La maîtrise des concepts d’utilité sociale, d’intérêt général et d’utilité publique est fondamentale pour le secteur associatif. C’est à partir de ces notions que les associations seront en mesure de faire évoluer leur modèle économique par la mobilisation de ressources nouvelles. Revue de détail.
Il est toujours frappant de voir combien les notions d’utilité sociale, d’intérêt général et d’utilité publique sont encore difficilement appréhendées par les dirigeants associatifs. Or, l’on s’aperçoit que la maîtrise de ces concepts, dont les critères de distinction s’entremêlent(1), permet d’envisager plus efficacement les évolutions à prévoir pour ces structures en quête d’efficience sur le plan juridique, économique et fiscal.
Utilité sociale : comment différencier l’intervention économique associative ?
L’utilité sociale constitue une notion socle pour les associations souhaitant différencier leurs interventions économiques de celles des organismes à but lucratif intervenant sur un marché concurrentiel. Cette distinction se concrétise à partir de deux approches distinctes mais néanmoins complémentaires : fiscale et juridique.
1/Approche fiscale
L’approche fiscale de la notion d’utilité sociale est fondamentale en ce qu’elle offre aux associations, mais aussi aux fondations et fonds de dotation, la possibilité d’exercer une activité de prestation de services ou de vente de biens contre rémunération, tout en conservant éventuellement leur statut d’institution sans but lucratif (ISBL). En d’autres termes, ces organismes vont pouvoir facturer leurs interventions, sans aucune limitation de chiffre d’affaires, sans que cela remette en cause leur statut de non-assujetti aux impôts commerciaux(2). Par ailleurs, l’on verra que le maintien de ce statut est fondamental pour celles d’entre elles qui souhaiteraient ultérieurement bénéficier des avantages conférés par la reconnaissance d’intérêt général, voire d’utilité publique. Pour comprendre, il convient de lire attentivement les paragraphes 59 et 60 de l’instruction fiscale du 18 décembre 2006(3) reprise dans la doctrine fiscale actuelle(4) :
« Le fait qu’un organisme à but non lucratif intervienne dans un domaine d’activité où coexistent des entreprises du secteur lucratif ne conduit pas ipso facto à le soumettre aux impôts commerciaux. Il convient en effet de considérer l’utilité sociale de l’activité, l’affectation des excédents dégagés par l’exploitation, les conditions dans lesquelles le service est accessible, ainsi que les méthodes auxquelles l’organisme a recours pour exercer son activité. Ainsi, pour apprécier si l’organisme exerce son activité dans des conditions similaires à celles d’une entreprise, il faut examiner successivement les critères suivants selon la méthode du faisceau d’indices : le “Produit” proposé par l’organisme, le “Public” bénéficiaire, les “Prix” qui sont pratiqués, et les opérations de communication réalisées (“Publicité”). Ces critères n’ont pas tous la même importance. L’énumération qui précède les classe en fonction de l’importance décroissante qu’il convient de leur accorder. Par exemple, le critère de la “Publicité” ne peut à lui seul permettre de conclure à la lucrativité d’un organisme. À l’inverse, une attention toute particulière doit être attachée aux critères de l’utilité sociale (“Produit” et “Public”) et de l’affectation des excédents. »
Par conséquent, la notion d’utilité sociale joue un rôle fondamental dans le maintien du statut d’organisme non assujetti aux impôts commerciaux, alors même que celui-ci s’adonne régulièrement à ̀des opérations économiques(5) donnant lieu à une facturation de sa part. Bien entendu, il conviendra au préalable de s’interroger sur le respect de la notion de gestion désintéressée et sur l’existence de concurrents assujettis sur un même marché(6), quel que soit leur statut juridique. Mais, dès lors que ces conditions seront respectées, l’association pourra encaisser le produit de sa facturation tout en continuant à bénéficier du statut d’ISBL. Pour cela, l’offre proposée devra présenter un caractère d’utilité sociale, ce qui suppose de remplir les deux premiers critères utilisés dans le cadre de la règle des « 4P » : le produit et le public.
Produit : « Est d’utilité sociale l’activité qui tend à satisfaire un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui l’est de façon peu satisfaisante. »(7) Selon l’administration fiscale, la détention d’un agrément administratif peut contribuer a ̀la reconnaissance d’utilité sociale (RUS) de l’organisme, tout en précisant néanmoins que cela constitue « un élément qui n’est ni nécessaire ni suffisant pour établir ce critère d’utilité sociale »(8). Cette définition de la notion de produit incite les associations à innover ou à pallier les manquements constatés dans l’offre proposée par le marché concurrentiel.
Public : « Sont susceptibles d’être d’utilité sociale les actes payants réalisés principalement au profit de personnes justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale »(9). Bien entendu, l’administration fiscale précise immédiatement que « ce critère ne doit pas s’entendre des seules situations de détresse physique ou morale » afin d’éviter de cantonner l’intervention économique des associations et autres organismes sans but lucratif relevant du même régime fiscal dans le champ exclusif de la philanthropie.
Les deux critères combinés portant sur le produit et le public fondent, à eux seuls, la notion d’utilité sociale, laquelle s’avère être, avec le critère d’affectation des excédents(10), l’élément pivot sur lequel se fonde prioritairement l’administration fiscale pour conforter ou, au contraire, remettre en question le régime fiscal des ISBL exerçant des activités économiques(11).
Ces critères fiscaux de non-lucrativité constituent, en outre, un passage obligé pour tous les organismes souhaitant :
- faire valoir leur qualité d’organisme d’intérêt général afin de bénéficier du régime du mécénat(12) ;
- bénéficier de la franchise des impôts commerciaux(13) ou sectoriser leur secteur lucratif non prépondérant(14).
2/Approche juridique
Récemment, le concept d’utilité sociale a été consacré par le législateur dans le cadre d’une approche distincte de celle précédemment évoquée. Selon l’article 2 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS)(15), « sont considérées comme poursuivant une utilité sociale au sens de la présente loi les entreprises dont l’objet social satisfait à titre principal à l’une au moins des trois conditions suivantes :
1° Elles ont pour objectif d’apporter, à travers leur activité, un soutien à des personnes en situation de fragilité soit du fait de leur situation économique ou sociale, soit du fait de leur situation personnelle et particulièrement de leur état de santé ou de leurs besoins en matière d’accompagnement social ou médico-social. Ces personnes peuvent être des salariés, des usagers, des clients, des membres ou des bénéficiaires de cette entreprise ;
2° Elles ont pour objectif de contribuer à la lutte contre les exclusions et les inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l’éducation à la citoyenneté, notamment par l’éducation populaire, à la préservation et au développement du lien social ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale ;
3° Elles concourent au développement durable dans ses dimensions économique, sociale, environnementale et participative, à la transition énergétique ou à la solidarité internationale, sous réserve que leur activité soit liée à l’un des objectifs mentionnés aux 1°et 2°».
Ce concept permet aux entreprises relevant de l’article 1er de la loi ESS de solliciter l’agrément d’« entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS)(16). Néanmoins, cette nouvelle approche juridique concerne à un degré moindre les associations et les fondations dans la mesure où un certain nombre d’entre elles relevant du champ de l’ESS(17) peuvent bénéficier de plein droit de cet agrément.
Intérêt général : comment optimiser ses ressources par le mécénat ?
Face à la baisse constatée des financements publics(18), les organismes à but non lucratif sont contraints de faire évoluer leur modèle économique en investissant le champ lucratif et en optimisant leur politique de mécénat. A priori contradictoires, ces démarches sont au contraire parfaitement complémentaires(19) au point qu’un grand nombre d’entre eux n’hésitent pas à franchir le pas. Néanmoins, cette articulation commande de manœuvrer avec précision. Pour être reconnu d’intérêt général(20), soit volontairement(21), soit à la suite d’une procédure de rescrit fiscal(22), l’organisme intéressé doit satisfaire à trois conditions cumulatives :
- ne pas exercer d’activité lucrative prépondérante au sens de l’article 206, 1 du code général des impôts(23) ;
- faire l’objet d’une gestion désintéressée(24) ;
- ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes.
S’agissant de ce dernier critère, à la suite du rapport du Haut-Conseil à la vie associative (HCVA) sur l’intérêt général remis le 25 mai 2016 au ministre Patrick Kanner(25) et du rapport d’Yves Blein sur la notion de cercle restreint de personnes du 6 juillet 2016(26), la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a modifié sa doctrine fiscale le 26 juillet dernier(27). Afin d’appréhender concrètement ce critère, il convient désormais de recourir à un faisceau d’indices. Pour l’administration fiscale, « un organisme fonctionne au profit d’un cercle restreint de personnes lorsqu’il poursuit des intérêts particuliers d’une ou plusieurs personnes clairement individualisables, membre(s) ou non de l’organisme ». Au-delà de l’appréhension moins restrictive de ce critère, cette nouvelle doctrine rappelle également qu’un organisme dont l’activité principale est non lucrative peut réaliser accessoirement des opérations de nature lucrative et, dans l’hypothèse où les conditions permettant la sectorisation(28) de ces opérations sont remplies, la qualité d’intérêt général pourra être réservée à ce seul secteur non lucratif auquel les dons reçus doivent ainsi être affectés directement et exclusivement.
En d’autres termes, les associations, fondations et fonds de dotations peuvent tout à la fois exercer des activités lucratives accessoires et remplir des missions d’intérêt général justifiant la mise en œuvre d’une politique de mécénat.
Utilité publique : comment acquérir une reconnaissance institutionnelle ?
Pour pouvoir être reconnue d’utilité publique (RUP), une association doit remplir les conditions fixées par l’article 10 de la loi du 1er juillet 1901, les articles 8 et 11 du décret du 16 août 1901 ainsi que celles élaborées progressivement par le Conseil d’État. Ces conditions ont été rappelées à l’occasion d’une réponse ministérielle publiée le 15 juillet 2008(29) :
- période probatoire de trois ans, ce délai pouvant exceptionnellement être réduit si l’équilibre financier prévisible est assuré ;
- objet statutaire présentant un caractère d’intérêt général ;
- rayonnement suffisant dans le temps et dans l’espace pour un champ d’activité dépassant le simple cadre local ;
- nombre minimum d’adhérents fixé à 200 ;
- montant annuel des ressources estimé à 46000 euros provenant en majorité de ressources propres et non de subventions publiques et par l’absence de déficit sur les trois dernières années ;
- statuts conformes aux statuts types approuvés par le Conseil d’État garantissant l’existence de règles de fonctionnement démocratique et de transparence financière, opposables aux membres.
La conséquence de la RUP pour les associations est l’acquisition permanente de la grande capacité juridique permettant de recevoir des libéralités exonérées de droits de mutation à titre gratuit(30) et de détenir des immeubles nécessaires à leur activité.
Le statut de RUP a longtemps été perçu par le monde associatif comme « un “label” officiel conférant une légitimité particulière, nationale, voire internationale »(31). Dans son rapport public de 2000, le Conseil d’État rappelait « la force symbolique de la RUP », précisant au passage que « cette reconnaissance n’est, toutefois, pas dénuée d’effets pratiques puisqu’il apparaît que, de 1991 à 1996, les associations et les fondations RUP ont reçu 84 % des dons déclarés par les contribuables »(32).
Avec la réforme initiée par la loi ESS(33), la procédure de RUP a perdu une grande partie de son attractivité dans la mesure où son article 74 prévoit la possibilité pour les associations reconnues d’intérêt général visées à l’article 200, 1, b) du code général des impôts d’accepter les libéralités entre vifs ou testamentaires(34) et de posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit. Ce constat s’explique également par la possibilité offerte aux associations de créer des fonds de dotation(35) disposant de cette même capacité juridique. Cela explique pourquoi le dernier recensement effectué par le ministère de l’Intérieur fait état d’une diminution constante du nombre d’associations RUP depuis plusieurs années maintenant.
Des procédures de reconnaissance du secteur associatif multiples et donc peu lisibles, des critères qui se chevauchent ou se superposent, un mode de reconnaissance (RUP) qui perd manifestement de son intérêt au point que le Conseil d’État s’est interrogé dès 2000 sur sa possible suppression : autant de raisons qui militent en faveur d’une simplification.
Colas AMBLARD, docteur en droit, avocat
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°546 du 16 octobre 2016 : Télécharger l’article
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS le 7 décembre 2017 animée par Colas AMBLARD à LYON intitulée : « Créer et gérer son fonds de dotation «
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS le 14 décembre 2017 animée par Colas AMBLARD à LYON intitulée : « Comment mettre en place une stratégie de mécénat? « .
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Documents joints:
Notes:
2. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 12 sept. 2012, § 1.
3. Instr. du 18 déc. 2006, BOI 4 H-5-06.
4. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20,préc., § 570 et 580.
5. C. Amblard, « Activités économiques des associations : contribution à la théorie du tiers secteur », thèse de droit, Versailles, 1998 ; du même auteur, « Activités économiques et commerciales des associations », Lamy associations, Étude 246.
6. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10 du 12 sept. 2012.
7. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 590.
8. Ibid., § 600.
9. Ibid., § 610.
10. Ibid., § 630.
12. L. no 2003-709 du 1er août 2003, JO du 2.
14. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-20-10 du 1er avr. 2015.
15. L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 2.
16. Ibid., art. 11.
18. V. Tchernonog, Le Paysage associatif français – Mesures et évolutions, Juris Éditions / Dalloz, 2e éd., 2013 ; dossier « Paysage associatif – Arrêt sur image », JA no 486/2013, p.16. 19. C. Amblard, JA no 525/2015, p. 37.
20. CGI, art. 200, 1, b).
22. LPF, art. L. 80 C ; v. égal. BOFiP-Impôts, BOI-SJ-RES-10-20-20-70 du 12 sept. 2012.
23. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-10 du 6 juill. 2016.
24. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc.
26. Y. Blein, rapp. « Qualification d’intérêt général des organismes recevant des dons – Notion de “cercle restreint” », mars 2016 (publié le 6 juill. 2016), JA n° 544/2016, p. 6 ; v. égal. en p. 14 de ce numéro.
27. BOFiP-Impôts, BOI-IR-RICI-250-10-10 du 26 juill. 2016, JA no 544/2016, p. 6 et JA n° 545/2016, p. 3.
28. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 du 1er avr. 2015.
29. Rép. min. à J.-C. Flory, JOAN Q du 15 juill. 2008, n° 16885.
30. CGI, art. 795, 2o.
31. Rép. min. à J.-C. Flory, préc.
32. CE, rapp. « Les associations et la loi de 1901, cent ans après », 2000 ; CE, rapp. « Les associations reconnues d’utilité publique », La Documentation française, 2000.
34. Dans les conditions fixées par l’article 910 du code civil.
35. L. no 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140 et 141 ; dossier « Fonds de dotation – Le fonds et la forme », JA no 521/2015, p. 16 ; v. égal. C. Amblard, Fonds de dotation, une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, coll. « Axe droit », Lamy, 2e éd., déc. 2015.