Dans un précèdent article, je faisais part de mon interrogation sur la position du militant-administrateur d’une association, au travers de mon investissement continu depuis 50 ans. Et je voulais en rester là, ayant répondu individuellement aux retours que j’ai pu avoir d’une parole qui correspondait à la situation et aux interrogations de nombreux bénévoles qui œuvrent au quotidien dans des associations.

Et puis deux évènements me font remettre le couvert ! non pas à partir de mon expérience, mais à partir de ce que me donne à voir l’actualité : les bénévoles des Jeux Olympiques de Paris (pour lesquels des spots et des émissions télévisées incitent toute personne intéressée à « bénévoler ») et ceux du Puy du Fou (dont l’émission « Complément d’enquête » a donné un éclairage assez précis et sujet à interrogation sur ces « bénévoles, que les membres du parc du Puy du Fou appellent “Puyfolais” » !

 

Selon le site du gouvernement « Plus de 16 millions de bénévoles œuvrent aujourd’hui dans le paysage associatif français. Se sentir utile et faire quelque chose pour autrui est le moteur de ces bénévoles qui s’impliquent dans des domaines d’activité aussi divers que le sport, la culture ou les loisirs, l’humanitaire, la santé ou l’action sociale, la défense des droits ou encore l’éducation. »[1]associations.gouv.fr – créer, gérer et développer son association

Le « Portail des gestionnaires et des bénévoles » du Québec ajoutant : « Un bénévole est quelqu’un qui donne, volontairement et sans rémunération, son temps et ses capacités, au service d’une cause, d’une organisation ou d’une personne pour accomplir une fonction ou une tâche. Le bénévole est aussi celui qui en retour recherche la satisfaction d’être utile, de réussir et d’avoir du plaisir avec les autres. »[2]Portail des gestionnaires et de bénévoles : soutenir et développer le bénévolat

 

Dis maman, c’est quoi un bénévole ?

Le paysage est posé : un bénévole se consacre à une activité non rémunérée dans laquelle il se sent utile et son moteur est la satisfaction donnée par ce sentiment d’utilité ! (On oublie aussi de préciser que cela lui permet aussi d’être un peu narcissisé, mais on entre dans un autre débat !).

Si cela suffit à son bonheur, le bénévole peut tout accepter, y compris d’être exploité par ceux qui ont ainsi la possibilité de développer des activités lucratives ou utiles à leur seul bénéfice, tout en contribuant financièrement (indirectement) au développement de cette activité pour laquelle il n’a que peu de retour. Où est l’intérêt général ?

Bien sûr, cette situation n’est pas celle que l’on trouve dans la majorité des associations où les bénévoles jouent un rôle essentiel qui correspond à leurs attentes, à leur engagement, à leur vie même. Les causes de cet engagement sont multiples, mais toujours ancrées dans l’investissement de chacun dans un domaine particulier. Nous n’entrerons pas là dans le débat jamais clos du bénévole militant et du bénévole zapping. L’évolution de la société a affaibli les premiers et a permis le développement des seconds. Il y a fort à parier que les évènements divers autour des problématiques d’actualité inciteront beaucoup à se réinvestir pour une cause sur le long terme.

Alors pourquoi s’interroger sur la pertinence du bénévolat dans les deux cas précités : les JO 2024 et le Puy du Fou ?

Parce que l’on voit bien qu’un tel statut peut prêter à des dérives dans lesquelles les personnes qui s’y engagent servent avant tout des visées financières ou mercantiles.

 

Volontaire ou bénévole, that is a question !

Ainsi, pour les JO 2024, ce sont 45.000 « volontaires » qui vont participer à leur organisation. Ils ne seront ni logés, ni défrayés. Première interrogation : sont-ils volontaires ou bénévoles ? En effet, le volontaire est celui « qui accepte de son plein gré une mission difficile ou dangereuse, une tâche ou un service bénévole ». Toutes les définitions (y compris sur le site du gouvernement) indiquent que « le volontaire est indemnisé par l’organisme d’accueil mensuellement ».

Mais, puisque certains acceptent des missions sans doute par intérêt pour les sports pratiqués ou pour participer à un évènement important, nous ne pouvons que nous en émouvoir, mais nous ne pouvons pas agir.

Il faut dire que c’est bien vendu : « Être volontaire de Paris 2024, c’est partager des moments et des émotions uniques. C’est incarner le sens de l’hospitalité et les valeurs de la France auprès de tous les acteurs des Jeux. C’est enfin faire partie d’une équipe de 45 000 personnes issues de tous les horizons, mais soudées et réunies sous les mêmes couleurs. Le visage, l’âme, le cœur et le sourire de nos Jeux, ce sont eux. Et grâce à eux, vous vivrez des Jeux mémorables ! »[3]Paris 2024 – le programme des volontaires

Pour éviter toutes contestations qui pourraient surgir, tant sur la différence entre bénévole et volontaire que sur les conditions de déroulement de la mission, le comité d’organisation de Paris 2024 a publié une “charte du volontariat” qui permet d’encadrer les 45.000 volontaires. Il est précisé, dans cette charte, que « l’engagement du volontaire olympique et paralympique étant par nature bénévole, il réalise sa mission en dehors de tout lien de subordination juridique permanente, et il accomplit des tâches qui lui sont confiées sans contrepartie financière, ni compensation d’aucune nature ».

Certaines conditions d’accueil de ces bénévoles ne sont pas sans nous interroger :

  • Sur la durée du temps de travail (car il faut bien appeler un chat un chat !) : la durée maximale de la mission des volontaires est fixée à 10 heures consécutives par jour, et 48 heures par semaine. Le code du travail bafoué, la durée légale du temps de travail aussi, mais il est vrai que nous ne sommes pas dans un contrat de travail, alors il y a alors toute liberté pour déroger à cet acquis social !
  • Sur les conditions d’accueil : leur bénévolat leur interdit toute rémunération ou indemnité pour la mission accomplie, ni logés, ni défrayés comme nous l’avons indiqué plus haut, leur seul avantage sera un panier repas et un ticket de transport en commun fournis pendant leur période de travail. Encore heureux ! Cela veut dire que pour participer à une activité de ce type, le bénévole doit avoir un revenu suffisant pour assumer, a minima, une prise de congés ou une acceptation de son employeur d’y « travailler », son hébergement et son déplacement. Ce n’est plus du bénévolat, c’est un sacerdoce !

Disons-le, nous sommes dans une perversion du statut du bénévole et tout aussi intéressant, individuellement, que soit la participation aux JO (mais pourront-ils seulement voir un match, une manifestation sportive, une course, … ?), ce comportement est la porte ouverte à utiliser le statut de bénévole comme substitut au statut de travailleur : « Il n’existe quasiment aucune disposition légale qui régit le bénévolat, indique Maître ROBINET Delphine , avocat spécialiste en Droit de la sécurité sociale et de la protection sociale | Droit du travail. Mais dans l’idée, le bénévole doit avoir la main pour définir les conditions de sa mission. » Ce ne sera sans aucun doute pas le cas. Les choses changent dans les entreprises, pas dans ce type de manifestation. L’aura des JO joue sur l’acceptation, on pourrait considérer cela comme un « arbre à gogos ».

 

Et les « Puyfolais » alors ?

Émission énervante mais tellement éclairante[4] … Continue reading sur les dérives possibles en utilisant le statut associatif pour « embaucher » 45000 bénévoles, « Complément d’enquête » pointe les dérives faites sans scrupule, présentées comme à la limite de la légalité et souvent soutenue – a fortiori quelquefois – par le gouvernement (cf. reportage sur le rescrit déclarant le Puy du Fou comme structure à but non lucratif (à 1h06 du début), par exemple)[5]« Histoire, argent, pouvoir : les vrais secrets du Puy du Fou » : « En 2017, le parc de Philippe de Villiers aurait été sauvé grâce à l’intervention d’Emmanuel Macron. Quelques mois après son arrivée à l’Élysée, le Puy du Fou a reçu une dérogation que les équipes de l’émission « Complément d’enquête » se sont procurées. »[6]France Info : Parcs d’attractions : la face cachée du Puy du Fou – Publiéle 07/09/2023

Le montage « entrepreneurial » permet ces dérives, entre une « association de la cinéscénie et ses bénévoles », une SAS «Grand Parc » (« Le groupe auquel appartient le Puy du Fou est composé d’une association loi 1901 et d’une SAS (Société par Actions Simplifiés). L’association organise “La Cinéscénie” et détient la SAS qui gère le Puy du Fou. »[7]Le modèle du Puy du Fou : https://www.puydufou.com/france/fr/notre-groupe et une association « Puy du Fou stratégie » (qui détient 47% des actions du Grand Parc et la majorité des droit de vote !). Cela pourrait être incontestable si le bénévolat n’était pas décrété par les dirigeants de la SAS Grand Parc et si certains postes n’étaient pas clairement des substitutions à des emplois possibles (cf. reportage, 36ème minute), justifiant cet état de fait par la possibilité donnée à des « Puyfolais timides » (sic) de participer à l’activité du parc ! : « L’association peut faire jouer ses bénévoles autant de fois qu’elle le veut, mais il y a une condition : seuls les gens sur scène peuvent être bénévoles. Tous les autres doivent être rémunérés. Une condition qui ne semble pas toujours respectée par le parc, comme l’ont constaté les équipes de l’émission « Complément d’enquête ». Au parking, mais aussi à l’accueil, aux souvenirs et à la sécurité, tout le monde travaille gratuitement. Ce bénévolat hors scène, Nicolas de Villiers, qui a pris la relève de son père, l’assume complètement. »[8]France Info : Parcs d’attractions : la face cachée du Puy du Fou – Publiéle 07/09/2023

Le reportage pointe tout ce montage clairement, mais ce n’est pas cette question qui nous interroge sur l’utilisation des bénévoles, c’est la manière dont l’attirance pour une activité conduit certains bénévoles à « financer » indirectement cette activité lucrative. Aucune indemnité, aucune prise en charge des déplacements, alors que beaucoup viennent de distances éloignées.

Nicolas de Villiers (président du Parc) justifie cela en disant que « le bénévolat n’est pas nécessaire à la survie économique du Puy du Fou, en revanche se donne pour vocation d’être une œuvre humaine qui est irriguée par l’esprit du bénévolat (…) aujourd’hui, on peut avoir une relation humaine qui soit gratuite ». Interrogé sur l’utilisation des bénévoles, il répond « vous avez des personnes qui sont retraitées, qui se font une joie (…) de donner des coups de main, qui par extension viennent donner des coups de main dans la forêt. Cette activité bénévole n’a aucune incidence sur le chiffre d’affaires du parc (…). Si on devait mettre fin à toute forme de bénévolat, le Puy du Fou mourrait sur le terrain spirituel, il perdrait son âme. Je comprends que ça puisse vous choquer que des gens viennent gratuitement, par amour, donner de leur temps, de leur talent, de leur enthousiasme… ils travaillent en plein hiver dans le parc parce que la forêt est leur terrain de jeu depuis 45 ans. Le Puy du Fou est né bien après cette tradition ». Quelle abnégation de la part de cette organisation !!

Après avoir vu ce reportage, je me suis interrogé sur la compréhension de ce qu’il se disait : cynisme ? conviction ? sentiment de toute puissance permettant de ne pas respecter tous les fondements du code du travail mais aussi des statuts particuliers des bénévoles ? En tout cas, une profonde interrogation sur le respect des autres.

La question n’est pas celle de l’investissement de personnes (pas seulement des retraités !) dans la vie associative, car elle est un lieu de rencontre de portage de l’intérêt général (dans le cas du Puy du Fou, on peut se demander ce qu’est l’intérêt général !), de lien social et de développement local au bénéfice de tous ; non, la question est celle de l’utilisation du statut associatif pour mener une activité économique en pervertissant les fondements mêmes du bénévolat. Deux cas significatifs de ce que permet actuellement l’interprétation du statut de bénévole, ce que permet aussi, dans ces deux cas, l’attirance vers des activités médiatiques qui font perdre tout entendement à des personnes attirées par la lumière et qui ne seront que des exploités.

Il y a encore beaucoup à faire et il ne suffit pas de sortir régulièrement de beaux textes sur la vie associative ou le bénévolat, il faut aussi militer pour que cette possibilité si extraordinaire qu’est l’implication de citoyens dans des structures utiles à l’intérêt général puisse continuer sans être exploités. Mais sans doute est-ce un doux rêve qui s’étiole dans une société qui perd de plus en plus ses repères.

 

 

Jean-Louis CABRESPINES, Ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

 

Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (septembre 2023)






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