31 janvier 2012. C’est la date à laquelle les nouvelles règles en matière d’aides d’État sont entrées en application. Objectif de ce «paquet Almunia» : éviter que les aides publiques versées aux organismes sans but lucratif ne viennent fausser le libre jeu de la concurrence. Décryptage à chaud d’une évolution attendue.

Cette nouvelle législation comporte incontestablement des avancées. Mais ces dispositions demeurent encore insuffisamment adaptées à la vie associative, largement perfectibles, la position de la France restant toujours inflexible en matière de définition du périmètre des services d’intérêt généraux (SIG). Dans ces conditions, il apparaît que des revendications peuvent d’ores et déjà être formulées dans l’intérêt du secteur associatif.

 

1./ Les services d’intérêt économique général (SIEG) en droit communautaire : une notion autonome par rapport au principe de libre concurrence ?

1.1/ Les SIEG se définissent-ils par rapport au principe de libre concurrence ?

Lors du colloque de la Société de législation comparée en date du 14 octobre 2011, Jean-Marc Sauvé (Vice-président du Conseil d’État) soulignait que la notion de services d’intérêt économique général (SIEG), qui à l’origine se définissait par voie d’exception au principe de libre concurrence, commence peu à peu à s’autonomiser. D’après ce dernier, le régime juridique applicable au SIEG s’est progressivement étoffé afin de concilier la spécificité des activités d’intérêt général avec les exigences présentées comme nécessaires à la réalisation du marché intérieur.

En l’état de la nouvelle législation européenne, édictée le 20 décembre 2011, un tel constat n’apparaît pas aussi clairement, pour plusieurs raisons :

  • En premier lieu, il ressort explicitement que l’appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur des aides publiques versées aux associations s’analyse par rapport aux règles de concurrence (1). Ces mêmes règles prévoient également que ce droit aux financements publics « ne s’applique que lorsque le développement des échanges n’est pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union »
  • En second lieu, on s’aperçoit que les SIEG peuvent être assurés par n’importe quel type d’entreprises publiques ou privées (2) : dès lors, plus rien n’empêche a priori une société commerciale de bénéficier de ces mêmes financements publics (versés sous forme de « compensations ») en contrepartie de la réalisation d’un SIEG. C’est donc en réalité à l’irruption de l’entrepreneuriat commercial dans la sphère (économique) d’intérêt général auquel nous assistons (sur ce point, cf. infra CJCE 17 juin 1997, Sodemare SA)
  • En troisième lieu, s’agissant de la définition de la notion d’entreprise, la législation du 20 décembre 2011 confirme la jurisprudence constante de la CJCE (3) : une entreprise se définit comme « une entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut ou de son mode de fonctionnement ». Dès lors, une question fondamentale se pose : un prestataire d’un service d’intérêt économique général peut-il être considéré comme une entreprise ? La réponse de la législation communautaire est affirmative, sans aucune réserve, dès lors que l’entité créée (4) exerce une activité économique ou détient des participations de contrôle (ou a des liens fonctionnels, économiques ou organiques avec une autre entreprise) (5). Il en résulte que la question du statut de l’organisme est absolument sans objet, et n’ouvre plus droit à aucun avantage particulier du point de vue du droit à percevoir des aides publiques (sur la règle de « minimis », cf. infra 2.1)
  • Enfin, parce que l’activité économique elle-même se définit principalement par rapport au marché : « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné » (6). Sur ce point, la communication de la CE C(2011) 9404 final précitée est particulièrement explicite (art. 12) : « La nature économique de services déterminés peut donc varier d’un État membre à un autre. En outre, la qualification d’un service donné peut varier dans le temps en fonction de choix politique ou d’une évolution économique. Ce qui ne constitue pas une activité marchande aujourd’hui peut le devenir et inversement ». Une telle approche ne risque-t-elle pas de relativiser le rôle des Etats membres dans leur volonté politique de préserver certains secteurs particuliers de la règle du libre échange ?

Ainsi, on le voit, la notion de SIEG continue de se construire en creux par rapport au principe de libre concurrence, véritable paradigme érigé par le traité de Lisbonne du 19 octobre 2007 (Titre I, I, 3.3.).

 

1.2/ Le paradigme du libre échange est-il favorable aux intérêts des organismes à but non lucratif ?

Cette question mérite réflexion au regard de l’importance qu’elle revêt dans la construction de notre modèle économique et social.

Mais, au delà des positions partisanes, il convient d’aborder cette question en considération, tant des intérêts liés au libre échange que des spécificités revendiqués par ces organismes.

Or, en l’état actuel, ce mode de construction n’apparaît pas suffisamment favorable au secteur associatif dans la mesure où :

  • Il contribue à nier le rôle spécifique que peuvent jouer les organismes sans but lucratif dans la construction de l’intérêt général (CJCE, Affaire C-70/95, 17 juin 1997, Sodemare SA, Anni Azzurri Holding SpA et Anni Azzurri Rezzato Srl contre Regione Lombardia) (7)
  • Il favorise le « moins-disant » social et nivelle par le bas la démarche d’évaluation des prestations rendues par les associations en ne prenant pas en compte ou de façon insuffisante l’ « halo sociétal » dégagé par ces entités (8)
  • Il participe à l’instrumentalisation des associations par les pouvoirs publics en organisant, entre les associations elles-mêmes, une véritable « course à l’échalote » en matière d’octroi de subventions pour l’exercice d’un SIEG (dans le cadre des procédures de mandatement et d’appel à projets).

Ces observations valent d’autant plus que le Gouvernement actuel se refuse toujours de définir avec précision les contours de ce que pourrait être un SIEG en France, en application du principe de subsidiarité (Cf. infra 1.3).

 

1.3/ La notion de SIEG a-t-elle tendance à se consolider en tant que norme juridique ?

Un certain nombre de règles générales contribue à consolider la notion de SIEG en norme juridique :

  • Le célèbre arrêt « Almarck » du 24 juillet 2003 a fixé les conditions dans lesquelles une compensation liée à des SIEG ne constitue pas une aide d’Etat (9).
  • La Commission a ensuite clarifié et complété, dans le paquet dit « Monti-Kroes » (10), le cadre juridique dégagé par la Cour de justice à la lumière de l’expérience acquise et des développements de la jurisprudence depuis 1991 (11).
  • Dans le « paquet Almunia », applicable à partir du 31 janvier 2012 Communication CE C(2011) 9004, il ressort que la notion de SIEG « est évolutive et dépend, entre autres choses, des besoins des citoyens, des évolutions techniques et commerciales et des préférences sociales et politiques propres à chaque Etat membre » (principe de subsidiarité).

Incontestablement, ces textes contribuent à consolider la notion de SIEG en qualité de norme juridique applicable dans l
’ensemble des Etats membres de l’Union. Cela n’est pas sans intérêt bien entendu pour les associations qui, plus que jamais, ont besoin du statut d’association européenne pour accélérer le processus d’harmonisation de cette norme au plan communautaire.

En France, néanmoins, l’imprécision qui entoure cette notion est d’autant plus préjudiciable que la moitié du budget du secteur associatif est encore composée de subventions publiques (Enquête CPCA Mut’asso, Associations : comment faites-vous face à la crise ? déc. 2011). Cette situation est également regrettable dans la mesure où un projet de loi portant sur les services sociaux existe déjà, mais le débat national a pour l’instant été escamoté au profit de la circulaire Fillon du 18 janvier 2010, laquelle fait toujours l’objet d’un profond rejet, tant de la part du secteur associatif que des collectivités locales.

 

2./ Le « paquet Almunia » applicable au 31 janvier 2012 : quelles conséquences pour le secteur associatif ?

2.1/ Quelques avancées positives…

Incontestablement, le « parquet Almunia » comporte quelques avancées positives :

  • La Commission européenne a décidé que les petites compensations de services publics, c’est-à-dire celles qui doivent être considérées comme n’affectant pas les échanges entre États membres et/ou comme ne faussant pas ou ne menaçant pas de fausser la concurrence, ne seront pas concernées par l’encadrement communautaire des aides d’Etat.
  • Un certain nombre de secteurs d’activités n’est plus concerné par l’obligation de notification à la Commission, et ce, quel que soit le montant des subventions allouées : cette exemption de notification concerne non plus seulement les secteurs de la santé et du logement social, mais plus globalement tous les services répondant à des besoins sociaux concernant les soins de santé et de longue durée, la garde d’enfants, l’accès et la réinsertion sur le marché du travail, le logement social et les soins ainsi que l’inclusion sociale des groupes vulnérables.
  • La règle de « minimis » (12) devrait passer, à partir du printemps 2012, de 200.000 € sur 3 ans à 500.000 € pour la même période.

Sur ce dernier point, des revendications ont déjà été formulées par le Comité des régions, notamment, pour porter ce seuil, jugé insuffisant par bon nombre d’observateurs, à 800.000 € par an.

 

2.2/ … pour beaucoup d’imprécisions défavorables aux associations

Même si l’on comprend désormais que le fondement de la démarche du « paquet Almunia » consiste avant tout à éviter des distorsions de concurrence au sein de l’espace communautaire (cf. supra 1.1), il convient de s’interroger sur son effectivité immédiate compte tenu de l’incomplétude des règles édictées. Finalement, la Commission européenne semble rien moins que faire application de la « théorie des lacunes positives » (13), laissant en définitive au juge et à la jurisprudence le soin de créer le droit (14).

Sinon, comment expliquer le flou entourant des notions aussi essentielles que celles de « bénéfice raisonnable » (15), de « compensation » (16) ou de « surcompensation » (17) ?

De la même façon, la procédure de mandatement – notion incontournable dans la procédure d’octroi de subventions aux associations – laisse apparaître de nombreuses imprécisions et incertitudes, comme le souligne d’ailleurs Pascal Caffin (Député européen EELV) : « le droit européen qui régit cet acte de mandatement est assez complexe, assez inexplicable, très peu opérationnel ». Cet observateur averti va même jusqu’à indiquer que cet acte « doit fixer le service rendu par les associations et donc très clairement il y a un point d’équilibre à trouver entre une commande de la part de la collectivité et le droit d’initiative de l’association ». On le voit, la confusion entre subventionnement et recours à la commande publique risque de persister encore longtemps, alors même que le « paquet Almunia » avait l’ambition de clarifier ces règles.

Et que dire de la durée du mandatement dont le mode de calcul se fait en référence à « des critères objectifs » (lesquels ?) mais ne peut, en tout état de cause, « excéder la période nécessaire à l’amortissement comptable des principaux actifs indispensables à la prestation du SIEG ». Pour une association dont l’activité sociale consiste en l’écoute téléphonique de victimes ou de malades, cela voudrait-il dire que la durée de mandatement dépendrait de l’amortissement habituellement pratiqué sur les téléphones et le matériel informatique utilisés ?

Incontestablement, cette situation n’est pas satisfaisante pour le secteur associatif en raison de son inadaptation et de l’insécurité juridique qu’elle créée.

Certes, la convergence européenne sur ces questions oblige à des ajustements. La tâche est complexe et nécessitera du temps. Mais, au juridisme dénoncé par certains, s’ajoute désormais une dérive comptable bien loin des préoccupations des associations désireuses d’investir sur les solidarités.

Pour notre part, nous sommes prêts à reprendre en cœur l’antienne si souvent entendue : « oui, il est possible de continuer à verser des subventions aux associations ! ». Mais compte tenu du « flou artistique » régnant à tous les étages de la procédure, comment reprocher aux collectivités locales de privilégier le recours aux marchés publics ?

 

Colas Amblard, docteur en droit, avocat

 

En savoir plus :

Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°454 du 1er mars 2012 : Télécharger l’article

Interview de Pascal Canfin, député européen EELV sur la législation européenne en matière de subventions (source : site CPCA)

Site europa : voir en ligne






Notes:

[1] L’article 5 de la Communication de la Commission européenne C(2011) 9406 final du 20 décembre 2011 rappelle que cette compatibilité trouve son fondement juridique dans l’article 106, paragraphe 2, du traité, qui dispose que « les entreprises chargées de la gestion de SIEG ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence »

[2] Communication de la Commission européenne C(2011) 9404 final, art. 2

[3] Affaires jointes C-180/98 à C-184/98, Pavlov e.a. (Recueil 2000, p. I-6451)

[4] A des fins lucratives ou non et quel que soit son statut juridique

[5] A ce stade, il conviendra par exemple de s’interroger sur la compatibilité du régime de financement public des groupements sportifs professionnels en application de l’article R 113-1 du Code du sport qui limite les subventions à 2.3 M€ par saison sportive

[6] Arrêt du 16 janvier 2006 dans l’affaire C-222/04, Ministero dell’Economica e delle Finanze/cassa di Risparmio di Firenze SpA e.a. (Recueil 2006, p. I-289, points 107 à 118 et 125)

[7] Selon l’arrêt SODEMARE, « En effet, en l’état actuel du droit communautaire, un État membre peut, dans le cadre de sa compétence retenue pour aménager son système de sécurité sociale, considérer que la réalisation des objectifs poursuivis par un système d’assistance sociale, qui, fondé sur le principe de solidarité, est destiné prioritairement à l’assistance de personnes se trouvant dans un état de nécessité, implique nécessairement que l’admission d’opérateurs privés en tant que prestataires de services d’assistance sociale soit subordonnée à la condition qu’ils ne poursuivent aucun but lucratif. »

[8] A. Lipietz, Du halo sociétal au tiers secteur : pour une loi-cadre sur les sociétés à vocation sociale, synthèse du Rapport final sur l’entreprise à but social et le tiers-secteur, 1er juillet 2001

[9] Ces conditions sont les suivantes : (1) les obligations de service public de l’entreprise bénéficiaire doivent être clairement définies ; (2) les paramètres sur la base desquels sera calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente ; (3) la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par ces missions ; (4) lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.

[10] Ce paquet se compose d’une série de mesures adoptées en 2005, dont la décision sur les SIEG (décision 2005/842/CE de la Commission du 28 novembre 2005 concernant l’application des dispositions de l’article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général) et l’encadrement sur les SIEG (Encadrement communautaire des aides d’État sous forme de compensations de service public du 29 mai 2005) dans lesquels la Commission précise l’application des articles du traité relatifs aux aides d’État, soit les articles 106 et 107 du TFUE, aux compensations accordées pour la prestation de ce type de services.

[11] CJCE, arrêt du 10 décembre 1991,Arrêt du 10 décembre 1991 dans l’affaire C-179/90, Merci convenzionali porto di Genova, Recueil 1991, p. I-5889, point 27) ; arrêt du 17 juillet 1997 dans l’affaire C-242/95, GT-Link A/S ; Recueil 1997, p. I-4449, point 53) ; et arrêt du 18 juin 1998 dans l’affaire C-266/96, Corsica Ferries France SA, Recueil 1998, p. I-3949, point 45 : La Cour de justice des communautés européennes a établi que les SIEG sont des services qui présentent « des caractères spécifiques par rapport à ceux des autres activités de la vie économique. »

[12] Rappelons que la règle de « minimis » permet aux associations de continuer à percevoir des subventions publiques sans être concernées par la législation communautaire applicable aux aides d’Etat

[13] P. Lascoumes et E. Serverin, Théories et pratique de l’effectivité du droit, Droit et société, n°2/1986

[14] G. Ripert, Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, p. 381-3S2.

[15] Communication de la CE C(2011) 9404 final, par. 77 : « par bénéfice raisonnable, il y a lieu d’entendre le taux de rendement du capital qu’exigerait une entreprise moyenne considérant l’opportunité de fournir le SIEG pendant toute la durée du mandat, en tenant compte du niveau de risque (…) ; le taux de rendement du capital est, quant à lui, défini comme le taux de rendement interne (TRI) que l’entreprise obtient sur la durée de vie du projet, c’est-à-dire le ratio TRI/flux de trésorerie lié au contrat »

[16] Décision CE C(2011) 9380 final, art. 5

[17] Communication CE C(2011) 9406, par. 47 à 50

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