien que TZCLD n’use pas de ce concept !

Pour autant, comme le souligne l’auteur : « l’insertion n’émerge comme concept des sciences sociales que parce qu’on juge qu’elle ne se réalise pas, ou du moins pas de manière satisfaisante. L’insertion désigne donc moins un processus observé qu’un projet socio-politique. A qui s’adresse cette « prière d’insérer » ? Non pas aux sujets de l’insertion, ni même principalement aux « lieux » de l’insertion, mais à des institutions « intermédiaires » entre les producteurs, les utilisateurs et les sujets de l’emploi » (Vatin 1991, p.83). Près de trente ans plus tard, l’expérimentation sociale TZCLD est née parce que l’insertion par l’emploi ne se réalise pas, selon les promoteurs de l’expérimentation, de manière satisfaisante. C’est pourquoi, il fallait créer ces « institutions intermédiaires » CLE et EBE. Il convient de développer l’ « employeurabilité » – capacité à créer des emplois et à gérer les ressources humaines dans une réflexivité individu/entreprise au-delà du seul contrat de travail – là où les logiques habituelles se fixent sur le développement de la seule employabilité des privés d’emploi. Dans ce contexte, l’analyse de l’expérimentation sociale TZCLD nous conduit à mobiliser la théorie des champs (Fligstein et McAdam, 2012).

La théorie des champs considère que le changement social et l’ordre social peuvent être compris à travers les champs des actions stratégiques. Elle suppose que ces champs sont des éléments généraux de vie politique et économique, de société civile, et d’État, et des formes essentielles d’ordre dans nos sociétés contemporaines. Le cœur de cette théorie est de comprendre comment les acteurs sociaux fabriquent et maintiennent l’ordre dans un champ donné. En d’autres termes, cette théorie sociologique de l’action, des « habileté sociales », nous aide à expliquer ce que les acteurs font dans les champs d’action stratégique pour gagner en coopération ou bien s’engager en concurrence. Dans le cadre de TZCLD, ce sont les modèles de coopérations entre les opérateurs territoriaux de l’insertion par l’économique dans l’objectif de l’emploi comme un droit qui semblent intéressant à étudier, ainsi que la coopération endogène entre l’EBE et le CLE locaux.

Pour conclure, il s’agit donc moins de mesurer l’impact social de l’expérimentation sociale TZCLD que d’en comprendre l’utilité sociale et les modèles de coopérations stratégiques au sein de leur biocénose, au sein de leur biotope. Gérer la politique sociale de l’emploi, c’est corriger ou amoindrir de manière significative les gestions précédentes. Mais, existe-t-il une seule action de gestion de l’emploi ayant pour finalité de régler le problème du chômage posé par la biodiversité socio-économiques des territoires, ou bien faut-il encore poursuivre l’analyse des modèles de coopérations[10]Urasadettan J. Glémain P., Amintas A., 2018, « Lien entre culture organisationnelle et type de coopération. Le cas d’Emmaüs international », Revue Française de Gestion, Vol.2, n°271, … Continue reading ?

 

Commandez l’ouvrage ICI

 

 

Pascal GLÉMAIN, ESO-UMR6590 CNRS, Université Rennes 2

 

En savoir plus : 

Glémain P., 2022, Territoires Zéro Chômeur Longue Durée. Une innovation entrepreneuriale. Rennes, Éditions Apogée.

Bon de Commande ICI

Rubrique de l’Institut ISBL   « A la rencontre de … » – Interview de Daniel Le Guillou, auteur de « Zéro chômeur. Mobilisez votre territoire pour l’emploi ! » par ATD Quart Monde

Fiscalité associative entre insécurité et isomorphisme : l’exemple des EBE dans le cadre du dispositif TZCLD, Colas AMBLARD,  Institut ISBL, 29 mars 2022

Pascal Glémain

References

References
1 Valentin P., 1984,Le chômage d’exclusion …Comment faire autrement ? Lyon, Chronique Sociale.
2 Bourdieu P., 1984, Questions de Sociologies. Paris, Les Éditions de Minuits, p.82
3 Hédon C., Goubert D., Le Guillou D., 2019, Zéro Chômeur. Dix territoires relèvent le défi. Paris, les Éditions de l’Atelier & Éditions Quart Monde.
4 Fligstein N., McAdam D., 2012, A theory of fields. Oxford, Oxford University Press.
5 Costanza R., 1991, Ecological Economics : The Science and Management of Sustainability. Columbia, Columbia University Press.
6 De Martonne E., 1955, Traité de géographie physique. Tome 3. Paris, Armand Colin.
7 Brunet R., Ferras S. Théry H., 1993, Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Paris, Éditions Reclus-La Documentation Française.
8 Le décret n°2016-1027 du 27 juillet 2016 relatif à l’expérimentation TZCLD précise que le dispositif porte sur « des activités qui répondent à des besoins non satisfaits, adaptées aux compétences des demandeurs d’emploi participant à l’expérimentation, non concurrentes des activités économiques existantes et ne se substituant pas aux emplois privés ou publics déjà présents sur le territoire ». A Pipriac (35), TEZEA a passé un accord selon lequel la prestation acceptée ne dépasse par une demi-journée, de manière à ne pas être concurrentielle
9 Vatin F., 1991, « Prière d’insérer. Des mots et des faits sociaux », pp. 83–93 dans De Queiros J-M. et Vatin F., 1991, Le renouveau de la question sociale. État et acteurs sociaux face aux nouvelles formes d’emploi, de chômage et de pauvreté. Rennes, PUR-avec LESSOR (journées de recherche CETEREB-HERMES des 07 et 08/12/1989).
10 Urasadettan J. Glémain P., Amintas A., 2018, « Lien entre culture organisationnelle et type de coopération. Le cas d’Emmaüs international », Revue Française de Gestion, Vol.2, n°271, pp.29-45.





© 2024 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?