Que retenir (globalement) de cette année 2010 ?
A cause (ou grâce) à la crise économique et financière actuelle, l’année 2010 aura probablement été une année charnière pour les associations. Beaucoup d’entre elles, rencontrées durant cette période, nous ont exprimé leur inquiétude alors que sur un plan politique, l’avènement de l’association au rang d’opérateur économique (nouveau) n’a paradoxalement jamais été aussi proche.
En effet, la part de financement public dans le budget des associations ne cesse de diminuer pour atteindre à peine 50% (enquête CNRS – MATISSE 2005-2006). Ce phénomène devrait s’accentuer en raison de la diminution prévisible du volume global des subventions, de l’ordre de 20 à 30% pour certains secteurs. Peu à peu, les associations développent des ressources propres d’origine privée (dons, cotisations, activités propres) pour compenser leur déséquilibre budgétaire et pérenniser leurs emplois. Pour ces dernières, l’enjeu consistera cependant à éviter d’adopter des comportements identiques (1) à ceux des organismes à but lucratif, ceci afin d’éloigner le risque d’assujettissement aux impôts commerciaux. Pour cela, il est impératif que les associations préservent leur capacité d’innovation et continuent à réaliser des activités économiques d’utilité sociale (2). D’autres pistes sont également en train d’être explorées, comme la création de fonds de dotation (LME du 4 août 2008) permettant de financer, par le biais du mécanisme du mécénat, des activités d’intérêt général (3).
L’intrusion massive du secteur associatif dans la sphère privée pourrait, à terme, déboucher sur la reconnaissance d’un nouveau modèle (macro) économique, principalement organisé autour du principe de propriété impartageable des bénéfices (L. 1901, art. 1). Ce n’est qu’à cette condition que ces « sociétés de personnes » (4) continueront à entretenir l’espérance d’une économie plurielle (5).
Que peut-on espérer en 2011 ?
Le processus de reconnaissance de l’ESS en général et de l’action associative en particulier doit se poursuivre et s’intensifier. Pour cela, il s’agira de mettre à profit les différentes manifestations programmées par l’Union Européenne au cours de cette année 2011 dans le cadre de l’ année européenne du bénévolat et du volontariat. Pour ce qui concerne la France, les Etats Généraux de l’ESS « pour une autre économie » prévus les 17, 18 et 19 juin prochains devraient déboucher sur la formulation de propositions concrètes (6), lesquelles devraient être médiatisées et soutenues pendant toute la durée de la campagne présidentielle de 2012.
Dans cette perspective, de grands chantiers restent ouverts :
- La circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 était censée clarifier le processus de financement public des associations par la mise en œuvre d’une démarche « euro compatible ». Certes, la démarche de contractualisation va dans le bon sens (7). Mais, en l’état actuel, elle repose sur un certain nombre de notions encore trop imprécises (activité économique d’intérêt général, mandatement, surcompensation et bénéfices raisonnables), créant une insécurité juridique importante pour les associations exerçant (ou non) une activité économique (8). Par ailleurs, elle ne tient pas compte de la diversité des modes d’intervention du secteur associatif (le modèle de convention pluriannuelle d’objectifs est uniquement adapté aux associations qui exercent des « activités économiques habituelles »). En outre, elle sanctuarise une définition de la notion de subvention pour le moins ambiguë (9) : cette définition fait une part belle à la logique d’appels à projet susceptibles de donner lieu au versement d’une subvention mais entraînant des risques importants d’instrumentalisation (10) et de requalification juridique (11), situation préjudiciable tant pour les associations (risque de restitution des fonds perçus (12)) que pour les financeurs publics (risque de délit de favoritisme sur le fondement de l’article 432-14 du Code pénal). Enfin, et surtout, elle consacre une transposition sectorielle et unilatérale de la directive services – sur ce point, on ne peut que regretter que la récente Proposition de loi n°2149 du 9 décembre 2009 relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition des la directive service ait été rejetée par la commission des affaires sociales – ce qui a pour effet de banaliser l’action des associations en assimilant la plupart d’entre elles à des « entreprises » exerçant des « activités économiques » concurrentielles, sans aucune considération pour leur but non lucratif (13) et la spécificité de leurs interventions dans le champ des services sociaux notamment. Se faisant, le Gouvernement consacre non pas seulement une logique libérale, mais revient également sur des engagements qu’il avait pris en 2001 (14) et qui portaient sur une volonté partagée « de concourir dans un but autre que le partage de bénéfices à la création de richesses, qu’elles soient sociales, culturelles ou économiques afin que l’économie de marché ne dégénère pas en société de marché mais puisse, au contraire, permettre l’affirmation d’une plus grande solidarité ».
A la lecture de ces engagements, il convient par conséquent de s’interroger sur les réelles « avancées » de cette circulaire « Fillon » et, par conséquent, la légitimité de son maintien dans notre ordre juridique interne (15).
- D’une manière générale, c’est la question de la place du secteur associatif dans le dialogue civil qui doit être reposée en vue de ces échéances. Dans ce cadre, se pose particulièrement la problématique du processus de reconnaissance d’intérêt général (16) ou d’utilité sociale (17) des associations, notamment celles dont l’action nécessite d’être particulièrement soutenue par l’octroi de subventions (voir supra), de réductions d’impôts (régime de mécénat), voire même par le maintien d’un régime de faveur sur le plan fiscal (non assujettissement aux impôts commerciaux). Il a été vu précédemment que ces degrés de reconnaissance, dans la mesure où ils confèrent un avantage par rapport aux autres opérateurs économiques (18), risquaient d’être battus en brèche par la logique libérale dominante (voir supra), si l’on y prend garde. Pire encore, face à la dégradation de l’état de nos finances publiques, la tentation est parfois grande de raboter les nombreux avantages que confère cette reconnaissance comme une vulgaire « niche fiscale ». Mais encore une fois, c’est la méthode retenue qui i
nterpelle. La démarche unilatérale de ces formes de reconnaissance – qui explique d’ailleurs pourquoi l’Etat a de plus en plus de mal à donner une vision cohérente de la notion (fiscale) d’intérêt général – renvoie de plus en plus à des pratiques politiques d’un autre âge. Sur ces questions, l’heure n’est plus au jacobinisme (consacré par la Révolution française de 1789) mais désormais à la « régulation conventionnée » (19) ! La logique « unilatéraliste » doit laisser place à une logique de co-construction de l’utilité sociale (20). Dans le cadre de la naissance du projet d’utilité sociale conventionnée, il conviendra en outre de veiller nécessairement à ce que l’équilibre des forces en présence (associations – puissance publique) soit sauvegardé. Ce qui à notre sens passe obligatoirement par l’adoption d’une loi-cadre destinée à protéger et à promouvoir l’Economie sociale (21), à l’instar de celle promulguée en Espagne le 16 juillet 2010.
Sur tous ces points, force est de constater que les engagements pris par le Gouvernement Jospin dans la Charte signée le 1er juillet 2001 n’ont encore une fois pas été respectés. Pour mémoire, lesdits engagements portaient sur des principes d’actions partagées par les associations et l’Etat dans le but « d’approfondir la vie démocratique et le dialogue civique et social en vue d’une participation accrue, libre et active des femmes et des hommes vivant dans notre pays, tant aux projets conçus par les associations qu’aux politiques publiques conduites par l’Etat. ». Quelles ont été les vraies avancées dans ces domaines depuis lors ? Face à un tel constat, peut-être eût-il fallu, préalablement aux (prétendues) négociations liées à la rédaction de la circulaire « Fillon », s’assurer du respect des engagements pris en 2001 ? Tel n’a pas été le cas manifestement.
Mais ne dit-on pas que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ? »
Autre chantier d’importance au moment où l’on s’apprête à célébrer les dix ans du Centenaire de la loi de 1901 : il conviendrait d’intégrer la liberté d’association dans la Constitution de la Vème République. En effet, cette liberté est à ce jour uniquement élevée au rang des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution (22). Il en résulte que le législateur est encore en droit d’y apporter toutes les restrictions qu’il souhaite (23). Or, sur ce point précisément, le Collectif des associations citoyennes considère d’ores et déjà que la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 porte atteinte à cette liberté, dans la mesure où la généralisation du recours à la technique de l’appel à projets risque d’entraîner une véritable mise sous tutelle des associations par les pouvoirs publics (24). D’autres menaces réelles (le foisonnement législatif et réglementaire) (25) ou supposées (la montée des extrémismes et des politiques sécuritaires partout en Europe) font à terme peser un risque sur notre capacité à préserver cette liberté fondamentale dans notre démocratie. Pour se convaincre de l’importance de cette question, rappelons nous ce que disait Alexis de Tocqueville (26) : « dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science mère : le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là ». Il est par conséquent urgent d’agir.
Ainsi, on le voit, ce ne sont pas les chantiers importants qui manquent à l’aune de cette nouvelle année. Pour notre part, nous espérons que les prochains mois seront mis à profit en vue de tenter d’obtenir des résultats répondant aux aspirations politiques de nos concitoyens (selon un sondage IFOP, 26 janvier 2011 : 1 français sur 3 délare que le capitalisme n’est pas un bon système et il conviendrait d’en sortir). Les acteurs de l’ESS doivent donc eux-aussi entrer en campagne. « Chaque matin en se rasant », ils doivent se rappeler comme le dit Jean – Louis Laville (27) que « l’associationnisme suppose de ne pas céder au sophisme économiciste et de ne pas entériner le postulat dominant d’une extériorité du phénomène associatif par rapport au politique ».
Vaste programme.
Directeur des publications
Cet éditorial a fait l’objet d’une publication aux Editions Lamy Associations, Bull. actua. n°189 de janvier 2011 : voir en ligne
En savoir plus :
Projet de Loi d’Economie Sociale et Solidaire France : voir en ligne
Interview donnée le 10 juin 2011 par Me Colas AMBLARD au groupe socialiste sur le projet de loi d’ESS : Un cadre juridique pour l’Economie Sociale et… par groupepsrhonealpes
C. Amblard, « Circulaire Fillon du 18 janvier 2010 : les nouvelles relations entre pouvoirs publics et associations », ISBL consultants, 29 janvier 2010 : voir en ligne
Intervention de C. Amblard lors d’un colloque organisé par la CPCA Midi-Pyrénées sur le thème « RGPP et Réforme territoriales : quelles conséquences pour les associations ? » :
J. – L. Laville : « Avec les associations, construire du vivre ensemble », interview, 08 septembre 2010 : voir en ligne
J. L. Laville, Politique de l’association, Ed. du Seuil Economie humaine, janvier 2010
D. Minot, « De la concurrence libre et non faussée : menace sur la liberté d’association
en France », Le Monde diplomatique, janvier 2010
Olivier Vilain, Le gouvernement Fillon veut mettre au pas le secteur associatif, Le Courrier Quotidien indépendant, 24 janvier 2011 : voir en ligne
L’Etat démantelé. Enquête sur une révolution silencieuse, Laurent Bonelli et Willy Pelletier, éditions La Découverte et Le Monde Diplomatique, Paris, 2010 : voir en ligne
T. Ghezali et H. Sibille, Démocratiser l’économie, Editions Grasset, novembre 2010 : voir en ligne
P. Viveret – E. Morin, Comment vivre en temps de crise, ouvrage broché oct. 2010 : voir en ligne
S. Hessel, Indignez-vous ! Essai broché oct. 2010 : voir en ligne
J. Legleye, « Espagne : une loi pour l’ES, mais les mêmes questions qu’en France », RECMA, 26 janvier 2011 : voir en ligne
K. Polanyi, « Le sophisme économiciste », in « Contre la société du tout-marchand », Revue du MAUSS, 2007/1 (n° 29), 368 pages, Edition La Découverte : voir en ligne
Site internet Collectif des associations citoyennes : voir en ligne
Comité de parrainage du Collectif des associations citoyennes : voir en ligne
Appel du Collectif des associations citoyennes :voir en ligne
Signez l’Appel : ici
- Rencontre CESE : Comment pérenniser le financement des associations ? - 21 novembre 2024
- Les Mardis de l’ESS : Les communs numériques, levier de la transformation sociale ? - 20 novembre 2024
- Replay CIRIEC : Conférence internationale du 8 novembre 2024 – Paris - 14 novembre 2024
Notes:
[1] L’auteur fait référence au risque d’ « isomorphisme institutionnel » évoqué par B. Enjolras (RECMA, 1996, n°261)
[2] Instr. fisc. BOI 4 H-5-06 du 18 déc. 2006, par. 62 et s.
[3] Selon une Etude du Cabinet d’avocats NPS CONSULTING (www.npsconsulting-avocats.com), le secteur associatif est directement à l’origine de 37% des créations de fonds de dotation
[4] Sur la notion de société de personnes, voir H. Sibille et T. Ghezali, Démocratiser l’Economie : la marche à l’épreuve des citoyens, Ed. Grasset, déc. 2010, p.25 et s.
[5] C. Amblard, Associations et activités économiques : contribution à la théorie du Tiers-secteur, Thèse de droit, Versailles, 1998 ; Du même auteur, Activités économiques et commerciales des associations, Lamy Associations, Etude 246, juillet 2010
[6] Les Etats généraux de 1789 s’étaient organisés autour de cahiers de doléances : sur proposition de M. Claude Alphandéry, le labo d’ESS du 11 octobre 2010 a repris cette idée des cahiers d’espérances – approuvée à la quasi unanimité des 260 participants
[7] C. Amblard, Intérêt général, utilité publique et utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? Recma, 2010, n°315
[8] Un communiqué de la CPCA du 03 novembre 2010 pointe du doigt « des faiblesses qui peuvent être inquiétantes »
[9] La circulaire du 18 janvier 2010, préc., reconnaît certes que « l’action subventionnée doit être menée par une personne publique ou privée, poursuivant des objectifs propres » mais auxquels « l’administration, y trouvant intérêt, apporte soutien et aide »
[10] En annexe, la circulaire « Fillon » (préc.) précise explicitement que « le projet présenté par l’association (programme d’actions ou action), pour lequel un soutien financier est sollicité, doit se rattacher à une politique publique d’intérêt général. Un projet qui ne correspondrait à aucune politique publique ne peut être subventionné »
[11] Pour en savoir plus, voir B. Fleury, L’initiative : un critère suffisant pour sécuriser les relations entre les administrations et les associations ? Juris – associations, n°424, 15 sept. 2010, pp. 34 à 36
[12] Ces mêmes associations seraient en droit de se retourner contre les financeurs publics afin d’obtenir une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause
[13] Alors même que dans sa décision du 17 juin 1997 (arrêt Sodemare C-70/95), la CJCE reconnaît que le statut non lucratif peut être le plus adapté à la réalisation d’un objectif social, précisant que « la condition d’absence de but lucratif s’avère être le moyen le plus cohérent au regard de la finalité exclusivement social »
[14] Dans la Charte d’engagements réciproques entre l’Etat et les associations regroupées au sein de la CPCA signée le 1er juillet 2001 à l’occasion du centième anniversaire de la Loi de 1901 par le Premier ministre, Lionel Jospin et le Président de la CPCA : pour plus de précisions voir Recma, n° 282, nov. 2001, p. 18.
[15] Le collectif des associations citoyennes composé de plusieurs fédérations a entrepris de formuler des contre propositions : http://www.associations-citoyennes.net/blog/index.php ?post/2011/01/27/Introduction-au-d%C3%A9bat
[16] CGI, art. 200 et 238 bis
[17] Inst. fisc. BOI 4 H 5-4-06, préc.
[18] Rapport MEDEF, « Marché unique, acteurs pluriels : pour des nouvelles règles du jeu », mai 2002 ; Service Central de la prévention de la corruption, Rapports d’activités au Premier Ministre, juin 2002 : pour le MEDEF, ces avantages confèrent aux entreprises de l’Economie sociale et solidaire la qualité de concurrents déloyaux
[19] X. Engels, M. Hély, A. Peyrin et H. Trouvé, De l’intérêt général à l’utilité sociale : la reconfiguration de l’action publique entre Etat, associations et participation citoyenne, ibidum : selon L. Fraisse, la régulation conventionnée suppose « une régulation plus démocratique de l’utilité sociale par une négociation, voire une mise en débat public des objectifs et résultats des initiatives. Autrement dit, la définition de l’économie sociale n’allant pas de soi, c’est le débat public qui est privilégié comme lieu de confrontation des valeurs accordées aux actions menées »
[20] J. Gadrey, L’utilité sociale, in J.L. Laville et A. D. Cattani, Dictionnaire de l’autre économie, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 2005 : Jean Gadrey envisage l’utilité sociale comme « une construction socio-économique encore non stabilisée »
[21] C. Amblard, Intérêt général, utilité publique ou utilité sociale : quel mode de reconnaissance pour le secteur associatif ? Recma, 2010, préc. p. 34 et s.
[22] Conseil Constitutionnel 71-44 DC du 16 juillet 1971 : AJDA 1971, p.537
[23] Constitution, art. 34 ; Conseil Constitutionnel 71-44 DC du 16 juillet 1971 : AJDA 1971, p.537
[24] Or, selon le Conseil d’Etat, la tutelle que peuvent exercer les pouvoirs publics sur une association, constituant une limite à la liberté d’association, ne peut pas excéder le cadre fixé par le législateur (CE, 21 octobre 1959, Académie vétérinaire de France : Lebon p. 528 ; CE 19 mai 1993 n°111630, Association des professionnels pour les échanges et les loisirs : Lebon p.160)
[25] Au point que la FONDA a récemment lancé une réflexion sur le thème « Droit, associations et liberté publique, quels états des lieux ? »
[26] A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835-184), Paris, Garnier-Flammarion
[27] J.- L. Laville, Politique de l’association, Ed. Seuil Economie humaine, janv. 2010, p. 285