Parmi les difficultés recensées entraînant une forte dégradation des modèles socio-économiques des entreprises de l’ESS en général et des associations en particulier, figure la prédominance de la logique de libre-concurrence au sein de l’Union européenne. Pour pallier les conséquences désastreuses que cette approche a par contre-coup, sur les populations les plus fragiles, la société civile des différents États de l’Union doit pouvoir s’organiser afin d’inverser cette tendance largement inspirée par une doctrine libérale aujourd’hui dépassée.

 

 

Augmentation de la pauvreté[1]La pauvreté en France et en Europe est mesurée principalement à travers le taux de pauvreté monétaire, qui correspond à la proportion de personnes vivant avec un revenu inférieur à 60 % du … Continue readingen France et en Europe

En 2022, selon les données de l’Observatoire des inégalités,[2]Observatoires des inégalités, Quel est le nombre de pauvres en France et comment évolue-t-il ?, 17 juillet 2024 14,4 % de la population française vivait sous le seuil de pauvreté (1216 euros par mois en 2025), soit environ 9,1 millions de personnes.

Depuis le milieu des années 2000, le taux de pauvreté en France est en hausse. Par exemple, en 2004, ce taux était de 12,4 %, atteignant 14,4 % en 2022 (contre 16,2% des Européens à la même époque). En 2023, avec un taux de 15,4 %, la France se situe au 14ᵉ rang des pays européens ayant les taux de pauvreté les plus faibles, devant l’Italie (18,9 %) et l’Espagne (20,2 %). C’est actuellement le seul pays européen ayant connu une augmentation significative de son taux de pauvreté, tandis que des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Pologne ont observé une baisse durant la même période.

Face à cette hausse sans précédent de la pauvreté en France et en Europe, les associations essayent  de répondre à une demande sociale en forte hausse et contribuent à l’émergence d’une démocratie économique soucieuse d’une meilleure répartition des richesses créées (Piketty, 2013 – Le capital au XXIème siècle)[3]Un rapport d’Oxfam (2023) souligne ainsi que les 1 % les plus riches détiennent près de 50 % des actifs mondiaux, une situation exacerbée par la redistribution massive des dividendes ; … Continue reading. En jouant également un rôle clé[4]Aide d’urgence et accès aux besoins essentiels, accompagnement social et insertion professionnelle, plaidoyer et mobilisation politique, soutien financier) des populations défavorisées dans la lutte contre ce fléau endémique, elles contribuent à réduire les fractures sociales, à lutter contre la montée des extrémismes de tous bords qui déstabilisent nos institutions, divisent nos sociétés et radicalisent les oppositions.

 

Inverser la logique libérale européenne fondée sur la libre concurrence au profit de l’intérêt général

Le 11 décembre 2024, à l’occasion d’un colloque organisé au CESE sur le financement des associations, nombreux ont été les observateurs[5]Voir notam. T. Guillois, Intérêt général ou concurrence, il faut choisir ! Juris associations, 15 janv. 2025, p. 3 à s’exprimer sur la problématique liée au principe de libre concurrence, érigé en pilier du projet européen depuis sa création[6]Traité de Rome de 1957 ; Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) de 1958. Hérité de la doctrine libérale (A. Smith, 1776 et D. Ricardo, 1817), ce principe semble aujourd’hui dépassé par les nouveaux défis sociaux, économiques, et géopolitiques. De plus en plus discrédité aux yeux de nos concitoyens, il n’apparaît plus en mesure de stimuler une baisse des prix et une amélioration de la qualité des produits et des services, de favoriser l’innovation et le bien-être des consommateurs, et encore moins de s’adapter à la théorie de la décroissance (N.G Roegen, 1971 et A. Gortz, 1977) qui aujourd’hui s’impose face aux enjeux climatiques (T. Parrique, L’heure de la décroissance a sonné, Social Alter, 29 oct. 2024).

Quant aux associations, le principe de libre concurrence se révèle être un véritable carcan juridique pour nos législations nationales en les obligeant à réduire leur capacité de mutualisation[7]CGI, art. 261 Bau risque que ces organismes soient contraints d’augmenter leurs tarifs au détriment des catégories de la population les plus défavorisées. Par ailleurs, ce « totem » daté, incite les collectivités à recourir à des appels d’offres plutôt qu’aux subventions, faisant ainsi prévaloir le « moins-disant » sur le « mieux-disant », au détriment de la qualité du service rendu. Enfin, en contribuant à entretenir dans tous les domaines d’activités économiques une logique de « prédation » (des résultats de l’entreprise), le principe de libre concurrence créé un environnement bien peu propice au développement de certains secteurs essentiels portés par les organismes sans but lucratif ou à lucrativité limitée, tels que notamment les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)[8]Duverger T., « Après le scandale Orpéa, soutenir les Ehpad non lucratifs« , 15 mars 2022, Alternative Economique ou d’accueil de la petite enfance…

Dès lors, la question qui se pose est la suivante : comment inverser cette logique libérale fondée sur la libre concurrence qui a pour effet d’appauvrir les populations et d’accroître les inégalités ?

 

Transposer la proposition de directive relative aux associations transfrontalières européennes

Pour Thierry Guillois[9]Ibid. note 5, « il est grand temps que l’intérêt général prévale sur les politiques (…). Cela passe nécessairement par une modification des règles européennes et de leur interprétation tant par les agents de la Commission que par ceux des autorités françaises. Le nœud gordien réside dans la rédaction actuelle des articles 106 et 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il est urgent d’en obtenir la modification. Un nombre de plus en plus important d’acteurs en a conscience. Il importe désormais qu’ils se fédèrent en France et avec des organisations d’autres pays afin de faire aboutir cette réforme. »

Pour se faire, l’initiative prise par le Parlement et Commission européenne de proposer le 05 septembre 2023 une directive relative aux associations transfrontalières européennes apparaît parfaitement adaptée[10]CE, 05 sept. 2023, COM(2023) 516 final 2023/0315 (COD). Elle offrirait à l’ensemble de nos concitoyens européens le cadre juridique indispensable pour leur permettre de mener à bien un tel combat partout sur le territoire communautaire.

Car c’est bien cela qui attend la société civile organisée. Le terme de combat employé n’apparaît pas galvaudé en raison des différentes étapes à prévoir : dans un premier temps, il conviendra de faire en sorte que cette proposition soit définitivement adoptée au niveau européen ; ensuite, le processus de transposition de la directive devra aboutir dans chaque ordre interne des États membres.

La démarche sera longue, en raison du délai de transposition de 2 ans prévu dans la proposition de directive, et les affrontements politiques s’annoncent âpres, si l’on en croit l’initiative déjà prise le 24 mai 2024 par le Député Pierre-Henri Dumont auprès de l’Assemblée nationale en vue d’obtenir l’abandon pur et simple de ce projet.

La raison principale est à ce stade clairement évoquée : « Ce qui constitue la source de notre plus grande inquiétude est la mise en cause du modèle associatif français et les dangers à l’ordre public et à la sécurité nationale. »

Nous vous laissons seuls juges.

 

 

Institut ISBL

 

 

 

En savoir plus : 

Communiqué de presse – Institut ISBL,  27 mars 2025

Associations : record de dissolutions !, Institut ISBL, mars 2025

Imputer une valeur monétaire au bénévolat, une fausse bonne idée, Lionel Prouteau, Institut ISBL, mars 2025

Associations transfrontalières : une avancée majeure au niveau européen, Colas Amblard éditorial ISBL magazine, janvier 2024

Avis du HCVA sur la proposition de directive relative aux associations transfrontalières européennes

 

References

References
1 La pauvreté en France et en Europe est mesurée principalement à travers le taux de pauvreté monétaire, qui correspond à la proportion de personnes vivant avec un revenu inférieur à 60 % du revenu médian national.
2 Observatoires des inégalités, Quel est le nombre de pauvres en France et comment évolue-t-il ?, 17 juillet 2024
3 Un rapport d’Oxfam (2023) souligne ainsi que les 1 % les plus riches détiennent près de 50 % des actifs mondiaux, une situation exacerbée par la redistribution massive des dividendes ; L’Humanité, Dividendes : le pactole à 100 milliards d’euros des actionnaires du CAC 40, 14 janv. 2025 : En 2024, les 40 plus grosses entreprises françaises ont distribué un montant jamais vu de dividendes, estimé à 98,2 milliards d’euros, en dépit de résultats parfois en baisse.
4 Aide d’urgence et accès aux besoins essentiels, accompagnement social et insertion professionnelle, plaidoyer et mobilisation politique, soutien financier) des populations défavorisées
5 Voir notam. T. Guillois, Intérêt général ou concurrence, il faut choisir ! Juris associations, 15 janv. 2025, p. 3
6 Traité de Rome de 1957 ; Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) de 1958
7 CGI, art. 261 B
8 Duverger T., « Après le scandale Orpéa, soutenir les Ehpad non lucratifs« , 15 mars 2022, Alternative Economique
9 Ibid. note 5
10 CE, 05 sept. 2023, COM(2023) 516 final 2023/0315 (COD)





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