Le plan « France Relance » présenté le 03 septembre 2020 par le Premier ministre Jean Castex a pour objectif annoncé de dresser une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique de notre pays. Doté de 100 milliards d’euros et présenté comme le résultat d’une large concertation nationale, il n’apparaît pourtant pas certain que ces moyens financiers sans précédent – équivalents à un tiers du budget annuel de l’Etat – soient à la hauteur des « jours heureux » récemment promis la main sur le cœur par notre Président de la République.
Dans son allocution du 13 avril 2020, Emmanuel Macron avait pourtant suscité beaucoup d’attente en abandonnant sa rhétorique guerrière habituelle, en admettant des « ratés » dans la gestion de la crise actuelle mais surtout en misant sur « une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la société carbone, la prévention, la résilience, qui seuls peuvent permettre de faire face aux crises à venir. » Après la crise des gilets jaunes et à l’issue du grand débat, notre Président avait théorisé l’acte II de son quinquennat, en basant sa nouvelle approche sur l’écoute et sur une orientation plus sociale des dossiers nationaux : « Sachons dans ce moment sortir des sentiers battus, des idéologies et nous réinventer. Moi le premier. »
Indépendamment des annonces faites par Olivia Grégoire (Secrétaire d’Etat à l’Economie sociale, solidaire et responsable) et Sarah El Haïri (Secrétaire d’Etat chargé de la jeunesse et de l’engagement), l’analyse du plan « France Relance »[1]https://www.gouvernement.fr/france-relance présente cependant une réalité toute autre. Pour la première, ce serait 1,3 milliards d’euros qui bénéficieraient à l’Economie sociale et solidaire (ESS), Pour la seconde, ce serait 100 millions d’euros entre 2020 et 2022 qui seraient ainsi dédiés à la relance des associations, le plus souvent en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire Covid-19[2]Rappelons à ce stade que le secteur associatif représente 154.567 unités légales employeuses sur les 164.000 entreprises de l’ESS et emploie 1,852 salariés sur les 2,4 millions de l’ESS, … Continue reading.
A y voir de plus près, ces mesures sont-elles à la hauteur des attentes ?
Concernant le soutien apporté au secteur associatif, il s’agit pour l’essentiel de prêts – destinés à soutenir les trésoreries (45 millions d’euros) ou à renforcer les fonds propres des grosses associations (40 millions). Mais qui dit prêt dit remboursement (à brève échéance) ! Pas sûr dans ces conditions que les associations s’engageront dans cette voie au moment même où leur avenir s’annonce des plus incertains. Pour le reste, 15 millions d’euros seront consacrés au financement de 2000 postes Fonjep supplémentaires.
S’agissant de l’aide prévue pour l’ESS, seulement 30% sur les 6 milliards du « plan massif d’investissement » dans les secteur sanitaire et médico-social seront par exemple affectés aux établissements de l’ESS, selon Olivia Grégoire, cette dernière appliquant de manière simpliste une règle de 3 pour faire ce calcul (il existerait 2.200 Ehpad non lucratifs sur les 6000 existant en France) ![3]M. Lulek, Un plan de relance… et beaucoup d’attentes, Assoc. Mode d’emploi, 25 sept. 2020 D’autres mesures sont annoncées, telles que l’aide financière prévue pour le développement et la modernisation des ressourceries (16 millions d’euros) ou « un plan exceptionnel de 100 millions d’euros » permettant aux associations de lutte contre la pauvreté de subvenir aux aides d’urgences des personnes précaire et de faire face à la crise sanitaire. Sur les 200 milliards annoncés pour le secteur culturel[4] »Culture en Crise(s), crise des associations culturelles ! », Pascal GLÉMAIN, Institut ISBL – septembre 2020, une partie seulement concernera les associations (220 millions d’euros pour le spectacle vivant privé et 206 millions d’euros pour le spectacle vivant subventionné).
Pour le reste, il s’agira pour l’essentiel d’aides à l’embauche notamment en direction de personnes en situation de handicap (4000 euros pour des contrats conclus entre le 1er septembre 2021 et le 28 février 2021), de jeunes de moins de 25 ans dans des structures d’insertion par l’activité économique (206 millions) ou en vue de favoriser la professionnalisation du mouvement sportif (renforcement du dispositif Sésame).
Finalement, on continue comme avant ?
Au regard du poids que représente désormais l’ESS dans l’économie de notre pays, tant en termes d’emplois (2,4 millions de salariés, soit 14% du total des emplois salariés privés en France) que de dynamique de création d’emplois (+4,5 entre 2010 et 2019), ce qui frappe avant tout c’est le déséquilibre existant entre les moyens mis à disposition de l’économie traditionnelle et ceux directement fléchés vers les nouveaux modes d’entreprendre que représente l’ESS.
Contrairement à l’exercice de contrition du Président Macron du 13 avril dernier et à la présentation par notre premier Ministre du « Plan relance » le 03 septembre dernier comme étant « le résultat d’une large concertation nationale mise en place pour tirer les enseignements de la crise », les instances représentatives de l’ESS et du secteur associatif semblent au contraire regretter le manque de prise en compte de leurs revendications, sans parler de l’insuffisance des moyens dénoncée par bon nombre d’observateurs associatifs[5]https://www.alerte-exclusions.fr/fr/qui-sommes-nous/un-collectif-national dans la mise en œuvre du volet de lutte contre la pauvreté, alors même que la situation connaît une aggravation sans précédent[6]https://www.lepoint.fr/societe/coronavirus-augmentation-spectaculaire-de-la-pauvrete-en-france-30-09-2020-2394272_23.php depuis le début de la crise sanitaire.
Pour le Mouvement associatif[7]Plan de relance : copie à compléter pour la vie associative, communiqué de presse du 7 sept. 2020, « les mesures annoncées ne permettent pas de répondre aux enjeux structurels de préservation et de renforcement de très nombreuses petites et moyennes associations employeuses ou ne reposant que sur le bénévolat, qui ont été lourdement impactées par la crise sanitaire et qui constituent un tissu indispensable à la vitalité des territoires et au lien social. » De façon très concrète, le retour des emplois aidés sous forme de CUI-CIE mais uniquement au bénéfice du secteur marchand sonne au mieux comme un mauvais signal, au pire comme une véritable provocation ! Récemment supprimés – au profit d’un dispositif unique nommé « Parcours emplois d’avenir » beaucoup moins avantageux pour les associations – au motif que ce dispositif était inefficace, ces emplois aidés[8]Le dispositif CUI-CIE prévoit 10.000 bénéficiaires en 2020 et 50.000 en 2021 avec une prise en charge de l’Etat à 47% du SMIC sont désormais présentés dans le Plan de relance comme ayant « un effet positif sur l’emploi à court terme et bénéficiant d’un taux élevé d’insertion en sortie » ! Or, une fois encore, force est de constater les contradictions du Président de la République qui lors d’une allocution en date du 4 février 2019[9]https://www.europe1.fr/politique/macron-esquisse-un-mea-culpa-sur-la-suppression-des-emplois-aides-3851777 dans le cadre du grand débat, concédait que la suppression des trois quarts des contrats aidés décidée par le gouvernement avait posé « un vrai problème pour beaucoup d’associations et de villes », avant de proposer « un grand plan pour les petites associations. »
Rejoignant la position exprimée par le Mouvement associatif – qui souligne « l’absence de mesures transversales et structurelles significatives visant au développement et au renforcement de l’action et de l’économie associative » – ESS France regrette de son côté que ses propositions dans le cadre du plan visant à « permettre une réorientation profonde du fonctionnement et des priorités de notre modèle économique » n’aient pas été plus écoutées[10]France Relance : communiqué de presse d’ESS FRANCE du 4 septembre 2020.
Le monde de demain serait-il déjà celui d’hier ?
Certes, il convient de prendre acte de l’ampleur du plan de relance face à une crise économique et sociale qui s’annonce sans précédent. Mais, ne fallait-il pas précisément saisir cette occasion pour se réinventer profondément et durablement, comme l’avait laissé entendre notre Président de la République ? A la lecture des dernières annonces gouvernementales, les orientations prises semblent contredire ces bonnes dispositions présidentielles dans la mesure où l’on peut déjà déplorer que les aides financières attribuées au secteur marchand concurrentiel dans le cadre du plan de relance ne soient conditionnées par aucune contrepartie – voire même par un renforcement des normes extra financières d’appréciation de l’action des entreprises traditionnelles et de leur impact social et écologiques – à l’instar des sévères critiques émises à l’encontre du CICE[11]https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-competitivite-lemploi-synthese-travaux-dapprofondissement. De la même façon, il est permis de douter de ces intentions si l’on en juge la feuille de route dévoilée le 24 septembre dernier[12]A. Ruello, Economie sociale et solidaire : Olivia Grégoire dévoile sa feuille de route, Les Echos, 24 sept. 2020 … Continue reading par la Secrétaire d’Etat Olivier Grégoire avec pour point d’orgue la relance des contrats à impact social[13]Lancement des contrats à impact social, 24 sept. 2020, https://www.economie.gouv.fr/lancement-contrats-impact – un dispositif tout aussi critiqué[14]M. Hemmerich et C. Méténier, Solidarité à but hautement lucratif, Le Monde diplomatique, oct. 2019, pp. 22-23 https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/HEMMERICH/60476 – cette dernière exprimant en outre, dès sa prise de fonction, son refus catégorique d’adopter une TVA réduite sur les produits issus d’entreprises écologiques et solidaires et sa circonspection face à la création d’un crédit impôt recherche pour l’innovation sociale[15]https://www.noussommesdemain.com/ pourtant attendu par tous. Aussi, il semblerait que le gouvernement Macron ait fait sienne la célèbre maxime du Général De Gaulle, « il vaut mieux avoir une méthode mauvaise plutôt que de n’en avoir aucune. » Toutefois, au moment où le Plan de relance prévoit un endettement jusqu’en 2058 engageant par là même nos concitoyens sur plusieurs générations, il est permis d’en douter.
Colas Amblard, Président de l’Institut ISBL
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